Une méthode de développement personnel
Immédiatement, une question se pose, que vous vous êtes peut-être déjà posée : « Qu'entend-on par développement personnel, et pourquoi en aurait-on besoin ? Et qu'est-ce exactement que le développement ? Qu'entend-on par là ? Que veut vraiment dire le verbe se développer ? »
D'après le dictionnaire, se développer signifie s'ouvrir, de façon graduelle, tout comme une fleur s'ouvre, pétale après pétale, à partir du bouton. Se développer signifie évoluer, traverser une série d'états ou de stades dans lesquels chaque état est une préface à l'état suivant, s'étendre, croître, changer progressivement d'un état d'être vers un état d'être plus élevé. Voilà ce que signifient « développer » et « développement ». Le développement est la loi de la vie. En biologie, par exemple, on apprend que l'organisme unicellulaire se développe et devient l'organisme multicellulaire, l'invertébré devient le vertébré. Plus spécifiquement, on voit que la plante devient le poisson, le poisson devient le mammifère et, finalement, le singe qui ressemble à l'homme devient l'homme qui ressemble au singe : Homo pithecanthropus devient Homo sapiens. Ici, le développement est simplement biologique, et ce qui se développe est simplement la structure, l'organisation physique. Ce n'est que dans les étapes de développement ultérieures que l'on trouve une conscience de soi-même et un développement psychologique distinct du développement biologique.
L'immense développement que je viens de présenter très brièvement - de l'amibe jusqu'à l'homme - représente ce que j'appelle « l'évolution inférieure ». Cela représente, si l'on veut, la distance parcourue jusqu'à présent par la vie. La vie a parcouru une très, très longue distance, son histoire est fascinante. Mais son développement et son histoire ne s'arrêtent pas ici, à l'étape de l'homme actuel : ils continuent. Ou plutôt ce développement peut continuer : il n'est pas obligé de le faire, il ne le fera pas forcément, mais il le peut. L'« évolution supérieure » peut succéder à l'évolution inférieure, et l'être humain actuel, que nous connaissons, que nous sommes, peut devenir l'être humain tel qu'il peut être. C'est le développement allant de ce que l'on peut appeler l'homme naturel vers l'homme spirituel, de l'homme non éveillé à l'homme Éveillé - le Bouddha - où l'homme devient, au sens profondément métaphysique, ce qu'il a toujours été.
L'évolution supérieure fait donc suite à l'évolution inférieure, mais n'en est pas simplement une continuation, car il y a un certain nombre de différences importantes entre elles. Premièrement, l'évolution supérieure constitue un développement non pas biologique, mais psychologique, voire spirituel. C'est le développement non pas du corps physique, mais de l'esprit. Esprit ne veut pas simplement dire ici raison, faculté rationnelle ; esprit veut dire intelligence, émotions supérieures et plus raffinées, imagination créative, intuition spirituelle. C'est tout cela qui croît, qui se développe, et dont la croissance et le développement constituent l'évolution supérieure. Cette évolution, qui est la véritable évolution humaine, est donc essentiellement faite d'un développement de la conscience.
Ce mot, conscience, est un mot très abstrait, mais il ne faut pas croire, lorsque l'on parle du développement de la conscience, qu'il s'agit du développement d'une conscience abstraite, générale. Il s'agit au contraire du développement de la conscience individuelle, du développement de notre propre conscience, de la mienne, de la vôtre. Le développement humain est donc un développement personnel : mon développement, votre développement, notre développement - « notre » non pas de façon collective, mais au sens du développement de nous-mêmes en tant que personnes autonomes, ou que personnes autonomes potentielles, ensemble. On ne peut plus compter, pour avancer, sur l'élan de la vague du processus général de l'évolution. Avec l'apparition de l'homme, du moins de l'homme épanoui, est venue la conscience de soi-même, la conscience réflexive, et l'homme ne peut - nous ne pouvons - dorénavant évoluer qu'en tant que personnes autonomes. Cela signifie que nous devons individuellement vouloir évoluer, et aussi quei nous devons décider de le faire et d'agir en conséquence. Voici les paroles d'un des personnages de G. Lowes Dickenson, qui était autrefois très connu, dans le dialogue intitulé Un symposium moderne :
« L'homme a été créé, mais à partir de ce jour il doit se créer lui-même. C'est dans ce but que la Nature l'a fait sortir de la vase primordiale. Elle lui a donné des membres, un cerveau et un rudiment d'esprit. Maintenant, c'est à lui de faire honneur ou honte à sa forme splendide. Puisse-t-il ne plus demander l'aide à la Nature, car sa volonté a été de créer ce qui peut soi-même se créer. La défaite de l'homme serait la défaite de la Nature : le métal retournerait au chaudron pour que recommence à nouveau ce grand parcours. Sa victoire serait en revanche pour lui seul. Sa destinée est entre ses propres mains. »
