Caractéristiques de la Communauté bouddhiste Triratna
La Communauté bouddhiste Triratna est radicale en ce qu’elle cherche à retourner à ce qu’il y a d’universel dans la tradition bouddhique : ce qui peut traverser les siècles, les cultures, et nous parler directement, ici et maintenant. Mais Triratna est un mouvement manifestement bouddhiste, et partage de nombreuses bases communes avec d’autres écoles bouddhistes. Cela n’est pas surprenant, étant donné que Triratna fonde son approche sur les enseignements et les pratiques fondamentales qui forment la base de toutes les traditions.
Néanmoins, Triratna est une réponse créative aux conditions actuelles en Occident. Celles-ci sont très différentes de celles de l’Inde en 500 avant notre ère, de la Chine du premier millénaire, ou du Tibet et du Japon médiévaux. Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait des aspects de Triratna qui soient assez distinctifs.
1. Une approche « œcuménique »
La première caractéristique distinctive de Triratna est que nous avons une approche « œcuménique ». Le mot « œcuménique » vient de la tradition chrétienne, où il signifie « transcender les différences entre différentes sectes ou églises ». Comme nous l’avons vu à la séance précédente, l’unité fondamentale du bouddhisme est un principe important de Triratna. Nous ne nous identifions exclusivement à aucune secte ou tradition bouddhiste, ni à aucune des formes culturelles du bouddhisme. Pour nous, le bouddhisme ne se réduit donc à aucune de ses écoles historiques, ni à aucune des diverses cultures nationales au sein desquelles les écoles orientales existent. Nous cherchons, au lieu de cela, à identifier ce qu’il y a de commun aux différentes écoles, recherchant les vérités générales derrière les formes particulières de bouddhisme, tout en tirant de l’inspiration et en dérivant des pratiques de la tradition bouddhiste dans son ensemble.
Au cours des siècles et des millénaires après la mort du Bouddha, le bouddhisme a amené son message en dehors de l’Inde, dans une grande variété de nouvelles cultures et de nouveaux contextes. Dispersées à travers une vaste zone géographique, à une époque où voyager était lent et dangereux et où il n’existait pas d’autre forme de communication sur de longues distances, de nombreuses écoles se développèrent, pour la plupart isolées les unes des autres. Les membres de ces écoles connaissaient souvent peu des autres écoles et n’avaient pas une vue d’ensemble historique de la tradition bouddhiste. Chaque école avait donc tendance à se voir comme la vraie représentante du meilleur de la tradition bouddhiste.
Mais aujourd’hui, pour la première fois de l’Histoire, toutes les écoles bouddhistes peuvent avoir conscience les unes des autres, et nous pouvons observer le processus historique au travers duquel chacune s’est développée. Il n’est plus possible de considérer une secte donnée comme étant le « vrai » bouddhisme, sauf en ignorant la réalité des faits. C’est cependant ce qu’essaient encore de faire nombre d’écoles traditionnelles, même lorsqu’elles sont transplantées en Occident. Il est encore tout à fait normal pour de telles écoles transplantées de mettre en avant, dans leurs classes ouvertes au public, leurs enseignements particuliers comme étant « le bouddhisme », sans mentionner les enseignements et pratiques d’autres traditions.
Pour que le bouddhisme prenne racine en Occident, il doit dépasser ce sectarisme culturel. Nous devons prendre en compte les différentes écoles, voir ce qu’elles ont en commun, les apprécier, en tirer de l’inspiration, et apprendre d’elles. Nous devons retourner aux vérités fondamentales du bouddhisme sous-jacentes à toutes les écoles, et utiliser dans l’ensemble de la tradition ce qui est utile pour la situation présente. Et nous devons faire cela sans – imitant la pie, attirée par les objets qui brillent – ne retenir que les aspects des diverses écoles qui scintillent à nos yeux, tout en ignorant les enseignements et pratiques à première vue plus ennuyeux ou présentant un défi, qui peuvent être ce dont nous avons vraiment besoin pour nous transformer. C’est tout cela que Triratna essaie de faire, même si nous n’en sommes qu’aux débuts.
