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Idéal du bodhisattva 2 - L'éveil du cœur de bodhi, ou bodhicittotpada

Maintenant que nous avons une idée de qui, ou de ce qu'est un bodhisattva, la question qui suit est : comment devient-on un bodhisattva ? Comment s'embarque-t-on pour la réalisation de cet idéal spirituel sublime ? La réponse traditionnelle est courte et directe, bien qu'elle demande énormément d'explications : on devient un bodhisattva, orientant personnellement tout son être dans la direction de l'Éveil pour le bien de tous les êtres sensibles, lors de l'éveil du « cœur de bodhi ».

Le terme sanskrit ainsi traduit est bodhicittotpada (bodhicitta + utpada), un des termes les plus importants de tout le champ du bouddhisme Mahâyâna. Comme nous l'avons vu, bodhi veut dire Éveil ou illumination. Citta, l'un des termes aux multiples facettes si souvent rencontré dans le sanskrit bouddhique, veut dire esprit, pensée, conscience, cœur... tout cela ensemble. Utpada veut dire simplement s'élever ou, plus poétiquement, s'éveiller.

Bodhicittotpada est parfois traduit par « apparition de la pensée d'Éveil », mais c'est exactement ce que ce n'est pas. Nous pouvons penser à l'Éveil autant que nous le voulons. Nous pouvons lire à son propos, y penser, en parler. « L'Éveil est à la fois sagesse et compassion » disons-nous, comme si simplement dire ces mots signifiait que nous savons tout à son sujet. Mais quoi que nous disions, quoi que nous pensions, la bodhicitta ne s'est pas élevée en nous. Penser à l'Éveil ne nous a certainement pas transformé en bodhisattva. La bodhicitta n'est donc pas juste une pensée à propos de l'Éveil ; c'est beaucoup plus que cela. Guenther traduit ce mot par « attitude éveillée » ; la traduction que je préfère personnellement est « volonté d'Éveil » ou, comme ici, « cœur de bodhi ».

Toutes ces traductions sont bien meilleures que « pensée d'Éveil », mais aucune n'est totalement satisfaisante. Ce n'est pas tant la faute de la langue française que la faute du langage même. En fait, bodhicitta est un terme très insatisfaisant pour exprimer la bodhicitta. La bodhicitta n'est pas du tout un état d'esprit, une activité ou une fonction. Ce n'est certainement pas une pensée que vous et moi pourrions avoir. Cela n'a rien à voir avec la pensée. Ce n'est même pas un acte de volonté comme nous l'entendons habituellement. Ce n'est pas notre volonté personnelle. Ce n'est pas non plus « être conscient » si l'on entend par là seulement être conscient du fait qu'il y a une chose telle que l'Éveil.

La bodhicitta représente la manifestation, voire l'irruption en nous de quelque chose de transcendant : l'émergence à l'intérieur de notre expérience ordinaire de quelque chose d'une nature complètement différente. L'auteur d'un ouvrage court mais profond appelé le Bodhicittavivarana (auteur considéré comme étant Nagarjuna, mais pas le Nagarjuna qui est le célèbre philosophe du Madhyamaka) décrit la bodhicitta comme étant « libre de tout ce qui pourrait la déterminer, c'est-à-dire qu'elle n'est pas incluse dans les catégories des cinq skandhas. »

Les skandhas sont les catégories traditionnelles à partir desquelles toute l'existence et toute l'expérience phénoménale peuvent être décrites et classées. Ce classement est extrêmement important dans la pensée bouddhique. Pour parvenir à une compréhension de la philosophie et de la métaphysique bouddhiques, on a besoin d'une idée claire de ce que sont les cinq skandhas. Skandha, un autre terme plus ou moins impossible à traduire, veut dire littéralement tronc d'arbre, et la traduction standard (guère plus éclairante) est « agrégat » ou « amas ».

Le premier skandha est le rupa qui veut dire « forme corporelle », c'est tout ce qui est perçu par les sens. Le deuxième skandha est la vedana : la « sensation » (agréable, douloureuse, ou neutre - ni agréable ni douloureuse). En troisième, il y a la samjña, que l'on peut traduire approximativement par  « perception » : le fait de reconnaître quelque chose comme étant une chose particulière, comme lorsque nous percevons et nommons un arbre, par exemple. Le quatrième skandha est formé des samskaras, terme que certains érudits traduisent par « forces dirigeantes », mais qui est mieux rendu par « activités volitionnelles » ou « tendances naturelles », actes de volonté, etc. Et le cinquième skandha est la vijñana ou conscience : la conscience à travers les cinq sens physiques et à travers l'esprit à différents niveaux.

Dans toute la gamme de notre existence psycho-physique, à tous les niveaux, il n'y a rien qui ne soit inclus dans l'une au moins de ces catégories. Le texte du Mahâyâna appelé le Soûtra du cœur commence avec le bodhisattva Avalokiteshvara, demeurant dans la profonde Perfection de la Sagesse, contemplant le monde et voyant les cinq skandhas, rien que cela. Il voit que l'existence psycho-physique, l'existence conditionnée tout entière consiste en ces cinq choses et rien d'autre. Rien n'existe, rien ne se passe, au niveau de l'existence conditionnée, qui ne puisse être catégorisé dans un ou plusieurs de ces cinq skandhas.

Mais la bodhicitta n'est pas incluse dans les cinq skandhas, ce qui signifie que c'est quelque chose de tout à fait en dehors de ce monde, quelque chose de transcendant. Ce n'est pas une pensée, pas une tendance, pas une idée, pas un concept mais, si nous devons utiliser des mots, une profonde expérience transcendantale qui réoriente tout notre être. Comme le Bodhicittavivarana le dit ensuite, la bodhicitta est caractérisée par la vacuité perpétuelle.

On peut ici faire une analogie (et c'est seulement une analogie, ne suggérant aucune équivalence) avec un aspect de la tradition chrétienne. Si un chrétien dit qu'il « pense à Dieu », même s'il est très pieux, cela ne peut être décrit comme étant une expérience spirituelle. Qu'il pense à Dieu comme à un vieux monsieur assis dans les nuages, ou comme à un être pur, ou comme à quoi que ce soit, il ne fait que penser à Dieu. Mais s'il parle d'avoir fait l'expérience de la descente du Saint Esprit, cela est tout autre chose. Si l'on fait une analogie entre simplement penser à l'Éveil et penser à Dieu, l'apparition de la bodhicitta est analogue à la descente en nous, en pleine force, du Saint Esprit.

Cette analogie ne doit pas estomper la différence entre la bodhicitta et le Saint Esprit en tant que concepts. En les comparant, nous remarquons que le concept de bodhicitta a une origine plus psychologique que cosmologique. Les différences entre le concept de Dieu dans le sens orthodoxe chrétien, et ce que l'on entend vraiment par bodhicitta sont évidentes. Mais il n'est pas utile d'être pédant à propos de terminologie : si l'on utilise le terme Dieu de façon générale pour indiquer une sorte d'élément transcendant dans l'univers, alors, peut-être, l'idée de Dieu a-t-elle quelque chose en commun avec la notion du bodhicitta - bien que les deux ensembles de concepts expriment généralement des positions spirituelles tout à fait contraires.