Ces mots, « Sa destinée est entre ses propres mains », ont un poids considérable. Ils soulignent clairement que nous avons une très grande responsabilité, que nous sommes responsables de notre vie, de notre croissance, de notre bonheur, ce qui peut parfois sembler très lourd, trop lourd même. Alors, quand cette responsabilité devient si lourde, trop lourde même, que faisons-nous parfois, ou sommes-nous parfois tentés de faire ? De la donner à quelqu'un d'autre. Nous nous imaginons comme il serait agréable de donner à quelqu'un d'autre la responsabilité de nous-même - à Dieu peut-être, ou à un gourou à la mode, voire à un chef politique ou pseudo-politique, dans l'espoir qu'il arrangera tout cela pour nous, en nous dérangeant le moins possible. Et, bien sûr, nous essayons parfois d'oublier toute cette question encombrante du développement personnel, nous faisons parfois même de notre mieux pour l'oublier. Nous nous disons : « A quoi bon tout cela, tous ces efforts, toutes ces méthodes, toutes ces pratiques ? Pourquoi ne pas se reposer et profiter de la vie comme un être humain ordinaire ? » Surtout quand c'est l'été, qu'il fait chaud, que nous habitons au bord de la mer et que la plage nous appelle, que nos amis veulent que nous sortions. Nous nous disons : « A quoi bon ? Pourquoi ne pas être une personne ordinaire et oublier toute cette question de l'évolution supérieure et du développement personnel ? »
Heureusement (ou malheureusement), une fois que l'on a atteint un certain point, que la conscience a vraiment commencé à émerger, une fois que l'on a vraiment commencé à réfléchir, à ressentir, à imaginer, on ne peut pas simplement tout mettre de côté, oublier cette question, ce problème, ce développement. J'ai dit que le développement est la loi de la vie, et cela s'applique à l'évolution supérieure autant qu'à l'évolution inférieure. En tant qu'être vivants - et nous sommes vivants, j'espère ! - nous voulons croître, nous développer, car ce que toute chose vivante, ce que tout être vivant veut par-dessus tout, c'est réaliser la loi de son être. Et la loi de notre être, tout comme celle de chaque chose vivante, est que nous nous développions. Nous voulons donc devenir ce que nous sommes et réaliser cette loi de notre être, nous développer, réaliser notre potentiel le plus profond. Nous voulons devenir ce que nous sommes, et réaliser dans le temps ce que nous sommes dans l'éternité. Et si, pour n'importe quelle raison, de n'importe quelle façon, nous sommes empêchés de croître et de nous développer, soit par d'autres soit par nous-mêmes, alors inévitablement nous souffrons car nous allons contre la loi de notre être qui est de se développer, de croître, comme tout être vivant. Voici le genre de situation dans laquelle se retrouvent beaucoup de personnes : elles veulent grandir mais elles trouvent cela très difficile. Toutes sortes de facteurs, externes et internes, y font obstacle, et bien souvent nous ne pouvons pas avancer dans notre développement. Nous ne sommes pas satisfaits des progrès que nous avons faits, mais nous ne pouvons pas tout oublier et s'en aller ; nous sommes pris dans l'inconfort. Voulant grandir, mais incapables de le faire.
Et c'est pour cette raison sans doute que nous sommes là, ce soir, non pas parce que nous sommes satisfaits de nous-mêmes, de ce que nous avons été toutes ces années, mais parce que nous ne sommes pas satisfaits de ce que nous sommes à présent. Nous ne voulons pas rester indéfiniment les mêmes ; ce serait d'ailleurs chose terrible si dans un an, dans cinq, dans dix ans, chacun de nous était le même qu'aujourd'hui, si, au moment de mourir, nous étions la même personne que nous avons été toute notre vie durant, sans changement, sans progrès, sans croissance, sans développement.
Nous voulons donc grandir, nous développer. Nous aimerions grandir, nous développer, mais nous ne savons pas toujours comment le faire. Cela ne semble pas très clair, nous ne savons pas comment nous y prendre. Alors, de quoi avons-nous besoin ? Nous avons besoin d'une méthode, d'une méthode de développement, et c'est la première chose qu'offre le bouddhisme, qu'offre le Bouddha, qu'offre la Communauté bouddhiste Triratna à ceux qui le rencontrent : une méthode de développement personnel.
Une méthode : la méditation bouddhiste.
En un mot, cette méthode de développement personnel est la méditation bouddhiste. Nous avons vu que le développement humain est essentiellement un changement de niveau de conscience, un passage d'un niveau de conscience moins élevé à un niveau de conscience plus élevé, et la méditation bouddhiste nous aide à réaliser la transition entre un niveau de conscience moins élevé et un niveau de conscience plus élevé. C'est pour cette raison que le mot « méditation » a une double signification. Premièrement, il signifie le niveau de conscience le plus élevé que l'on puisse atteindre et, deuxièmement, il signifie la ou les méthodes qui mènent à la réalisation de ce niveau, ou de cet état de conscience supérieur. Non pas que la méditation soit la seule méthode de développement : il y en a d'autres. Il y a l'observance éthique, la vie éthique, des rituels symboliques comme ceux que l'on trouve dans le tantra, diverses sortes de pratiques de dévotion. Il y a le service social. On pourrait même y inclure la pratique des arts et de l'artisanat. Toutes ces méthodes agissent sur l'esprit et ont un effet sur le niveau de conscience. Elles n'agissent cependant qu'indirectement, à travers le corps physique et les sens, alors que la méditation agit directement sur la conscience. C'est pourquoi nous considérons la méditation comme étant la méthode première de développement personnel.