Cela peut paraître évident. Au sein de Triratna, nous avons tendance à prendre cette appréciation de l’ensemble de la tradition pour acquise, mais c’est une approche très inhabituelle. Cependant c’est probablement la seule approche qui permettra au bouddhisme d’avoir l’impact complet sur le monde moderne que le bouddhisme mérite, et dont le monde moderne a tant besoin. (Tout cela ne voulant pas dire que les Occidentaux d’aujourd’hui ne peuvent pas faire de progrès spirituels en suivant une des écoles traditionnelles).
2. La centralité de l’acte d’Aller en refuge
Un second accent distinctif de Triratna est que nous considérons l'acte d’Aller en refuge comme venant en premier pour la vie spirituelle, et les différents styles de vie et pratiques comme venant en second. On pourrait paraphraser cela en disant que ce qui est le plus important est notre engagement à nous développer spirituellement, tandis que les façons dont nous mettons cet engagement en pratique peuvent varier en fonction des personnes et dans le temps.
Ce qui est important est notre engagement envers les Trois Joyaux. Premièrement, cela signifie s’engager à devenir plus comme le Bouddha, l’idéal de l’Éveil. Deuxièmement, cela signifie s’engager à comprendre et à pratiquer le Dharma. Troisièmement, cela signifie être de plus en plus en harmonie et en communication avec nos compagnons pratiquants, de façon à ce qu’entre nous nous créions la Sangha. La force et la constance de cet engagement est le déterminant principal de notre progrès spirituel. Sans cet engagement, le style de vie le plus propice et les pratiques supposément les plus “avancées” ne serviront à rien. Avec cet engagement, les difficultés deviendront des opportunités pour grandir, et les pratiques les plus simples révéleront des profondeurs inimaginables pour les non-engagés.
En contraste à l’approche de Triratna, de nombreuses écoles traditionnelles considèrent certains styles de vie ou certaines pratiques comme caractérisant le fait d’être un « vrai » bouddhiste. Ainsi, pour certaines écoles, ce qui fait de quelqu’un un « vrai » bouddhiste est de vivre une vie monacale. Pour d’autres écoles c’est une pratique ou un ensemble de pratiques donnés : la méditation « juste assis » pour le Zen, un chant particulier pour le bouddhisme Nichiren et le vrai bouddhisme de la Terre Pure, ou une séquence particulière de méditations préalable à l’initiation tantrique pour certaines écoles tibétaines. Alors qu’en fait les différents styles de vie ou pratiques sont autant de moyens menant à une fin. Ils ne sont pas au centre du fait d’être un « vrai » bouddhiste. Ce qui est au centre, c’est l’acte d’Aller en refuge.
Puisque l’acte d’Aller en refuge vient en premier, tandis que le style de vie vient en second, l’Ordre bouddhiste Triratna n’est « ni monastique ni laïque ». Certains membres de l’Ordre vivent ce qui dans les faits est une vie monacale. D’autres vivent une vie « laïque », fondant une famille et gagnant l’argent nécessaire à cela. Beaucoup combinent des éléments de ces deux styles de vie, vivant par exemple en communauté semi-monastique sans avoir fait vœu de chasteté, ou alternant périodes de vie monacale méditative « en retraite » et périodes d’activité « dans le monde ». Après tout, la division stricte entre les moines et les laïcs est une conséquence des sociétés traditionnelles dans lesquelles aucune autre option n’était permise, et dans le monde moderne nous pouvons être moins rigides. Ce qui unit les membres de l’Ordre n’est pas un style de vie, mais le fait qu’ils ont tous été reconnus comme Allant « effectivement » en refuge, ce qui veut dire que leur engagement a été reconnu comme suffisamment fort, suffisamment constant et suffisamment au centre de leur vie pour qu’il ait un effet visible, sur une période de temps significative.