L'apparition de la bodhicitta est une expérience spirituelle profonde. Ce n'est cependant pas une expérience personnelle. Une autre caractéristique fondamentale de la bodhicitta, abordée elle aussi dans le Bodhicittavivarana, est qu'elle n'est pas individuelle. Il est possible de dire que la bodhicitta est apparue chez cette personne ou chez cette autre et l'on pourrait donc penser qu'il existe un certain nombre de bodhicittas (ta bodhicitta, sa bodhicitta, ma bodhicitta) comme autant d'idées lumineuses que nous pourrions avoir chacun indépendamment l'un de l'autre. On pourrait avoir l'impression qu'il y a une merveilleuse multitude de bodhicittas, apparaissant chez des personnes différentes, faisant de chacune un bodhisattva. Mais il n'en est pas ainsi. Il n'y a qu'une bodhicitta à laquelle des individus participent, ou que des individus rendent manifeste, à des degrés divers.

Cela veut dire qu'il est plus probable que la bodhicitta apparaisse dans une communauté spirituelle, dans une situation d'amitié spirituelle intense et d'encouragement. Il n'est pas nécessaire que la « communauté spirituelle » soit un cercle spécifique et fermé de personnes. Et, bien sûr, il est possible de progresser spirituellement tout seul : beaucoup le font. Cependant, la plupart d'entre nous avons besoin du soutien d'autres personnes suivant la même voie de pratique. Même lorsque l'on est seul, comme en retraite solitaire par exemple, on peut rester en contact avec d'autres personnes de la communauté spirituelle dans le sens où l'on est conscient d'elles. C'est ce genre de contact qui est le plus important, bien que la possibilité d'être relié mentalement ne doive pas servir d'excuse à la négligence d'autres moyens plus immédiats de contact et de communication.

La bodhicitta est supra-individuelle mais non collective, un concept plutôt difficile à appréhender. Avant de pouvoir faire une expérience supra-individuelle on doit d'abord parvenir à un certain degré de réelle individualité et autonomie, et cela n'est pas toujours facile. Il y a plusieurs stades bien clairs à suivre pour devenir une personne autonome. Pour commencer, il n'y a pas d'autonomie, il n'y a qu'une appartenance à une espèce ou à un groupe. Puis l'autonomie commence à apparaître, mais seulement par rapport au groupe. On peut alors distinguer trois sortes de personnes : la personne qui est dominée par le groupe, la personne qui domine le groupe, et la personne, ou réellement l'individualiste, qui se rebelle contre le groupe mais qui se définit encore par rapport à celui-ci. Au stade suivant, la personne devient autonome et est complètement libérée du groupe ; avançant plus encore, elle s'associe en toute liberté avec d'autres personnes autonomes, ce qui pourrait être une définition de la communauté spirituelle.

Mais on peut envisager quelque chose qui aille plus loin encore que cela. L'apparition de la bodhicitta est une expérience au-dessus et au-delà du niveau auquel un certain nombre de personnes autonomes s'associent et coopèrent librement. En même temps, elle naît d'une interaction intense entre des personnes autonomes. Elle n'est pas individuelle, comme une personne est individuelle, mais en même temps elle n'est pas quelque chose de collectif, une chose que toutes ces personnes ont en commun. En d'autres termes, à ce niveau il est bien difficile de trouver des mots qui puissent exprimer ce qui se passe ; somme toute, cependant, on peut dire que lorsqu'un niveau supérieur de conscience est apparu chez un certain nombre de personnes autonomes, alors la bodhicitta apparaît.

Le fait que la bodhicitta ne soit pas la possession ou l'accomplissement personnel de quelqu'un est illustré par un passage du Vimalakirti-nirdesha (L'enseignement de Vimalakirti), un texte du Mahâyâna dans lequel cinq cents jeunes licchavis qui désirent développer la bodhicitta présentent leur chacun leur ombrelle au Bouddha. Il change les cinq cents ombrelles en un baldaquin d'une grandeur spectaculaire. Inutile de dire que ce qui se passe vraiment n'est pas aussi simple que cette image le suggère. Il n'y a plus cinq cents unités, mais elles n'ont pas été réduites à une seule unité. Le baldaquin unique représente un tout autre ordre d'expérience, transcendant complètement les concepts d'identité et de différence. Le bouddhisme voit la réalité comme essentiellement diversifiée, avec une unité dans la différence et une différence dans l'unité. L'Avatamsaka Soûtra illustre ceci avec l'image de rayons lumineux de différentes couleurs rayonnant dans toutes les directions, s'entrecroisant et se traversant mutuellement. Tout n'est pas réduit à une seule chose, et cependant il y a unité. La différence révèle l'unité et l'unité rend la différence possible.

Un autre aspect de la nature de la bodhicitta est illustré dans le Mahâyâna par l'image de la pleine lune : la même bodhicitta apparaît dans des personnes différentes, comme la même lune est reflétée dans des flaques, des lacs ou des océans différents. Ceci, au moins, donne une idée d'une certaine caractéristique de la bodhicitta mais, comme toute image, elle a ses limites. La bodhicitta n'est pas littéralement un objet statique là-haut dont le simple reflet apparaît dans des personnes différentes ; en réalité c'est bien plus dynamique que cela.

La bodhicitta absolue et la bodhicitta relative.

La tradition du Mahâyâna prend en compte cette nature dynamique de la bodhicitta en faisant une distinction entre la bodhicitta « absolue » et la bodhicitta « relative ».

Il vaut mieux reconnaître tout de suite que l'on ne peut pas dire grand-chose à propos de la bodhicitta absolue. Dans son essence ultime, elle est au-delà de la pensée et au-delà de la parole. Mais certains grands maîtres ont cependant, en toute première approche, quelque chose à dire à son sujet : ils disent, par exemple, qu'elle est de la nature de la shunyata, de la vacuité, c'est-à-dire qu'elle est identique à la réalité ultime. Elle est imprégnée de l'essence de la compassion. Elle n'est pas un absolu gris, sans caractéristique ou inerte, elle vibre de la vie et de l'activité spirituelles que l'on nomme la compassion. Elle est comme une pure lumière, rayonnante et immaculée. Elle ne peut être ni touchée, ni salie, ni secouée. Qui plus est, elle transcende tant l'espace que le temps. Très mystérieux ! Disons seulement que même la bodhicitta absolue, bien qu'identique à la réalité elle-même, et donc au-delà du changement (ou plutôt au-delà de l'opposition entre changement et non-changement) n'est pas une chose statique et fixe (en fait, ce n'est pas du tout une « chose »).

La bodhicitta relative est plus compréhensible, plus accessible. On pourrait dire que c'est le reflet de la bodhicitta absolue dans la toile de l'existence conditionnée, le flot du temps, le processus cosmique. Nous devons ici toujours à être attentifs aux limites de l'imagerie : alors qu'un reflet n'est pas réel (la lune n'est pas réellement dans la flaque), la bodhicitta relative est vraiment dans les personnes en lesquelles elle semble apparaître, du fait du reflet en elles de la bodhicitta absolue. Et c'est une force active à l'œuvre dans le monde. C'est pour cela que la traduction « volonté d'Éveil » semble appropriée, spécialement quand on fait référence à la bodhicitta relative comme étant distincte de la bodhicitta absolue.