Nous parlons d'états de conscience plus ou moins élevés, mais comment savoir en fait lesquels sont lesquels ? Lesquels sont plus élevés, lesquels sont moins élevés ? De quelle façon la conscience méditative diffère-t-elle de la conscience ordinaire ? Ces deux niveaux de conscience diffèrent de plusieurs manières. Premièrement, la conscience méditative est moins dépendante des sens physiques. La plupart du temps, la conscience humaine ordinaire est une conscience orientée vers les sens : des impressions sensorielles nous arrivent à tout moment. Même assis ici, nous recevons des impressions sensorielles à travers l'œil, l'oreille, le toucher, l'odorat, le goût même. Ces impressions nous arrivent à tout instant et donnent naissance à différentes sensations, différents sentiments, qui préoccupent et colorent la conscience - l'esprit -, et nous ne réalisons pas d'ordinaire à quel point notre esprit est préoccupé par des pensées, des impressions, des sensations qui ont pour origine le monde des sens, qui nous viennent à travers les cinq sens physiques. Dans la conscience méditative, en revanche, cela n'arrive pas. Les impressions sensorielles sont présentes mais l'esprit ne réagit pas. Ces impressions reculent, si l'on veut, jusqu'à la périphérie de la conscience, et en méditation profonde elles peuvent disparaître complètement. En méditation profonde, la conscience est absorbée dans l'objet de concentration, dans l'expérience actuelle du niveau de conscience plus élevé, et la conscience du monde des objets des sens se retire considérablement jusqu'à n'être plus perçue que de manière très faible ou, dans des états très profonds de méditation, jusqu'à ne plus être perçue du tout.
Cela nous mène à la seconde distinction entre la conscience inférieure et la conscience supérieure : la conscience supérieure est simplement plus concentrée. La concentration, ici, n'est pas une fixation forcée de l'attention, mais plutôt un rassemblement naturel de toutes nos énergies. D'habitude, nos énergies sont divisées, elles sont en conflit ; parfois, une partie, une grande partie même de notre énergie ne nous est pas accessible. C'est pourquoi, très souvent, on ne peut pas faire grand chose, on n'a pas beaucoup d'énergie, elle est bloquée, étouffée, réprimée. Mais en méditation, surtout quand on a pratiqué la méditation avec un certain succès, ces énergies qui sont bloquées, étouffées et réprimées sont libérées très naturellement et spontanément, et sont doucement menées ou guidées dans la même direction. L'état de conscience supérieur est un état plus unifié, une expérience plus unifiée. Il n'y a ni conflit, ni division, et par conséquent on fait l'expérience d'un plus grand accès d'énergie. L'énergie s'élève en nous : ce n'est pas une énergie seulement physique, bien que la vitalité physique puisse se trouver renforcée. Il s'agit plutôt d'une énergie psychique, voire émotionnelle, qui est libérée au cours de la pratique de la méditation. Cette expérience de libération d'énergie est intensément agréable, et l'état de conscience supérieure est donc un état de bonheur, de réjouissance, de joie, d'extase, voire de félicité. Autrement dit, c'est un état de positivité émotionnelle intense dont on ne fait que rarement, sinon jamais, l'expérience par ailleurs.
On remarque alors un fait étrange, très intéressant, qui est que lorsque l'on est heureux, vraiment heureux, on a tendance à ne pas penser, du moins à ne pas penser inutilement. On peut dire qu'une grande partie de nos pensées est inutile, qu'une grande partie de nos pensées est simplement basée sur l'anxiété - et dans l'état de conscience supérieur, méditatif, il n'y a pas de pensée. Du moment où l'on pense, on ne médite pas, du moins pas très sérieusement. Quand je dis que dans l'état de conscience supérieur méditatif il n'y a pas de pensée car c'est un état très heureux, un état de félicité, je ne veux bien sûr pas dire qu'il n'y a pas de conscience. D'ailleurs, avec l'absence de pensée, de pensée discursive, la conscience est plus claire, plus brillante et plus forte que jamais.
Voilà donc quelques-unes des différences entre la conscience méditative, le niveau de conscience dont on fait l'expérience en méditation, et la conscience humaine ordinaire. La conscience méditative dépend moins des sens physiques, elle est plus concentrée, plus unifiée, plus vivante ; c'est un état de plus grande félicité, sans pensée discursive.
Les dhyânas ou la concentration dans la méditation.
Pour décrire ce genre d'état, cet état de conscience supérieure dans la méditation, il y a un terme très employé dans le bouddhisme : c'est le mot « dhyâna », l'état de dhyâna (dhyâna en sanskrit, jhâna en pâli). Dhyâna est parfois traduit par « état superconscient », c'est-à-dire état de conscience intensifiée en même temps que de concentration, et état d'énergie et de joie plus intenses.
Il y a plus d'un dhyâna ou état superconscient accessible à l'homme. Il y en a toute une série, et dans la tradition bouddhique on parle souvent des quatre dhyânas ou quatre états ou niveaux de superconscience successivement plus élevés. Dans la tradition bouddhique, ils sont décrits de deux manières différentes.
Premièrement, ils sont décrits de manière psychologique, selon les facteurs mentaux ou psychiques qui les constituent. On dit par exemple que dans le premier dhyâna il y a une activité mentale subtile, et il y a concentration, bonheur et joie. C'est l'expérience du premier dhyâna, du premier des états méditatifs superconscients. Le second dhyâna représente une sorte de simplification. La pensée discursive s'atténue et il ne reste que concentration, bonheur et joie. Lorsqu'on atteint le troisième, il y a encore une simplification : il ne reste que concentration et bonheur. Et dans le quatrième état de dhyâna le bonheur, qui est une expérience comparativement grossière, cède la place à l'équanimité, ce qui donne simplement concentration et équanimité. Ce genre de description psychologique donne une assez bonne idée de ce que sont les dhyânas, mais ne décrit peut-être pas très bien ce que c'est que d'en faire l'expérience.