Parce que l’acte d’Aller en refuge vient en premier, les membres de l’Ordre bouddhiste Triratna, et dans une moindre mesure les amis et les mitras, s’adonnent à une variété de pratiques qui conviennent à leur tempérament et à leur situation. Au cours des premières étapes de la pratique, ce qui est important est de construire des bases solides. Ce qui est important au cours des premières années de pratique est donc de se concentrer principalement sur les cinq préceptes, l’attention sur le souffle, et le mettā bhāvanā. Cependant, même aux débuts de la pratique, Triratna inclut une variété d’approches, chacun mettant l’accent sur des aspects différents de la pratique et tirant son inspiration de sources différentes. Lorsque l’on pratique depuis plus longtemps, l’acte d’Aller en refuge peut se manifester de façons encore plus diverses. En consultation avec leurs précepteurs, les nouveaux membres de l’Ordre s’engagent dans différents types de méditation, développant leur propre régime de pratique, convenant à leur tempérament et à leur situation. Encore une fois, l’Ordre bouddhiste Triratna peut aisément inclure cette diversité de pratiques, parce que l’acte d’Aller en refuge vient en premier, tandis que les pratiques spécifiques dans lesquelles chacun s’engage pour exprimer et approfondir cet acte d’Aller en refuge peuvent varier selon les besoins et les circonstances.
Enfin, la centralité de l’acte d’Aller en refuge pour Triratna se manifeste par le fait que les personnes qui mènent et guident les institutions du mouvement sont celles qui ont prouvé qu’elles Allaient effectivement en refuge sur une période de temps significative, en d’autres termes des membre de l’Ordre bouddhiste Triratna. Avant de fonder l’AOBO, Sangharakshita avait remarqué que beaucoup d ’organisations bouddhistes modernes étaient contrôlées par des gens qui ne pratiquaient pas sérieusement le bouddhisme. Ce n’est évidemment pas ainsi que l’on peut construire un mouvement spirituel efficace et libérateur, et Sangharakshita était déterminé à ce que Triratna soit dirigé par des pratiquants spirituellement engagés. En pratique, cela veut dire que les différentes associations qui gèrent les centres Triratna et les autres initiatives de Triratna sont principalement dirigées par des membres de l’Ordre, des personnes qui ont été reconnues comme Allant effectivement en refuge. Ceci est toujours considéré comme un principe important de Triratna, et est une des raisons de son succès. Cependant, il peut paraître curieux pour certains – qui veulent appliquer des principes égalitaires, dérivés de la politique, à la vie spirituelle – que les décisions importantes pour un centre soient habituellement prises par les membres de l’Ordre, et pas par un vote parmi les personnes qui le fréquentent.
...et un réseau d'amitiés.
3. Un Ordre unifié
La Communauté bouddhiste Triratna et l’Ordre bouddhiste Triratna sont ouverts à toutes et à tous, sans distinction de genre, de race, de nationalité, de classe, de caste, d’âge, ou d’orientation sexuelle. Une conséquence particulière de ceci est que les hommes et les femmes sont ordonnés sur une base égale. Ceci marque un contraste vis-à-vis de la plupart des écoles bouddhistes orientales traditionnelles, et de leurs branches en Occident, dans lesquelles les femmes ne sont autorisées à recevoir qu’une ordination « inférieure », de telle façon que les nonnes sont en quelque sorte toujours dans une position de soumission vis-à-vis des moines (ceci est vrai par exemple pour le Theravāda ainsi que pour les principales traditions tibétaines). Aucune distinction de cette sorte n’est faite entre les membres de l’Ordre bouddhiste Triratna ni sur la base du genre, ni aucune des catégories citées plus haut. De plus, au sein de l’Ordre bouddhiste Triratna, la différence marquée de statut entre ceux qui vivent une vie monacale et ceux qui vivent une vie « laïque », qui est une caractéristique si importante de nombreuses écoles traditionnelles de bouddhisme, n’existe pas. Comme nous l’avons vu, les membres de l’Ordre ne sont « ni moines ni laïcs », et c’est la profondeur de son acte d’Aller en refuge plutôt que son style de vie qui détermine si quelqu’un est prêt à rejoindre l’Ordre, ainsi que le niveau de respect qu’il est susceptible de recevoir des autres à l’intérieur de celui-ci.