Le fait que la bodhicitta absolue et la bodhicitta relative partagent le même nom prête à confusion, leur nature étant si différente. Là encore, on rencontre la difficulté à trouver des termes appropriés. Il y a deux possibilités : soit utiliser des termes différents laissant ainsi entendre que les deux bodhicittas sont complètement différentes, soit utiliser le même terme, suggérant par là qu'elles sont identiques. Parler de bodhicitta absolue et de bodhicitta relative est opter pour l'identité, tandis que leur donner des noms bien différents serait aller vers l'autre extrême et opter pour la différence. La difficulté vient en partie, peut-être, de l'utilisation du terme « absolu ». La traduction de paramartha bodhicitta en bodhicitta absolue ne devrait pas suggérer l'existence d'un absolu unitaire, philosophique dans lequel tout doive être incorporé dans un sens hégélien. Paramartha bodhicitta, traduit littéralement, veut dire « bodhicitta dans son sens le plus élevé », ce qui rend les choses un peu plus claires.

Ces considérations sont d'une grande importance. On pourrait dire que la bodhicitta relative représente la voie, et la bodhicitta absolue le but. Dire que les deux sont identiques, comme dire que les deux sont différentes, est une grave erreur ; en fait, cela revient à détruire ce sur quoi la vie spirituelle est fondée. Elles ne sont ni identiques ni différentes. Parler de samvrtti bodhicitta et de paramartha bodhicitta est peut-être la meilleure des solutions possibles, permettant de concevoir à la fois l'identité et la différence, l'unité étant évoquée par le même nom et la différence par les adjectifs différents.

Un effet de la distinction entre la bodhicitta absolue et la bodhicitta relative est de suggérer que la réalité vers laquelle nous progressons ne nous est de façon ultime pas étrangère ; nous ne lui sommes de façon ultime pas étrangers non plus, même si pour le moment nous progressons vers elle et semblons être différents d'elle. Vous ne pourriez progresser vers elle si vous n'aviez quelque affinité avec elle. Plotin, le néoplatonicien, dit que l'œil ne pourrait pas voir le soleil s'il n'y avait pas quelque chose comme le soleil dans l'œil. De la même façon la bodhicitta ne pourrait pas apparaître en nous s'il n'y avait pas déjà en nous quelque chose comme elle.

L'Éveil de la foi dans le Mahâyâna, une œuvre chinoise du Vème siècle, parle du réel et du non réel comme se parfumant l'un l'autre. Un peu d'absolu s'accroche à nous en dépit de tout, et ce n'est pas quelque chose que nous pouvons essuyer, tout comme des particules infinitésimales de parfum adhèrent à notre peau quand nous nous sommes parfumé. Le but que nous nous efforçons d'atteindre, en tant que bouddhistes, ne nous est donc pas complètement étranger ; nous avons une affinité intérieure avec lui, aussi profondément cachée soit-elle. Sans cette affinité, nous ne pourrions pas atteindre le but. En un sens, la bodhicitta absolue est la dimension absolue de quelque chose qui est déjà présent en nous et dont nous faisons l'expérience sous une forme relative ou limitée. L'atteinte de la vue pénétrante du transcendant n'est pas l'irruption en nous de quelque chose qui nous est complètement étranger, mais une manifestation, au niveau de notre activité mentale consciente, de quelque chose que, dans un sens bien plus profond, nous sommes.

C'est là utiliser le langage de l'immanence, ce qui devrait toujours être accompagné d'un avertissement, pour notre santé spirituelle. On peut peut-être dire que la bouddhéité est immanente en nous en tant que potentiel, mais pour réaliser ce potentiel nous devons faire plus qu'en prendre conscience. Pour la plupart d'entre nous, ce sera un processus nécessitant énormément de temps et d'effort. Le but de la bouddhéité peut être compris en termes de temps tout comme en termes d'espace. C'est pourquoi l'on pense généralement à l'Éveil comme étant la culmination d'un processus, ce qui implique qu'à un certain niveau l'Éveil lui-même est un processus.

Le fait est qu'il n'est pas facile de réconcilier le langage du temps avec le langage de l'espace. La bodhicitta absolue est la bodhicitta non pas en dehors du temps de façon littérale, mais conçue en termes d'espace, c'est-à-dire fixe, permanente, non changeante. La bodhicitta relative est la bodhicitta conçue en termes de temps, ce qui implique le changement. Quand on pense à la réalité ultime en termes d'espace, on y pense comme étant la bodhicitta absolue. Quand on y pense en termes de temps, on y pense comme étant la bodhicitta relative. Mais elles sont vraiment les mêmes, ou plutôt, elles ne sont « pas deux », ainsi qu'il est traditionnellement dit, tout comme il est dit que le samsara et le nirvana ne sont « pas deux ». D'un côté, l'Éveil est atteint de toute éternité, d'un autre côté il est éternellement en voie d'être atteint, et de façon ultime les deux coïncident.

La bodhicitta est donc plus qu'une simple « pensée » d'Éveil. Elle a une nature transcendante, supra-individuelle. Sa nature dynamique est reflétée dans la traduction « volonté d'Éveil ». Mais cette volonté d'Éveil n'est pas plus l'action de la volonté individuelle de quelqu'un qu'elle n'est la pensée individuelle de quelqu'un. Allant à tâtons avec les mots, on pourrait penser à la bodhicitta comme à une sorte de volonté cosmique (il est très important de ne pas prendre ceci littéralement, scientifiquement, mais plutôt poétiquement). La bodhicitta est une volonté œuvrant dans l'univers dans la direction de la rédemption universelle : la libération, l'Éveil, de façon ultime, de tous les êtres sensibles. On peut même penser à la bodhicitta comme à une sorte d'« esprit d'Éveil », immanent dans le monde et conduisant les individus vers des niveaux toujours plus élevés de perfection spirituelle.

Ceci rend bien clair le fait que des personnes individuelles ne possèdent pas la bodhicitta ; si vous la possédez, ce n'est pas la bodhicitta, vous avez attrapé quelque chose d'autre. C'est la bodhicitta qui possède les personnes. Et celles dont la bodhicitta prend possession, en quelque sorte, celles en qui cette bodhicitta apparaît, ou en qui elle se manifeste, deviennent des bodhisattvas, c'est-à-dire qu'elles vivent pour l'Éveil : elles s'efforcent de réaliser, pour le bien de tous, les potentialités les plus hautes contenues dans l'univers.

La volonté d'Éveil.

Parler de la volonté d'Éveil est peut-être un peu comme parler de la volonté de Dieu pour un chrétien. C'est quelque chose de très mystérieux. Vous pouvez dire que votre propre volonté est mélangée avec la volonté d'Éveil. Mais ce n'est pas comme devenir une machine passive manœuvrée de l'extérieur. La bodhicitta est vous mais vous avez cessé d'être quelque chose de phénoménal. Vous avez été transformé en quelque chose de transcendant ou quelque chose de transcendant a germé en vous.

Si vous aimez énormément une personne, qu'elle vous demande de faire quelque chose et que vous le faites, est-ce qu'accomplir cette tâche est votre volonté ou la sienne ? C'est difficile à dire. Ce qui arrive est que vous faites de sa volonté la vôtre. Ce n'est pas comme si cette personne vous dominait et vous utilisait comme une sorte de marionnette. Sa volonté se mélange à la vôtre. Et si vous pensez que cette personne est plus développée spirituellement que vous ne l'êtes vous-même, quand elle vous demande de faire quelque chose qui donnera une nouvelle direction à votre vie spirituelle, vous prenez réellement sa volonté comme vôtre. Ce n'est pas comme si vous vous soumettiez. Vous embrassez vraiment sa volonté de façon à ce qu'elle devienne la vôtre. Ce n'est pas que vous ne faites pas ce qu'elle veut que vous fassiez ; non, vous faites ce que vous voulez faire. C'est seulement que l'initiative est venue de l'autre personne. En un certain sens, elle vous a montré ce que vous vouliez vraiment faire.