La tradition bouddhique nous offre donc une autre manière de décrire les quatre dhyânas, à l'aide de métaphores et de comparaisons. Le premier dhyâna, ou plutôt l'expérience du premier dhyâna, est décrit comme étant semblable à l'action de mélanger de la poudre de savon avec de l'eau. On pourrait croire que ceci est une comparaison moderne, mais elle est en fait très ancienne et date de l'époque du Bouddha. C'est comme si, prenant de la poudre de savon et de l'eau, on mélangeait les deux jusqu'à ce que chaque particule de savon soit saturée d'eau et qu'il ne reste pas une goutte d'eau, de sorte que l'on obtienne une boule de poudre de savon complètement saturée d'eau, sans eau restant à côté. Le premier dhyâna est semblable à cela. C'est un état entier, un état où les conflits sont surmontés, un état d'unification. Le premier dhyâna est comme cela - tout schisme est cicatrisé.
L'expérience du second dhyâna est décrite comme étant semblable à un lac alimenté par une source souterraine. Sans cesse, de l'eau fraîche et claire jaillit des profondeurs du lac.
Dans le troisième dhyâna, on est comme des lotus poussant dans l'eau, complètement baignés et imprégnés d'eau.
Et dans le quatrième dhyâna, on se sent comme celui qui, ayant pris un bain par une très chaude journée, en sort, s'enveloppe d'un drap d'un blanc pur et reste là, assis. Voilà comment on se sent lorsque l'on émerge du quatrième dhyâna ou que l'on en fait l'expérience.
Voici donc les quatre comparaisons traditionnelles qui tentent de donner une idée de l'expérience même de ces quatre dhyânas, ces états de conscience méditative supérieure.
La méditation comme unification et inspiration.
Les comparaisons qui précèdent ne suffisent peut-être pas, ne sont peut-être pas adéquates. Il y a une autre façon de décrire les quatre dhyânas : ce sont les quatre niveaux de l'absorption dans la méditation. Cette description n'est pas traditionnelle, elle est plutôt basée sur mon expérience et ma réflexion personnelles, et elle cherche, en un français simple, à expliquer ce que sont les quatre dhyânas, à donner une idée de ce à quoi ressemblent ces expériences. Dans un langage simple, nous pouvons dire que les quatre dhyânas sont, dans l'ordre, les états ou étapes d'unification, d'inspiration, de saturation et de radiation. Qu'entendons-nous par là ? Regardons-les de plus près, puis nous passerons à des méthodes spécifiques de méditation.
La méditation comme unification.
Tout d'abord, l'étape d'unification. Une unification est un rassemblement de choses diverses pour en faire un tout. Cela ne veut pas du tout dire tenir ces choses ensemble par la force, au moyen de quelque lien externe, mais les rassembler en les subordonnant harmonieusement à un principe commun, ou même en les rassemblant, en les regroupant autour d'un centre d'intérêt commun. Dans le contexte présent, celui du développement personnel ou de la méditation, l'unification est surtout psychologique et ce qui est rassemblé et unifié, ce sont les différents aspects et les différentes fonctions de l'esprit même. Quand on médite, quand on essaie de se concentrer, le principe ou le centre d'intérêt commun est ce que l'on appelle le sujet de la méditation, ou l'objet matériel ou mental sur lequel on centre l'attention de façon préliminaire ; cela peut être un mantra, la respiration, ou un disque de couleur.
Cette unification psychologique se fait de deux façons : horizontalement et verticalement. La première, l'unification horizontale, représente un rassemblement de nos états mentaux et de nos fonctions mentales au sein de la conscience. C'est une unification de tous nos intérêts et énergies conscients, et c'est relativement facile à faire, du moins pendant un court moment. Mais la seconde, l'unification verticale, consiste à rassembler le conscient et l'inconscient et leurs contenus respectifs. Autrement dit, cela consiste en une unification de tous les intérêts et énergies de l'esprit conscient et de tous les intérêts et énergies de l'esprit inconscient, et cela est beaucoup plus difficile parce que les deux tirent très souvent dans des directions opposées. Mais ici, ils s'unissent peu à peu, ils trouvent une direction commune, un but commun. L'énergie commence donc à affluer de l'esprit inconscient vers l'esprit conscient, et la concentration devient plus facile. On constate que l'on peut rester assis plus longtemps en méditation. On éprouve une sensation d'harmonie et de repos, une absence de conflit. Voilà donc l'étape d'unification.
La méditation comme inspiration.