4. L'importance de l’amitié
Il est possible que l'accent sur l’amitié « horizontale » soit un aspect unique à Triratna. De nombreuses écoles encouragent la dévotion envers le professeur, le maître, le gourou, mais rares sont celles qui mettent l’accent sur l’amitié entre les personnes qui sont à un stade similaire sur le chemin – l’amitié horizontale – peut-être parce que l’existence d’amitiés proches et chaleureuses allait de soi dans les sociétés traditionnelles. Cependant, au sein de Triratna, l’amitié est considérée comme une partie importante de la vie spirituelle à deux égards : premièrement comme une façon de dépasser notre égocentrisme et nos vues illusoires, et deuxièmement comme un aspect du but de l’Éveil lui-même.
Le Bouddha a dit en un certain nombre d’occasions que l’amitié spirituelle est une composante essentielle de la vie spirituelle. C’est un aspect sur lequel nous devons particulièrement mettre l’accent, parce que c’est un aspect que beaucoup d’Occidentaux ne trouvent pas facile, et que notre culture rend difficile en encourageant l’individualisme, la compétition et la mobilité.
Le développement de l’amitié est indissociable de notre développement. Nous transcendons notre égotisme et nous libérons du joug de notre égocentrisme par une communication profonde et honnête, en développant de l’empathie, en nous souciant de plus en plus des autres, et en développant des qualités telles que la loyauté et la gratitude. Nous avons besoin de l’amitié pour développer de la mettā, de la compassion, et de la joie sympathique ; de façon ultime nous visons à les ressentir pour tous les autres êtres, mais nous devons commencer par nos amis, qui ne sont pas liés à nous par des liens du sang ou d'intérêts personnels, mais envers qui nous ressentons une affection chaleureuse.
Les amis spirituels nous aident aussi à nous voir plus clairement – un aspect essentiel du développement. Nous avons tous des aspects de nous-même que nous cachons aux autres, ce qui rend très difficile de faire un travail sur ces aspects. Apprendre à nous ouvrir aux autres avec honnêteté, à faire tomber les masques, nous aide à laisser ces aspects cachés derrière nous, et à avancer. Nous avons tous aussi des « angles morts », des aspects de nous-même que nous ne connaissons pas, que nous nous cachons même à nous-même. Les amis spirituels, qui prennent notre développement spirituel à cœur plutôt que d’être de mèche avec nous dans la quête d’une vie facile, nous aident à voir ces angles morts. À moins d’être ouvert à nous voir nous-même comme les autres nous voient, nous n’avancerons probablement jamais car nous ne nous connaîtrons pas tel que nous sommes vraiment.
Ce dernier point met en évidence le fait que le développement spirituel requiert aussi la présence d’amitié « verticale » : un contact avec celles et ceux qui sont plus expérimentés que nous dans la vie spirituelle. Au sein de la plupart des écoles traditionnelles, cette relation est formalisée par une relation stricte entre professeur et élève, ou gourou et disciple. Cependant, Sangharakshita remarque que la relation gourou-disciple comprend de nombreux dangers, en particulier pour les Occidentaux, et que nous n’avons en général pas besoin d’un « grand gourou », même si nous pouvions trouver quelqu’un qui nous accepterait en tant que disciple. Ce dont nous avons besoin, c’est un contact avec des personnes qui ont un lien plus fort que le nôtre avec une vision spirituelle, et qui ont plus d’expérience que nous sur le chemin spirituel. Il est dit que « l’on n’apprend pas la vie spirituelle, on l’attrape ». Donc être en contact avec les personnes qui pratiquent depuis plus longtemps que nous est un élément important de notre pratique au sein de Triratna.