Élevons ceci à son plus haut degré et supposons que la personne qui vous demande de faire quelque chose est un Bouddha. Si vous faites ce que le Bouddha veut, faisant vôtre la volonté du Bouddha, cela s'approche de très près de la manifestation de la bodhicitta dans une personnalité empirique. Ce n'est pas une prise de pouvoir mécanique ; votre volonté est transformée en bodhicitta. Non seulement votre volonté mais vos pensées et vos émotions aussi, vous êtes transformé en bodhicitta. Dans la mesure où une dimension transcendante est entrée dans votre existence, dans cette mesure votre être phénoménal est transformé en l'être d'un bodhisattva, dans cette mesure vous devenez un être d'Éveil. Ce changement n'est un simple raffinement, c'est un changement, un déplacement complet. En un sens, la bodhicitta n'a rien à voir avec vous, même à ce moment-là. Vous offrez la base à partir de laquelle elle se manifeste, mais une fois qu'elle s'est manifestée, elle devient, curieusement, mélangée avec vous, ou avec elle. Nous n'avons pas vraiment de mots pour décrire ce qui se passe.

Les soûtras du Mahâyâna ne cessent de chanter les louanges de la bodhicitta. Dans le soûtra Gandavyuha par exemple, il y a des centaines d'illustrations comparant la bodhicitta à une mine d'or, au soleil, à la lune... On a l'impression que pour l'auteur de ce soûtra la bodhicitta était absolument tout ; elle est chantée et louée, presque comme si c'était une divinité. On n'a certainement pas l'impression que c'est l'idée ou la pensée de quelqu'un. On a l'impression de quelque chose de vaste, de cosmique, de sublime, qui descend en ceux qui lui sont réceptifs, les pénètre ou les possède.

En tant que bouddhistes occidentaux nous avons besoin d'apprendre à rencontrer les riches images de la tradition bouddhique. Pour le moment, bien sûr, pour la plupart d'entre nous, ce sont les images chrétiennes qui nous viennent à l'esprit en premier. Dans la vie courante, même en tant que bouddhistes, nous utilisons souvent des phrases d'origine biblique. Nous disons, par exemple « le fils prodigue est revenu », ce qui vient tout droit des Évangiles, sans y penser consciemment tant la phrase est intégrée dans notre langage et notre littérature. Mais ceci ne s'est pas encore produit avec les images et expressions des écritures bouddhiques. Elles ne se sont même pas encore infiltrées dans le langage de ceux qui sont bouddhistes depuis de nombreuses années. Pour le moment, nous ne ferons probablement pas référence, par exemple, à la parabole de la maison en flammes ou à la parabole du fils égaré de son père habile et compassionné. Les symboles et les images des écritures bouddhiques ne font pas encore partie de notre mentalité. Mais il y a une vaste réserve de matériel non exploité. Lire les écritures ne suffit donc pas ; elles doivent devenir partie intégrante de toute notre façon de penser, de ressentir, d'expérimenter. Cela ne se passera probablement pas avant des générations, mais peut-être pouvons-nous commencer, en recherchant des images qui donnent vie à notre compréhension du bouddhisme, à notre compréhension de l'apparition de la bodhicitta par exemple.

Nous ne devons pas considérer la bodhicitta comme une sorte de doctrine ou de théorie. C'est un mythe, dans le sens où elle fait référence à une expérience transcendante que l'on ne peut pas décrire de façon adéquate en termes de concepts. C'est quelque chose qui nous émeut, nous remue à un niveau bien plus profond que celui de l'intellect ou de la conscience ordinaire.

Le mot mythe, comme je l'entends ici, ne veut pas dire quelque chose de faux ou d'imaginaire. On peut penser qu'un mythe est une histoire à propos de dieux ou de déesses, et d'un côté c'est vrai, mais nous devons nous demander ce que sont ces dieux et ces déesses, ou ce qu'ils représentent. Ce sont des êtres, des pouvoirs, ou des forces qui existent à un autre plan, à un autre niveau d'être. Quand notre vie est inspirée par une dimension mythique, nous faisons ressortir sur le plan historique quelque chose qui a une signification archétypale. La bodhicitta, pourrait-on dire, est le mythe qui inspire la communauté spirituelle bouddhiste.

Quoi que puisse comprendre la conscience rationnelle, conceptuelle, orientée vers l'histoire, il y a une dimension imaginaire ou archétypale de la vie qui échappera toujours à la conscience rationnelle. Nous pouvons ici faire une analogie avec notre vie onirique. Nous pouvons avoir en rêve une vie riche et vivante, davantage, parfois, que notre vie éveillée. Si nous devions parler complètement de nous-même, nous devrions décrire non seulement notre vie éveillée mais aussi notre vie onirique ; mais de façon significative, ceci, pour la plupart d'entre nous, est très difficile à faire. Nous ne nous souvenons pas souvent de nos rêves, et quand nous rêvons nous nous souvenons rarement de notre vie éveillée. Ces vies se poursuivent plus ou moins séparément, sur des plans différents. De la même façon, quand nous méditons beaucoup, il se peut qu'il ne se passe pas grand-chose sur le plan matériel (on peut être en retraite et ne pas avoir grand-chose à « faire »), mais il se passe beaucoup de choses sur cet autre plan d'existence qu'est la conscience méditative.

Si notre expérience intérieure trouve une expression collective dans un mouvement spirituel, on peut penser à ce mouvement comme ayant une vie onirique ou une vie mythique qui lui est propre. Peut-être a-t-il vraiment une existence sur un autre niveau. En fait, si ce n'était pas le cas, si ce n'était qu'une organisation sur le plan matériel, il dépérirait rapidement. Il doit avoir des racines très profondes - des racines dans le ciel.

Un mythe apparaît quand des gens ont des sentiments très forts à propos de quelque chose, des sentiments qui ne sont pas soutenus de façon adéquate par l'état des choses. Les bouddhistes du Mahâyâna, semble-t-il, ont ressenti le besoin de créer un mythe qui puisse refléter non seulement leurs émotions positives mais aussi les vérités les plus élevées du bouddhisme. Incapables de se nourrir du pain sec (ainsi le considéraient-ils) de l'Abhidharma, il leur fallait croire dans la sorte de bouddhisme que ces mythes représentaient. Il ne faut donc pas penser que les mahâyânistes décidèrent, de façon rationnelle, qu'il était grand temps d'avoir un peu de mythe dans le bouddhisme. Leurs mythes émergèrent par nécessité spirituelle. La création de ces mythes fut, comme c'est le cas pour tous les mythes, un processus collectif plutôt qu'individuel. Et les mythes ne venaient pas de nulle part ; il y avait des éléments dans les enseignements de l'époque même du Bouddha sur lesquels les créateurs de mythes pouvaient construire. Le canon pâli est très riche en éléments mythiques et légendaires, bien que le Théravada moderne ait tendance à ignorer cet aspect de sa littérature.