Ensuite, l'étape d'inspiration. « Inspiration » vient d'un mot signifiant simplement « respirer » : l'inspiration est ce que l'on respire et qui vient d'en dehors de nous-même, en dehors du nous de tous les jours, ordinaire et conscient. Cela nous vient des hauteurs (ou des profondeurs ; le terme n'a pas d'importance) d'une autre dimension, d'un autre niveau de conscience, que l'on peut appeler soit plus haut, plus élevé, soit plus profond. D'habitude, cette inspiration, cette « autre chose » qui vient en nous, est ressentie impersonnellement, comme un principe, une force, une énergie, mais elle peut aussi parfois être ressentie comme une personne. Les poètes, par exemple, surtout ceux des temps anciens, parlent de la visite - ou de l'absence - de la Muse, c'est-à-dire des forces de l'inspiration poétique. Autrefois, le poète invoquait régulièrement la Muse au début d'un poème, se mettant ainsi en contact avec les forces, les énergies spirituelles que l'image de la Muse représente ou incarne. Il s'y ouvrait, s'y rendait réceptif, car si la Muse ne l'inspirait pas, il ne pouvait rien faire. Si la Muse ne l'inspirait pas, il n'était même pas un poète, mais n'était qu'un homme ordinaire. Plus tard, l'invocation de la Muse est devenue une convention littéraire sans vie, mais à l'origine il s'agissait clairement d'une expérience émotionnelle et spirituelle éblouissante. D'ailleurs, qu'on invoque formellement la Muse ou non, sans une certaine forme d'inspiration aucun poème, aucun art n'est possible.
Ce pouvoir d'inspiration peut être aussi ressenti d'autres manières en tant que personne. Les poètes parlent de la visite de leur Muse, les prophètes parlent d'entendre la voix de Dieu, ou ce qu'ils pensent être ou interprètent comme étant la voix de Dieu. Cette voix peut leur venir en rêve ou en état d'éveil. Ils entendent la voix qui les appelle, ou qui leur dit de faire ou de dire quelque chose ; parfois elle leur dit de faire ou de dire quelque chose qu'ils ne comprennent pas. Ils n'en comprennent pas la raison ou le sens, mais ils obéissent cependant, parfois avec bien du mal. S'ils n'obéissent pas, il semble qu'ils éprouvent une grande gêne.
Dans la littérature bouddhique, et surtout dans celle du Mahayana, on trouve beaucoup de références à ce que l'on appelle les nagas. Les nagas sont aussi représentés en art comme des serpents à tête humaine, ou parfois des figures humaines avec des collerettes de serpent. Ils vivent dans les profondeurs de l'eau, des fleuves, des océans et des rivières, et représentent les forces de l'inspiration qui remontent des profondeurs. Dans la littérature bouddhique tantrique, il y a aussi référence aux dakinis. Le mot « dakini » vient signifiant « espace » ou « ciel » et, en tibétain en tous cas, il est parfois traduit par « celle qui voyage dans l'espace », ou « celle qui marche dans le ciel ». Les dakinis représentent les forces actives d'une inspiration plus élevée se déplaçant librement dans la vaste étendue de la réalité. Dans l'art bouddhique, sur les peintures des temples ou les thangkas, les dakinis sont de belles jeunes femmes qui volent en l'air, avec des écharpes d'arc-en-ciel traînant derrière elles. Voilà les dakinis, les forces de ces inspirations spirituelles supérieures. Quand on les ressent qui remontent des profondeurs, ces forces d'inspiration semblent nous soulever aussi. Quand on les ressent qui descendent des hauteurs, elles semblent se baisser et nous attraper pour nous élever à leur niveau. Dans les deux cas, l'expérience est la même : on se retrouve à un niveau plus élevé, on est porté comme sur la crête d'une vague, comme sur le dos d'un cheval ailé, on est emporté par quelque chose de plus puissant que nous-même, et en même temps cette autre chose fait toujours partie de nous. C'est un autre aspect, une autre dimension de nous-même, que l'on soit ou non en rapport avec elle. De la même façon, que ce soit ou non en rapport avec la pratique formelle de la méditation assise, l'inspiration est une étape très importante du développement personnel. C'est une étape intensément agréable, une étape d'extase même, où l'on se sent plein d'énergie, où les choses se font spontanément, sans effort. On n'a pas l'impression de faire quoi que ce soit, on a l'impression de ne rien faire du tout, et pourtant les choses se font très bien d'elles-mêmes.
Ces étapes d'unification et d'inspiration sont donc assez facilement accessibles. La plupart des gens en feront l'expérience, du moins parfois, après quelques mois de méditation régulière, et surtout lors d'une retraite organisée, en groupe. C'est pour cette raison que je viens d'y consacrer un certain temps. Les autres étapes sont plus difficiles à atteindre ; je vais donc les décrire beaucoup plus brièvement.
La méditation comme saturation et radiation.
La méditation comme saturation.
Troisièmement, donc, l'étape de saturation. La meilleure façon de la décrire est de la mettre en contraste avec l'étape précédente. Dans l'étape d'inspiration, il y a deux choses : d'un côté il y a l'état d'unification horizontale et verticale qui se poursuit depuis l'étape d'unification. De l'autre côté, il y a un niveau de conscience plus élevé qui afflue vers un niveau moins élevé, que cela vienne des profondeurs ou des hauteurs, et c'est cet afflux qui est ressenti comme inspiration. Pendant que cet afflux continue, la conscience supérieure (ce que l'afflux représente) pénètre petit à petit dans la conscience inférieure, jusqu'à, finalement, l'imprégner complètement. Elle en assimile toutes les énergies, et c'est pourquoi cette étape est celle de saturation. L'inspiration prend le dessus et s'infiltre complètement dans ce qui était, par comparaison, un niveau de conscience inférieur. Non seulement le niveau de conscience plus élevé est-il ressenti comme saturant le niveau moins élevé ; il est aussi ressenti comme saturant le monde extérieur. Cette étape, ce niveau de conscience plus élevé est ressenti non seulement en nous, nous remplissant complètement, mais aussi à l'extérieur, remplissant complètement le monde. Cet état est en nous, mais nous sommes aussi en lui. C'est comme si nous étions complètement saturé par l'eau et en même temps nagions dedans, ou bien comme si nous étions un ballon flottant en l'air - vide, creux, plein d'air et en même temps flottant en l'air, entouré d'air. Il y a le même élément, la même conscience, le même état de conscience plus élevée à l'intérieur et à l'extérieur de nous, et entre les deux il n'y qu'une fine membrane transparente, qui est nous-même, notre propre sensation de « moi ».