Jusqu’ici, nous avons parlé de l’amitié comme d’un moyen pour parvenir à une fin. Mais l’amitié est aussi une fin en soi. L’amitié est un élément essentiel d’une vie heureuse, humaine, dont beaucoup de gens manquent cruellement de nos jours en Occident. À un niveau plus élevé, l’amitié peur être vue comme un aspect important du but même de la quête spirituelle. L’Éveil est un état dans lequel nous transcendons notre petit référentiel égocentrique pour devenir ami avec le monde. En fait, nous élevons à un niveau supérieur notre amitié humaine ordinaire, de telle sorte que nous sommes uni dans l’amitié avec toutes les autres personnes, tous les autres êtres, et avec l’univers lui-même. Nous ne pouvons espérer atteindre cette amitié universelle sans commencer par nous comporter comme un ami pour au moins quelques personnes réelles.
En raison de cet accent sur l’amitié, beaucoup de bouddhistes Triratna choisissent de vivre dans des communautés résidentielles. Pour réellement connaître une personne et pour construire une amitié profonde on doit passer du temps avec elle, et pas seulement lorsque l’on se comporte de façon exemplaire. Tout le monde ne peut pas vivre en communauté, mais pour ceux pour qui le peuvent, cela peut être une aide importante pour la pratique spirituelle, nous aidant à nous plonger plus profondément dans la vie spirituelle, affaiblissant notre individualisme et notre égocentrisme, nous permettant de nous voir plus clairement et, enfin et surtout, nous aidant à développer des amitiés plus profondes.
5. L'importance du travail
La Communauté bouddhiste Triratna offre une approche équilibrée de la vie spirituelle. Une partie importante en est le besoin d'équilibrer la méditation d’un côté, avec l’énergie et l’activité de l’autre. L’énergie est une des caractéristiques de l’Éveil. Mais on peut avoir tendance à associer la vie spirituelle avec le fait d’être simplement calme, inactif, et délicat. Si l’on met uniquement l’accent sur le calme et l’inactivité on aura tendance à réprimer notre énergie, celle-ci devenant stagnante ou se transformant en énergie négative. Cela peut être un problème dans certains cadres monastiques en Orient. Pour citer Sangharakshita :
…le travail est très important, parce que si nous travaillons… nous utilisons notre énergie pour quelque chose, avec pour résultat que notre énergie ne stagne pas. Il y a un fléau du monachisme en Orient, et c’est un vrai fléau : c’est tout simplement la stagnation et l’oisiveté.
L’exception notable à cette remarque est la tradition zen, dans laquelle le travail physique quotidien fait partie intégrante de la vie du monastère.
L’accent que met Triratna sur le travail peut paraître étrange à certains Occidentaux, car pour beaucoup d’entre nous la carrière professionnelle, dans laquelle on recherche avant tout l’argent ou le statut, peut nous empêcher de trouver du temps et de l’énergie pour la pratique spirituelle. C’est pourquoi de nombreux bouddhistes trouvent bénéfique de réduire le temps qu’ils passent à travailler, et d’avoir des périodes sans travail au cours desquelles ils peuvent explorer différents aspects de leur être. De telles périodes « d’oisiveté » sont probablement primordiales pour la plupart d’entre nous, et elles peuvent être particulièrement importantes si notre vie jusqu’ici a été dominée par le travail ou une carrière. Le problème advient lorsqu’on voit l'oisiveté comme un mode de vie à long terme : on dispose d’énergie, et on doit l’utiliser pour avoir un impact positif sur le monde, pour notre propre bien comme pour celui des autres.
L’utilité du travail en tant que composante de notre vie spirituelle dépend de notre motivation. Si l’on travaille juste pour gagner sa vie, alors il est probablement judicieux d’en faire le moins possible, et de simplifier notre vie en conséquence. Cependant on devra ensuite trouver d’autres façons plus utiles d’utiliser notre énergie. Le type de travail que Sangharakshita recommande dans le cadre de notre vie spirituelle est un travail qui a un motif altruiste ou spirituel, en ce sens qu’il aide à propager le Dharma, qu’il nous aide à faire un travail sur nous-même, qu’il nous aide à développer des amitiés spirituelles, ou bien qu’il aide les autres.