En fait, dans le canon pâli on peut même voir des mythes en train d'émerger. Il y a un épisode, dans le Mahaparinibbana du Digha Nikaya dans lequel Ananda demande au Bouddha s'il va vraiment atteindre le parinirvana dans la petite ville en torchis de Kusinara. Ne pourrait-il trouver un lieu plus distingué ? Mais le Bouddha dit : « Ne dis pas cela, Ananda. C'était auparavant la capitale d'un très grand royaume. » Et un autre sutta du Digha Nikaya, le Mahasudassana Sutta, nous présente une version clairement amplifiée de ce même épisode, incluant une imagerie proche de celle du Mahâyâna. Les Sukhavati-vyuha sutras du Mahâyâna peuvent être considérés comme prenant la suite de ce sutta ; certaines références, concernant par exemple des rangées d'arbres de joyaux, sont en fait très similaires.

La question qui se pose à nous maintenant est de savoir comment nous pouvons renouveler cette dimension mythique. Comment, en tant que bouddhistes occidentaux, allons-nous nous engager dans la création de mythes ? D'un côté, nous avons toute la tradition bouddhique et la mythologie de la culture occidentale pour nous inspirer. De l'autre, nous avons tellement de connaissances théoriques entravant cette inspiration. La création de mythes dépendra de nos propres sentiments et aspirations profondes, sentiments allant au-delà de notre situation personnelle du moment, et même de la condition actuelle du monde. Si nous avons ces sentiments et ces aspirations, ils auront finalement besoin d'être projetés sous une forme objective, en tant que mythes. Entre temps, il est important de reconnaître des mythes tel que celui de la bodhicitta pour ce qu'ils sont, et d'apprécier la signification de leur statut de mythe.

Il n'y a pas d'image pour la bodhicitta dans les écritures pâlies, et le terme bodhicitta n'apparaît pas du tout dans le canon pâli. Les anciens bouddhistes semblaient considérer que l'expérience de la vue pénétrante ou de l'Éveil était pleinement décrite par un autre concept, une autre image : l'Entrée dans le courant. C'est le point où le pratiquant atteint la vue pénétrante transcendantale, et « entre dans le courant » qui mène à l'Éveil. À partir de ce point, bien que l'on doive continuer à faire un effort spirituel, on a un élan suffisant dans sa pratique pour assurer son avancée vers l'Éveil.

Les deux traditions, semble-t-il, parlent de la même chose. Mais est-ce bien le cas ? Comment le concept d'Entrée dans le courant peut-il être comparé à la conception mahâyâniste de l'apparition de la bodhicitta ?

L'histoire du bouddhisme.

On peut penser à l'histoire du bouddhisme comme à un processus de solidification et de dissolution de concepts. Un concept, utilisé à l'origine pour exprimer une expérience spirituelle, en vient à être « solidifié », puis à être identifié à sa forme solidifiée à un point tel qu'il ne réfère plus vraiment à l'expérience spirituelle qu'il était censé exprimer à l'origine. Quand cela se produit, il y a alors inévitablement une protestation, qui aboutit à une nouvelle conceptualisation. Mais la protestation est radicale dans son vrai sens, celui du retour aux racines ; elle affirme réellement la même chose que le concept solidifié avait à l'origine l'intention d'affirmer.

Si l'on pense en termes historiques, l'Entrée dans le courant peut être identifiée comme un concept qui se solidifia et fut nié par la protestation du Mahâyâna, lequel produisit alors le concept de l'apparition de la bodhicitta. Considérée ainsi, selon les termes du Mahâyâna, l'apparition de la bodhicitta en tant qu'expérience spirituelle vient après l'Entrée dans le courant, et à un stade plus élevé de notre carrière spirituelle. Mais ceci vient d'une dévaluation du but de l'état d'arahant, et donc de l'Entrée dans le courant comme étape importante sur la voie vers le but.

Tous les mahâyânistes n'ont pas le même point de vue sur l'état d'arahant. Certains le voient comme une étape sur la voie vers l'Éveil suprême, l'idée étant que, une fois que l'on est devenu arahant, on s'éveille à la possibilité d'un stade plus élevé de développement, et l'on progresse, en tant que bodhisattva, vers la bouddhéité. Mais d'autres écoles du Mahâyâna voient l'état d'arahant comme une sorte de cul-de-sac spirituel. Elles nous avertissent que, dès le début, on devrait faire attention à ne pas suivre cette voie car, même si l'on peut s'éveiller grâce à elle, on s'est fermé de façon permanente à la possibilité de la réalisation transcendante supérieure d'un bouddha. Elles disent en fait que devenir un arhant est une erreur. Plus simplement, nous pouvons dire qu'à tous les stades de la voie il est important de se méfier de l'individualisme spirituel.

La voie de l'arahant peut aussi être perçue comme une version atténuée de ce qui était présenté plus pleinement dans la voie du bodhisattva. On peut penser au « Hînayâna » et au « Mahâyâna » comme allant si l'on peut dire l'un à côté de l'autre plutôt que l'un après l'autre, l'un étant une description plus condensée et l'autre une description plus élaborée de la même voie spirituelle. L'individualisme spirituel n'est certainement pas le message du canon pâli. On peut en fait considérer que le Mahagovinda Sutta du Digha Nikaya suggère quelque chose comme la bodhicitta. Il insiste particulièrement sur la pratique des quatre brahma viharas qui, dans le Mahâyâna, précède souvent le développement de la bodhicitta. On peut en particulier considérer la pratique de méditation du metta-bhavana, le développement de la bienveillance, comme une graine à partir de laquelle la bodhicitta peut se développer. La metta est essentiellement le souhait que tous les êtres vivants soient heureux, et le plus grand bonheur est l'Éveil. Ressentir de la metta est donc, ultimement, souhaiter que les autres atteignent l'Éveil, et faire tout ce que l'on peut pour que cela se produise. Ainsi, le metta-bhavana implique la bodhicitta, et peut être vu comme une indication de la forme des choses à venir dans le Mahâyâna.

En bref, cette approche historique suggère que, dans une perspective purement spirituelle, autant que l'on puisse en juger, ce que l'on entendait à l'origine par « Entrée dans le courant » est plus ou moins la même chose que ce que l'on entend par l'apparition de la bodhicitta. Sans une compréhension de la différence entre la perspective historique et la perspective spirituelle, il est impossible de résoudre les innombrables différences, réelles et apparentes, entre Hînayâna et Mahâyâna. L'expression « apparition de la bodhicitta » ne peut être séparée des circonstances historiques dans lesquelles elle a vu le jour. Il y a autour d'elle toutes les associations du Mahâyâna, qui fit ressortir les implications universelles - voire cosmiques - du bouddhisme bien plus complètement que la forme d'origine du bouddhisme.

C'est pour cela que dans certaines circonstances il semble approprié d'utiliser le terme « bodhicitta » au lieu de l'expression « Entrée dans le courant ». Même si en un sens les deux idées sont interchangeables, elles en sont venues à exprimer des aspects différents de la même expérience, en partie en raison de leurs associations historiques. Leur dénotation est la même mais leurs connotations sont différentes. Au cours de l'histoire du bouddhisme, de nombreux termes ont acquis une richesse de connotations supplémentaires, de sorte qu'un terme finit par être plus approprié qu'un autre dans un contexte particulier, ou en ce qui concerne un aspect particulier de la vie spirituelle. On ne peut pas ignorer le développement doctrinal historique ; en même temps, on ne doit pas le prendre trop littéralement ou selon ses propres termes.