La méditation comme radiation.
Quatrièmement et dernièrement, l'étape de radiation. Il y a une grande différence entre cette étape-ci et les trois étapes précédentes. Les trois premières étapes se contiennent en elles-mêmes, elles représentent l'esprit qui fait l'expérience de lui-même. L'esprit est tourné vers lui-même, concerné avant tout par ses propres états internes, par sa propre expérience. Mais ici, dans l'étape de radiation, l'esprit est tourné vers l'extérieur. Ici, l'esprit n'est pas touché ou influencé par le monde : c'est lui qui influence le monde, qui agit même sur le monde. Ce que j'appelle « le monde », c'est ce qu'on peut appeler le monde de la « réalité extérieure », le monde des choses externes, des personnes et des événements. Dans cette étape de radiation, la conscience a donc atteint un degré d'intensité très élevé. Elle est très unifiée, très positive, très forte, et est entourée, si l'on peut dire, d'une grande aura qui la protège d'influences extérieures. En même temps, cette aura agit comme le moyen d'influencer le monde extérieur. Cela ressemble un peu à une grande ampoule électrique : le verre de l'ampoule protège le filament, et en même temps la lumière est transmise à tout l'espace environnant. L'ampoule irradie la lumière. Traditionnellement, on dit que cette quatrième étape sert de base au développement de ce que l'on appelle les « pouvoirs psychiques », les pouvoirs qui dépassent l'ordinaire, et cela nous donne un indice quant à la nature de cette étape. Le mot signifiant « pouvoirs psychiques » est iddhi ou riddhi, et c'est un mot intéressant qui avait à l'origine une signification générale très large. On parlait par exemple de l'iddhi ou du riddhi du roi, de celui qui gouverne. Cela ne voulait pas dire que le roi avait des pouvoirs psychiques hors de l'ordinaire, mais simplement qu'il possédait une certaine puissance, ce qui est la traduction littérale du mot. Le roi, après tout, était le roi, et autrefois le roi avait pouvoir de vie ou de mort : où qu'il ait été, il avait un très grand effet sur son entourage. Et il en est de même pour l'étape de radiation. Notre état de conscience est si puissant que, même sans être touché nous même, nous pouvons avoir un effet sur les autres. Nous pouvons produire des effets qui semblent miraculeux ; nous pouvons donner de la force à ceux qui sont faibles, nous pouvons surmonter la haine par l'amour, nous pouvons, d'une certaine façon, redonner la vie aux morts, ou réveiller ceux qui sont endormis. Mais, comme le dit le proverbe indien, on peut réveiller ceux qui dorment mais on ne peut pas réveiller ceux qui font semblant de dormir !
Voilà donc les quatre dhyânas, quatre niveaux de conscience successivement plus élevés dans la méditation : les étapes d'unification, d'inspiration, de saturation et de radiation. Il est temps maintenant de nous demander rapidement comment les atteindre.
La méditation de metta bhanava
La méditation est la méthode de développement personnel, mais cela ne suffit pas. D'une certaine façon, il n'y a rien de tel que la méditation ; on ne peut pas simplement pratiquer la méditation, simplement méditer. Il y a un certain nombre de méthodes spécifiques, et pratiquer la méditation signifie en fait avoir recours à l'une, à l'autre, ou à plusieurs de ces méthodes. Le bouddhisme est très riche en méthodes de méditation. Certaines sont communes à toutes les écoles, tandis que d'autres sont, si l'on veut, la propriété exclusive de certaines traditions. Certaines méthodes sont destinées à des personnes d'un certain tempérament, d'autres le sont à ceux qui veulent développer certaines qualités, ou des aspects particuliers d'eux-mêmes, ou surmonter une faiblesse particulière.
Pour illustrer cela, je vais décrire une méthode particulière. C'est une méthode qui sera sans doute familière à certaines personnes mais complètement nouvelle à d'autres qui n'ont pas, jusqu'à présent, eu de curiosité pratique pour la méditation. Cette méthode s'appelle en pâli le metta bhanava. Metta signifie simplement « bienveillance », mais dans un sens positif, très puissant, un sens que ce mot ne possède pas vraiment en français. Et bhavana signifie « amener à exister », ou « développement ». On peut donc traduire metta bhavana par « développement de la bienveillance universelle », ce qui est sans doute l'une des méthodes les plus importantes et effectives de développement personnel. Elle sert surtout à ceux qui veulent atteindre des états de conscience plus élevés en surmontant la haine et en développant la bienveillance. Comme toutes les autres méthodes de méditation, cela nous rappelle une chose extrêmement importante : on peut changer, la conscience peut être restructurée, re-développée - dans cet exemple particulier, la haine peut être transformée en amour. Et nous pouvons dire que c'est là un des points forts du bouddhisme : il ne nous exhorte pas seulement à aimer notre prochain - c'est facile à dire - mais il nous montre aussi exactement comment le faire. Des exhortations morales ne suffisent pas : on a besoin d'aide pratique, sans quoi on ne ressent que frustration et ressentiment, et on peut même commencer à se demander si le développement personnel est vraiment possible.