Entreprises de moyens d’existence juste basées sur le travail en équipe
Une particularité bien distincte de Triratna sont nos entreprises basées sur le travail en équipe. En plus de permettre à des gens de gagner leur vie de façon éthique, dans un environnement propice à la pratique spirituelle, ces projets ont pour but d’aider les bouddhistes à activer et à employer leurs énergies, et de fournir un contexte dans lequel on peut utiliser le travail comme une pratique spirituelle directe.
Sangharakshita a dit que « Le travail est le gourou tantrique ». Dans la tradition tantrique, un des rôles du gourou est d’amener le disciple à faire face à ses propres limitations, et à la véritable nature des choses. De la même façon, le travail nous amène à faire face à nous-même et, si nous sommes honnête, il nous force à changer. Le travail nous donne une façon objective de nous observer nous-même. Si le résultat de notre travail est inefficace, ou si nous ne sommes pas en harmonie avec les membres de notre équipe, alors cela nous amène à regarder les aspects de nous-même qui contribuent à la situation, et que nous devons changer. Travailler dans une entreprise basée sur le travail en équipe peut donc être une pratique spirituelle stimulante et puissante, qui nous permet de grandir et de changer bien plus rapidement qu’il ne le serait possible dans une situation moins intense.
Le travail pour les autres
Quand notre travail aide les autres, en particulier quand il les aide spirituellement, il devient complètement aligné avec nos idéaux spirituels, et nous pouvons nous y abandonner sans réserve. Si nous construisons un centre bouddhiste, si nous levons des fonds pour propager le Dharma, ou si nous publions des livres sur le Dharma, nous ressentons notre travail non pas comme un boulot, mais comme une vocation. Un travail qui atténue réellement la souffrance des gens, qu’elle soit psychologique ou physique, a un effet similaire. C’est notamment pour cette raison que la Communauté bouddhiste Triratna a mis en place une association caritative, le Karuna Trust, pour aider les bouddhistes en Occident à utiliser leur énergie pour travailler pour ceux qui ont moins de chance sur le plan matériel. Travailler pour les autres est extrêmement satisfaisant et a des conséquences spirituelles profondes. Dans la mesure où l’on travaille véritablement pour les autres, alors on se transcende soi-même, brisant son identification rigide à soi, ce qui est le but même de la vie spirituelle. Lorsque le travail pour les autres fait partie d’une pratique équilibrée, comprenant la vie au sein d’une communauté spirituelle, la méditation, et la dévotion à une cause spirituelle, il peut être un ingrédient puissant pour l’atteinte de la réalisation.

6. L’importance des arts
À la différence de la plupart des cultures orientales (à l’exception de la Chine) lorsqu’elles ont découvert le bouddhisme, l’Occident a une tradition culturelle artistique très développée. Le meilleur de cette tradition communique des valeurs spirituelles et une vision spirituelle, et comme il nous est culturellement plus proche que des formes orientales du Dharma, il peut être une passerelle précieuse vers un mode de vie plus spirituel. De plus, la plupart d’entre nous vivons dans des villes qui sont bien loin de la nature magnifique dans laquelle beaucoup de bouddhistes du passé ont pratiqué, et nous avons donc besoin de façons différentes de contacter l’expérience de beauté et d’émerveillement que procure la vie dans la nature. Le contact avec les arts peut nous donner cela, ainsi que nous aider à grandir spirituellement de certaines des façons suivantes.