Les connotations de l'expression « Entrée dans le courant » sont en un sens plus individuelles, voire individualistes, parce qu'elle semble faire référence à un accomplissement du soi, même si cet « accomplissement » est une libération du sens d'ego. La bodhicitta est plus explicitement en dehors de la notion d'ego ; en tant que volonté d'Éveil pour le bien de tous, elle fait référence  aux autres êtres vivants. Mais ce n'est que pour des raisons historiques qu'un terme semble mieux se référer que l'autre à un aspect particulier de la totalité de l'expérience. Tous ces différents termes - car ces deux termes sont deux parmi de nombreux autres - sont relatifs à une expérience spirituelle, et gravitent autour. Tout comme l'Entrée dans le courant représente votre Entrée dans le courant, sans qu'il y ait de « vous » pour y entrer, la bodhicitta représente un travail pour le bien de tous les êtres sensibles, tout en réalisant qu'il n'y a pas d'êtres sensibles à sauver. En d'autres termes, les deux impliquent une transcendance des concepts de « soi » et des « autres ».

Il n'y a pas grand intérêt à tenter de corréler tous les détails des deux voies comme a pu le faire la tradition bouddhique ; elles se sont développées séparément, sans référence l'une à l'autre, au fil de nombreux siècles. Il faut nous satisfaire d'une corrélation générale, d'une compréhension du principe ou de l'esprit exprimé sous-tendant. Par exemple, le Mahâyâna insiste sur le fait que la sagesse et la compassion sont inséparables. Cela semble être en contraste direct avec les enseignements traditionnels du « Hînayâna » qui semble parfois décrire un chemin de sagesse avec peu ou pas de référence à la compassion, mais c'est très cohérent avec la vie et l'enseignement mêmes du Bouddha.

Nous pouvons ne pas pouvoir corréler point par point les enseignements de l'Entrée dans le courant et de l'apparition de la bodhicitta, mais il nous faut pouvoir les corréler dans une certaine mesure, dans l'intérêt de nos propres vie et développement spirituels. Sans cela, nous nous trouverons dans la situation impossible d'avoir à choisir entre le « Mahâyâna » et le « Hînayâna », entre l'idéal du bodhisattva et l'idéal de l'arhant, comme s'ils représentaient des voies différentes. En fait, il n'y a qu'une voie pour tous, comme le souligne le Soûtra du Lotus. La voie de ce que l'on appelle l'arhant et la voie de ce que l'on appelle le bodhisattva sont simplement des façons différentes de considérer cette même et unique voie.

Nous pouvons penser à l'expérience comme ayant de multiples facettes, l'Entrée dans le courant étant une des facettes et l'apparition de la bodhicitta étant une autre. Pour une personne, l'Entrée dans le courant peut être le premier aspect de la totalité de l'expérience qu'elle contacte, tandis qu'une autre personne pourra commencer avec l'apparition de la bodhicitta, et avancer à sa façon vers l'Entrée dans le courant.

Et l'Entrée dans le courant elle-même est une expérience aux multiples facettes. Selon la tradition, il y a dix entraves qui nous tiennent éloignés de l'Éveil, et lorsque nous brisons les trois premières d'entre elles, nous atteignons l'Entrée dans le courant. Mais l'Entrée dans le courant est aussi décrite comme le développement de la vue pénétrante dans la nature du transcendantal. Est-ce que, donc, vos brisez les entraves et développez ainsi la vue pénétrante, ou est-ce que vous développez la vue pénétrante et brisez ainsi les entraves ? C'est impossible à dire ; les deux sont des aspects différents de la même chose. Vous pouvez aller de la vue pénétrante au fait de briser les entraves, ou du fait de briser les entraves à l'atteinte de la vue pénétrante, selon l'aspect vers lequel vous tournez votre attention.

C'est la nature du progrès sur la voie spirituelle, à tous les stades. Si vous commencez par développer la foi, tôt ou tard il vous faudra développer la qualité qui l'équilibre, la sagesse, et vice-versa. Et si vous avez développé beaucoup de foi et peu de sagesse, vous semblerez être très différent d'une personne qui a développé beaucoup de sagesse mais peu de foi. Finalement, lorsque vous aurez tous deux développé la faculté équilibrante, il sera plus évident que vous êtes sur la même voie, mais tant que ce n'est pas le cas vous semblerez poursuivre des voies très différentes (traditionnellement appelées la voie du suivant-de-la-doctrine et la voie du suivant-de-la-foi).

Le danger qu'il y a à comparer les gens en termes de leur progrès spirituel est que l'on peut comparer les qualités d'une personne avec les faiblesses d'une autre. On doit être particulièrement vigilant à ne pas attacher trop d'importance à ce qui se trouve être nos qualités particulières. Il est impossible de comprendre les gens rapidement ou aisément. Nous travaillons tous à différents aspects de nous-mêmes, et il peut s'écouler des années avant que nous ne comprenions ce qui se passe. La chose principale est que nous soyons tous en train de développer un aspect de nous-mêmes.

Pour revenir à notre thème principal, donc, comment procède-t-on pour cette sorte de développement ? Comment devient-on un bodhisattva ? Cela se produit par l'apparition de la magnifique bodhicitta ; mais comment la bodhicitta en vient-elle à se manifester en nous ? Ceci est très mystérieux. Dans son Bodhicaryavatara (La Marche vers l'éveil), Shantideva dit que c'est comme si un aveugle trouvait de nuit un joyau extraordinaire dans un tas d'ordures. C'est aussi merveilleux et aussi inattendu que cela. Qui penserait qu'un aveugle fouillant un tas d'ordures en pleine nuit trouverait un joyau extraordinaire ? De la même manière, qui penserait que, alors que nous vivons dans le monde, gagnant notre argent, élevant nos enfants, allant peut-être une fois par semaine à notre classe de méditation, la bodhichitta puisse un jour apparaître en nous ?

L'apparition de la bodhicitta.

Aussi merveilleuse et aussi inattendue soit-elle lorsqu'elle se produit, l'apparition de la bodhicitta n'est pas un accident. Le principe le plus fondamental de la pensée bouddhique est que tout ce qui apparaît dans l'univers, à quelque niveau que ce soit, n'apparaît ni par hasard, ni du fait du destin, ni par la volonté de Dieu, mais en dépendance de causes et de conditions naturelles (et en termes bouddhiques même le « surnaturel » est naturel). Ceci s'applique aussi à l'émergence en nous, à l'apparition en nous de la bodhicitta. Elle dépend de la création de certaines conditions mentales et spirituelles.

Ceci attire l'attention sur un aspect crucial de la vie spirituelle : le besoin de préparation. Nous sommes habituellement bien trop pressés. Nous sommes si anxieux d'avoir des résultats rapidement que nous négligeons souvent les conditions mêmes dont dépend le résultat, et donc, très souvent, nous ne réussissons pas. Mais si nous nous préparons suffisamment soigneusement, nous pouvons laisser les résultats venir d'eux-mêmes ; en fait, nous constatons que nous réussissons sans presque le remarquer.

On ne devrait même pas penser à devenir un bodhisattva, ce n'est pas quelque chose que l'on puisse devenir. Mais on devrait certainement penser à créer en soi les conditions qui permettront à la bodhicitta d'apparaître.