On pratique d'habitude le metta bhavana en cinq étapes successives. On développe tout d'abord la bienveillance envers soi-même, parce que c'est là qu'elle commence : si l'on n'est pas heureux avec soi-même, si l'on n'est pas à l'aise avec soi-même, si l'on ne s'aime pas - et de nos jours beaucoup de gens, malheureusement, ne s'aiment pas -, on ne peut pas aimer les autres. Notre amour des autres ne peut pas être ce que Nietzsche appelait « notre mauvais amour de nous-même », c'est-à-dire notre aversion envers nous-même. Soyez donc bienveillant envers vous-même. Ayez de bons rapports avec vous-même. Aimez vous, même, si vous voulez employer le terme. Charité bien ordonnée commence vraiment par soi-même - et soi-même c'est bien soi-même, ici. Voilà où l'on commence. On développe la bienveillance envers soi-même, puis on l'étend vers l'extérieur.
On étend sa bienveillance envers un ami proche et cher, quelqu'un que l'on connaît personnellement bien, quelqu'un qui a à peu près le même âge, quelqu'un qui est du même sexe - parce que le sentiment de bienveillance ou d'amour n'est pas un sentiment érotique, il en est très distinct -, et quelqu'un qui est en vie, car en pensant à quelqu'un qui est récemment décédé on pourrait se sentir triste et trouver le développement du sentiment de bienveillance difficile. Un ami proche et cher, donc.
Puis, une personne neutre. Une personne que l'on connaît bien de vue, que l'on a peut-être rencontrée plusieurs fois sans avoir de sentiment particulier envers elle. Elle ne nous plaît ni ne nous déplaît. On essaie d'étendre le même sentiment que l'on avait pour soi, puis pour un ami, et maintenant pour cette personne neutre.
Puis, quatrièmement, une personne que nous n'aimons pas, voire que nous détestons. Quand nous en venons à cette quatrième étape nous trouvons d'habitude, avec un peu de pratique, que nous avons un tel élan de bienveillance qu'il est assez facile de se sentir assez chaleureux envers cette personne avec laquelle nous ne nous entendons d'ordinaire pas du tout. Tous nos sentiments de haine, d'antagonisme, d'inimitié se trouvent dissous et on se retrouve à vouloir laisser le passé derrière nous et recommencer à zéro avec cette personne. Et très souvent, lorsqu'on la rencontre la fois suivante, on se sent complètement différent, on agit complètement différemment et une nouvelle phase commence dans notre relation.
Ensuite, on va un peu plus loin : on pense à ces quatre personnes simultanément : soi-même, l'ami, la personne neutre, la personne difficile, et on développe le même amour, la même bienveillance envers les quatre. Puis, en des cercles toujours plus grands, on continue en développant cet amour, cette bienveillance, envers les personnes qui sont dans le bâtiment où l'on se trouve, puis dans la ville, dans le département, le pays, le continent, le monde. Si on le veut, on peut penser à tous nos amis, un par un, qui sont dans différentes parties du monde, comme si on les cochait sur notre liste de metta ; et l'on peut même penser à d'autres êtres vivants, aux animaux, aux oiseaux ; on peut aussi peut-être penser à tous les mondes, à tous les univers, dont certains doivent tout de même être habités. C'est en tous cas ce que dit la tradition bouddhique, et on peut laisser la metta s'étendre jusque dans les coins les plus distants de l'univers.
Une fois que l'on a terminé cette pratique, qui prend environ cinquante minutes, on se sent certainement très expansif, on sent que la bienveillance a été cultivée dans notre cœur et que, pour le moment du moins, la haine a été abolie et transformée en amour.
Voici donc un exemple très simple, très connu, et très populaire, d'une méthode de méditation bouddhique qui marche vraiment, qui a marché pour des milliers, des millions de personnes au cours des siècles, et qui marche toujours pour beaucoup de personnes aujourd'hui.
Le développement des émotions positives.
Cette pratique du metta bhavana, du développement de la bienveillance universelle, n'est cependant pas une pratique isolée. Elle fait partie d'une série de quatre pratiques connues sous le nom des quatre états incommensurables (les quatre brahma viharas) ou quatre états illimités, parce que l'on essaye de développer l'émotion appropriée sans aucune limite. Les trois autres pratiques sont le développement de la compassion, de la joie sympathique, et de l'équanimité. Ces émotions ne sont pas séparées de la metta : la metta est la base de toutes. Lorsque nous rencontrons la souffrance - ou lorsque notre metta rencontre la souffrance -, nous ressentons de la compassion. Lorsque notre bienveillance rencontre la joie des autres, il y a une réponse de joie sympathique. Et quand la metta, la bienveillance et la joie sympathique sont développés également envers tous, alors apparaît un état d'équanimité. Cette équanimité n'est pas l'indifférence : il n'y a pas d'équanimité sans bienveillance.