L’art nous aide à étendre notre expérience et à élargir notre empathie
Les arts peuvent nous permettre de vivre des expériences qui ne nous sont jamais arrivées dans la vie « réelle », nous permettant de grandir et d’apprendre au travers de ces expériences presque comme si elles nous étaient arrivées. Grâce à une pièce de théâtre, un roman, ou un poème, nous pouvons pénétrer le monde, les pensées, les émotions d’une autre personne. Nous pouvons savoir ce que c’est que d’être cette personne, et nous pouvons développer de l’empathie pour elle. Les arts visuels peuvent avoir le même effet : vraiment regarder une série d’autoportraits de Rembrandt, par exemple, nous fait ressentir ce que c’est qu’être cet homme à différents moments d’une vie à la fois tragique et épanouissante. De même, la musique peut nous faire ressentir de façon directe les émotions d’un autre être humain. L’art peut nous permettre de savoir ce que c’est que d’être quelqu’un d’autre, d’un âge, d’une nationalité, d’une race, d’une culture, d’un genre et d’un tempérament très différents. Cet élargissement de notre expérience, et de notre capacité à nous identifier aux autres est une expansion bien réelle de notre être. C’est un développement spirituel.
L’art élargit notre imagination
Notre séparation de la nature, et l’importance que donne notre culture aux faits terre-à-terre peuvent atrophier notre imagination. Nous devons contrebalancer ce phénomène, parce que l’imagination est une faculté importante pour la vie spirituelle. Elle nous permet d’imaginer des façons d’être qui nous sont possibles, mais sont présentement complètement hors de notre portée. L’imagination ouvre aussi la porte au monde visionnaire que l’on peut pénétrer en méditation ; si notre imagination est appauvrie, notre méditation le sera probablement aussi. Nous adonner aux arts, que ce soit en en créant ou en les appréciant, renforce notre imagination, tout comme on renforce un muscle en faisant des exercices physiques.
L’art affine et redirige nos émotions
Habituellement nos émotions sont rattachées à un niveau assez grossier et basique de notre existence. Ce qui les excite a le plus souvent à voir avec les choses comme le sexe, les plaisirs des sens, l’argent, la possession, la sécurité, et notre ego : les choses qui viennent de notre nature animale. Ce sont nos émotions qui nous motivent, et tant que la plus grande part de notre énergie émotionnelle sera bloquée à ce niveau, nous n'aurons que peu de motivation réelle pour progresser spirituellement. Nous devons donc affiner et élever progressivement le niveau de nos émotions, pour obtenir de plus en plus de notre satisfaction au niveau spirituel, et pour que nos émotions soient liées à celui-ci. L’art, ainsi que toute autre expérience de la beauté, a tendance à affiner nos émotions. Lorsque nous nous délectons de la beauté d’un morceau de musique, d’un tableau, d’un bâtiment, ou d’un arbre, nos émotions sont impliquées d’une façon qui n’est pas liée à notre ego animal. Lorsque nous apprécions un sonnet ou un coucher de soleil, cela n’implique pas de vouloir qu’il nous appartienne, que nous le mangions ou que nous ayons un rapport sexuel avec lui. Plus nous attachons nos émotions à ce genre d’appréciation esthétique, plus nous serons capable de mobiliser notre énergie émotionnelle pour la pratique de la méditation, et plus nous pourrons élever notre motivation au niveau du spirituel et du transcendantal.
L’art peut communiquer des valeurs spirituelles
Le plus grand art vient du même monde que celui dont vient le Dharma : celles et ceux qui créent du grand art parlent souvent de quelque chose qui s’exprime à travers eux, quelque chose qui transcende tout ce avec quoi ils sont en contact lors de leurs moments plus banals et non-créatifs. En fait, le plus grand art est du Dharma, dans la définition la plus large du terme. Il trouve sa source dans une vision spirituelle, et communique des valeurs spirituelles. Il le fait souvent d’une façon qui n’est pas spécifiquement liée à une formulation « religieuse » du Dharma, même s’il peut être fortement parfumé par une religion particulière,si l’artiste la pratique. Le grand art c’est le Dharma formulé d’une façon très attirante, d’une façon qui nous donne envie de changer. La Vérité communiquée par la beauté a une puissance inégalée.
Texte écrit pour le cursus d' « étude pour mitras » de la Communauté bouddhiste Triratna. © Vadanya, 2005. Traduction © Samantavajra, 2022.
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