Ceci s'applique tout à fait à la méditation. Si vous voulez méditer, il n'est pas bon de penser que vous pouvez juste vous asseoir et le faire. En Orient, la tradition est de commencer par aller dans la pièce où vous allez méditer et, très lentement et attentivement, de balayer le sol, de ranger et, si nécessaire, d'enlever la poussière de l'image du Bouddha qui est sur l'autel. Vous faites tout cela très lentement, doucement et attentivement. Puis, avec une humeur méditative, vous jetez les vieilles fleurs (dans certains pays d'Asie vous êtes censés les jeter dans de l'eau courante si c'est possible, et par sur le tas de poussière), et vous en cueillez de nouvelles. Vous les mettez dans un vase et vous les arrangez avec attention, en prenant le temps de le faire. Puis vous allumez une bougie et un bâtonnet d'encens. Vous regardez autour de vous pour voir si tout est en ordre - peut-être devez-vous ouvrir la fenêtre un instant pour avoir de l'air frais, ou fermer la porte pour éviter d'être dérangé. Puis vous arrangez votre siège, en vous assurant qu'il est bien en face de l'autel, et vous vous asseyez. Vous ajustez vos vêtements, et mettez vos pieds et vos mains dans la bonne posture. Même à ce moment-là, vous ne commencez pas à méditer. Vous commencez par réciter les refuges et les préceptes, et chantez quelques invocations au Bouddha et aux bodhisattvas. Alors, et seulement alors, vous commencez à méditer.

En portant ainsi notre attention à la préparation, on a beaucoup plus de chances de réussir, non seulement en méditation mais dans toutes les activités. Si l'on veut écrire un livre, ou peindre un tableau, ou préparer un repas, le secret est dans la préparation. Et il en est tout à fait de même pour l'apparition de la bodhicitta. On ne devrait même pas penser à devenir un bodhisattva. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut devenir, grâce à une sorte d'évolution de carrière, en suivant des cours ou en obtenant un certificat - quoique je sois désolé de dire qu'en Orient il y a des établissements qui donnent ce genre de certificat que les gens peuvent encadrer et mettre au mur. On ne devrait même pas penser à développer la bodhicitta. C'est hors de question, c'est une perte de temps. Mais on peut certainement penser à créer en soi les conditions qui vont permettre à la bodhicitta d'apparaître.

Traditionnellement, il est considéré que tous les facteurs nécessaires à l'apparition de la bodhicitta sont sous notre propre contrôle. On pourrait objecter qu'il y a des facteurs, comme le fait d'être né dans un pays où l'enseignement du Bouddha est connu, pour lesquels nous n'avons pas de choix. Mais un bouddhiste dirait que, par le fonctionnement de la loi du karma, on a mis en place pour soi-même cette condition particulière, dans le sens où l'on est né dans ce pays, de telle sorte que cela reflète un choix que l'on a fait à un moment.

Mais certaines des conditions sur lesquelles nous basons notre pratique spirituelle ne sont-elles pas hors de notre contrôle ? Par exemple, un thème important du bouddhisme est la valeur de l'amitié spirituelle pour notre vie spirituelle. N'est-ce pas une instance d'une influence extérieure ayant un effet ? Oui, en un sens - mais personne ne peut vivre notre vie spirituelle pour nous. Nos amis spirituels peuvent nous aider à mettre en place les conditions pour celle-ci, mais c'est notre réceptivité à ces conditions qui fait la différence, et non les conditions elles-mêmes.

La réceptivité marche un peu comme un paratonnerre. Si l'on est capable de capter la puissance de l'éclair au moment où il se produit, ce n'est pas par simple hasard ; on a mis en place les conditions pour que ce soit possible. Mais aucun courant électrique ne passera dans le paratonnerre s'il n'y a pas un orage, et un éclair qui touche le paratonnerre. Bien sûr, quand il s'agit de la bodhicitta il y a, si l'on peut dire, toujours un orage en cours et des éclairs. Mais, tels que nous sommes pour l'instant, nous ne pouvons rien forcer. Tout ce que nous pouvons faire c'est mettre les conditions en place et attendre, ou agir comme si nous étions en train d'attendre. Nous pouvons chercher le bon endroit où mettre le paratonnerre, nous assurer qu'il a la bonne forme, qu'il est fait du bon matériau, et ainsi de suite. Mais nous ne pouvons pas tirer sur l'éclair pour qu'il tombe.

Dire « quand vous vous préparez de façon appropriée, la bodhicitta apparaîtra » ne veut pas dire qu'elle apparaîtra nécessairement. Pour le moment, vous ne connaissez simplement pas en détail toutes les conditions qui sont nécessaires, ni combien de temps vous devrez les maintenir. Ce n'est pas comme la préparation d'un gâteau ; vous ne pouvez pas assembler les ingrédients et être sûr de ce que sera le résultat. C'est là qu'entre en jeu l'élément de liberté ; tel que nous sommes maintenant, nous ne pouvons pas subvenir aux besoins de notre « soi » futur, ni le commander, ni même anticiper qui nous serons dans le futur.

Voilà pourquoi Shantideva dit - en exagérant, il est vrai - que c'est comme un aveugle trouvant par une nuit sombre un joyau dans un tas d'ordures. En un sens vous ne savez pas ce que vous cherchez. Vous pouvez en avoir une idée approximative, tout comme l'aveugle peut savoir que s'il trouve un joyau ce sera quelque chose de dur et d'un peu coupant ; mais il pourrait tout aussi bien trouver un caillou ou une noix. Nous sommes toujours un peu aveugles dans notre quête. Si vous saviez exactement ce qu'est le but et ce que vous devez faire pour l'atteindre, vous y seriez déjà. Nous avons tendance à anticiper les choses de façon conceptuelle et à penser que nous savons ce dont nous parlons, alors que nous n'en avons qu'une idée très vague et approximative. Ne sachant pas vraiment à quoi ressemble la bodhicitta, nous ne pouvons connaître avec une précision scientifique les conditions qu'il nous faut mettre en place pour qu'elle apparaisse. Nous devons donc jongler un peu avec les conditions jusqu'à ce que nous arrivions à la bonne combinaison.

Différents textes recommandent différentes méthodes pour cultiver l'apparition de la bodhicitta, mais tous les aspects de notre pratique, poursuivis avec suffisamment d'intensité, peuvent être considérés comme conduisant à ce but. D'une certaine façon, ce par quoi vous commencez n'a pas d'importance ; ce qui est essentiel c'est de vous y donner sans retenue. Il est trop facile de finir par s'installer confortablement dans la routine sans exigence d'une vie spirituelle. Pour éviter ceci, nous devons sans arrêt faire de vrais efforts dans un domaine précis de notre pratique, que ce soit l'éthique, la méditation, l'étude, le travail, la générosité, ou quoi que ce soit.

Mis à part une méditation spécifique sur la bodhicitta enseignée dans le bouddhisme tibétain, il y a d'après la tradition bouddhique deux façons particulières d'établir les conditions à partir desquelles la bodhicitta peut apparaître, l'une associée au nom de Shantideva, l'autre à celui de Vasubandhu.  Tous deux étaient des grands maîtres indiens du Mahâyâna - Shantideva au VIIème siècle, et Vasubandhu probablement au IVème siècle - traditionnellement reconnus comme ayant été eux-mêmes des bodhisattvas. Bien que différentes, leurs méthodes sont complémentaires.

L'anuttara puja, ou puja en sept parties.

La méthode de Shantideva est une méthode plus ouvertement dévotionnelle. C'est l'anuttara puja, la vénération suprême, voire l'adoration suprême ; elle consiste en une série de ce que l'on pourrait décrire comme sept exercices spirituels, sept actes exprimant chacun une certaine phase de conscience religieuse, une certaine humeur même. La récitation des vers qui correspondent à ces parties différentes est connue sous le nom de puja puja en sept parties.