On pourrait aussi ajouter à ces quatre états la révérence ou la dévotion, que l'on ressent lorsque la metta, la bienveillance, est dirigée vers l'idéal spirituel. Ces cinq états de bienveillance, de compassion, de joie sympathique, d'équanimité ou de paix et de dévotion sont les émotions positives principales dont le développement est considéré comme très important par le bouddhisme. Elles occupent en fait une place centrale dans la vie spirituelle et lorsqu'elles sont pleinement développées, elles constituent ce que techniquement l'on nomme « la libération du cœur ». Aujourd'hui, à la fin du XXème siècle, le développement de l'émotion positive a plus d'importance que jamais. Sans émotion positive, il n'y a pas de vie spirituelle. Beaucoup de personnes, en Occident, ne s'en rendent malheureusement pas compte. Elles pensent que la religion est morne et triste, ce qui est peut-être le cas, mais ce n'est certainement pas le cas du bouddhisme, du Dharma, ni du développement personnel. J'irai même jusqu'à dire, basé sur mes années d'expérience avec la Communauté bouddhiste Triratna et sur les personnes qui y sont venues pendant ce temps, que sans de fortes émotions positives, aucun progrès spirituel n'est possible. Sans émotions positives bien développées, aucun progrès spirituel n'est possible. Cela veut donc dire que le devoir de beaucoup de personnes envers elles-mêmes et envers les autres est simplement d'être heureux, de développer la bienveillance, la compassion, la joie sympathique, l'équanimité, la révérence et la dévotion.
Au début, quand je suis revenu en Angleterre après vingt ans passés en Orient, j'ai constaté qu'il n'y avait pas beaucoup d'émotion spirituelle dans les milieux bouddhistes de ce pays. Je me souviens de ma première rencontre de Vésak - la plus grande fête bouddhique de l'année - après mon retour d'Inde. En regardant les gens dans la salle, je ne pouvais m'empêcher de remarquer, de voir et de sentir que tout le monde avait l'air morne et triste, et au cours de ma présentation j'en ai fait la remarque, disant : « Nous nous sommes réunis aujourd'hui pour célébrer Vésak, l'Éveil du Bouddha, mais vous n'avez pas l'air très réjouis ! C'est comme si vous regrettiez que le Bouddha ait atteint l'Éveil, plutôt que de vous réjouir pour cette commémoration ! » Quelques personnes ont rit, très faiblement. C'était ma première expérience après mon retour dans ce pays, et je ne l'ai jamais oubliée. Aujourd'hui, cependant, les choses se sont considérablement améliorées.
Deux sortes de méditation bouddhiste.
J'ai dit que la méditation bouddhiste est la méthode de développement personnel. J'ai décrit le metta bhavana. J'ai insisté sur l'importance de l'émotion spirituelle positive en tant que « libération du cœur ». Mais même cela ne suffit pas ! On peut aller plus loin. On doit même aller plus loin si l'on veut compléter le processus de développement personnel, car il y a deux sortes de méditation bouddhiste, et je veux en dire quelques mots avant de conclure.
Il y a ce que l'on appelle le développement du calme. C'est la première grande division de la méditation bouddhiste. Cela représente le fait de calmer tous les états mentaux non favorables, ainsi que le développement d'états favorables au degré le plus élevé possible ; cela couvre la méditation telle que je l'ai décrite jusqu'ici, et représente clairement une réalisation très élevée. Mais le développement du calme a des limitations. Il peut être atteint, mais également perdu, puis atteint à nouveau et à nouveau perdu. Pour l'atteindre de façon permanente, il faut avoir recours à la seconde sorte de méditation, plus élevée, qui n'est pas le développement du calme (samatha), mais est le développement de la vue pénétrante (vipassana). Ici, vue pénétrante veut dire vision directe, expérience directe de la véritable nature de l'existence. Ici, on voit le monde tel qu'il est ; on voit aussi ce qui est au-delà du monde, et cela aussi on le voit tel que c'est. On voit que le monde conditionné, phénoménal, est insatisfaisant, impermanent, irréel, laid, et on voit que ce qui est au-delà du monde, l'Inconditionné, est heureux, permanent, réel et beau. Voyant cela on tourne finalement le dos au monde, au conditionné, et on se tourne en permanence dans la direction de l'Inconditionné. On se retourne en fait complètement ; c'est le fameux « retournement dans le siège le plus profond de la conscience ». Et de cette façon, la vue pénétrante dépasse le calme, sans pour autant en être complètement indépendante. La vue pénétrante est développée sur la base du calme, ce qui veut dire qu'elle a derrière elle les énergies purifiées et raffinées de tout notre être. Et puisqu'elle a derrière elle cette énergie purifiée et raffinée de tout notre être, elle peut pénétrer dans les profondeurs de l'existence. La vue pénétrante n'est donc pas simplement une question de compréhension intellectuelle, bien que le contenu de cette vue pénétrante puisse jusqu'à un certain point être exprimé en termes intellectuels. La vue pénétrante est une vision spirituelle directe, une expérience directe de la réalité ultime, et lorsqu'elle est pleinement développée, on atteint ce que l'on appelle « la libération par la sagesse ». Et ensemble, la libération du cœur et la libération par la sagesse constituent ce que l'on appelle l'Éveil parfait.
Le calme et la vue pénétrante sont donc tous deux nécessaires. Le cœur purifié doit être uni à l'esprit éclairé. L'amour et la compassion doivent être unis à la sagesse. En réussissant à faire cela, notre développement personnel sera complet ; en atteignant ce point nous aurons fait plein usage de cette méthode de développement personnel. Et ayant fait plein usage de cette méthode, nous commencerons à voir le monde, l'existence humaine, d'une façon très différente. Nous commencerons à voir le monde et l'existence humaine comme un Bouddha les verrait.
'A method of personal development' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1976, traduction © Dhatvisvari 2003.