Vénération.

La première de ces sept parties est simplement appelée vénération. Elle est principalement adressée au Bouddha : non seulement l'être humain, le personnage historique, mais le Bouddha en tant que symbole de l'idéal de l'Éveil. Adoptant dans notre cœur une attitude de vénération, nous reconnaissons avec une dévotion et une révérence profondes la sublimité de l'idéal de l'atteinte de l'Éveil pour le bien de tous les êtres sensibles. Nous sentant puissamment et profondément rempli par cette dévotion, nous devons simplement faire des offrandes, donner quelque chose. Les offrandes les plus courantes sont des fleurs, des bougies ou des lampes et de l'encens, mais beaucoup d'autres choses peuvent être offertes. Elles sont posées devant le Bouddha et représentent nos sentiments de dévotion envers l'idéal, encore si lointain, de l'Éveil suprême.

Salutation.

Deuxièmement, il y a ce que l'on appelle la salutation. La salutation est l'expression physique, extérieure, du respect. Il ne suffit pas de faire l'expérience de quelque chose mentalement. Nous ne sommes pas qu'un esprit, nous n'avons pas que des pensées et des émotions, nous avons aussi un corps et une parole, et afin que tout exercice spirituel soit effectif, tous les trois doivent participer, au moins implicitement. Nous joignons donc les mains et nous nous inclinons en saluant avec révérence, ainsi qu'avec humilité. Non seulement voyons-nous l'idéal ; nous reconnaissons que pour le moment nous sommes nous-même bien loin de l'avoir atteint. L'idéal est comme les sommets de l'Himalaya étincelant au loin. Tout ce que nous avons fait pour le moment est de nous mettre en route : il y a un très long chemin à faire.

Aller en refuge.

La troisième partie est « Aller en refuge ». Nous avons commencé par reconnaître l'idéal, par le voir, simplement, par le vénérer, lui répondant émotionnellement. Puis nous avons reconnu à quel point nous en sommes loin. Maintenant, à ce troisième stade, nous nous engageons à le réaliser. Ayant réalisé que l'idéal est très loin, là-bas, et que nous sommes ici, nous prenons la résolution d'avancer d'ici à là-bas. Nous nous engageons dans les Trois Joyaux, si centraux et si aimés par toute la tradition bouddhique : le Bouddha, la réalisation de l'idéal, le Dharma, la voie qui mène à cette réalisation, et la Sangha, la compagnie, la camaraderie spirituelle de tous ceux qui ont suivi la voie de l'Éveil avant nous.

Confession des fautes.

Puis, quatrièmement, la confession des fautes. Certaines personnes trouvent ce stade difficile, peut-être parce que le mot « confession » a pour elles des associations négatives. Dans le présent contexte, cela représente notre reconnaissance de la part de nous-même que nous préférerions que les autres ne voient pas, que nous préférerions ne pas voir nous-même, mais qui nous poursuit toujours, tout comme Méphistophélès poursuivait Faust dans le grand poème de Goethe. En confessant nos fautes, nous reconnaissons nos petites faiblesses, nos manques et même parfois notre pure méchanceté. Il ne s'agit pas de battre notre coulpe, mais seulement d'une évaluation réaliste des choses, accompagnée de la résolution de faire de notre mieux pour agir différemment dans le futur. Nos fautes représentent un tel poids, rendant le voyage vers l'Éveil bien plus pénible, que nous devons nous en décharger.

La confession a une place prépondérante dans le Théravada, spécialement dans la vie monacale. Une pratique normale pour un bhikkhu ou un samanera du Théravada est de faire une confession régulièrement, matin et soir, au maître avec lequel il vit, demandant son pardon de toute faute du corps, de la parole et de l'esprit qu'il pourrait avoir commise, particulièrement envers son maître, durant la journée ou la nuit précédente. Même s'il a eu en rêve une mauvaise pensée à propos de son maître, il la confesse. En outre, une confession précède, en théorie du moins, la récitation du pratimoksha ou code de la loi monacale.

La confession n'est donc pas spécifique au Mahâyâna, ou particulièrement associée à l'idéal du bodhisattva. Néanmoins, dans la mesure où l'idéal du bodhisattva représente en fait un idéal plus difficile (si l'on choisit de le distinguer de l'idéal de l'arhant), tout écart par rapport à cet idéal représente un échec plus sérieux, qui nécessite une confession plus approfondie. Peut-être est-ce pour cette raison que dans le Mahâyâna un accent est mis sur la confession, que l'on ne retrouve pas de la même manière dans le Théravada. Dans le Théravada, c'est une reconnaissance des fautes commises, mais dans le Mahâyâna cela devient un déversement profondément ressenti du regret, et une détermination farouche de ne pas répéter l'action défavorable. Cette détermination est très fortement exprimée dans le Bodhicaryavatara (La Marche vers l'éveil) de Shantideva, dans lequel la confession est faite en des tons très vivants et pleins d'émotion ; et dans le Soûtra de la Lumière dorée, elle a un ton poétique que l'on trouve rarement dans le Théravada.

Réjouissance du mérite.

La cinquième partie de la puja est la réjouissance du mérite. Ceci implique penser à la vie d'autres personnes, évoquant des gens nobles, bons, vertueux et saints. Nous pouvons penser aux bouddhas et aux bodhisattvas, à des saints et à des sages, à des grands poètes, à des musiciens, à des artistes, à des scientifiques, et même à des gens que l'on connaît (ou que l'on a connus) et qui font montre ou ont fait montre de qualités humaines et spirituelles exceptionnelles. Nous pouvons tirer énormément d'encouragement et d'inspiration de la pensée que, dans ce monde où l'on rencontre tant de mesquinerie et de souffrance, il y a des gens comme cela, au moins de temps à autre.

Nous nous réjouissons donc qu'il y ait eu des gens saints, bons et éveillés à toutes les époques de l'histoire humaine et partout dans le monde, aidant le reste de l'humanité de bien des façons, que ce soit en tant que saints, sages, maîtres mystiques, scientifiques ou administrateurs, employés d'hôpitaux ou visiteurs de prisons. Nous nous réjouissons de ceux qui ont aidé les autres. Au lieu de dénigrer ou de discréditer, comme cela semble être maintenant la mode, nous apprécions et nous nous sentons heureux dans la contemplation des bonnes qualités et œuvres des autres.

Supplication.

La sixième partie de la puja en sept parties s'appelle la supplication. Nous demandons à ceux qui sont plus éveillés que nous de nous enseigner. Cela ne signifie pas qu'il faut les convaincre d'enseigner. Ce que nous faisons là, c'est donner expression à notre propre attitude d'ouverture et de réceptivité sans laquelle nous ne pouvons rien obtenir, et certainement pas la bodhicitta.

Transfert du mérite et renoncement de soi.

La septième et dernière partie est le transfert du mérite et renoncement de soi. Selon la tradition bouddhique, chaque fois que nous faisons une action favorable, nous acquérons une certaine quantité de punya ou mérite, et l'un des bénéfices de faire la puja prend cette forme, celle du mérite. Punya a la double signification de « mérite » et de « vertu ». C'est, pour ainsi dire, le crédit karmique que nous avons sur notre « compte », en résultat de nos actions éthiques. L'idée du punya est donc étroitement liée à l'idée du karma. Si nous faisons des actions habiles (du punya dans le sens de vertu) nous ferons l'expérience de choses agréables plus tard, parce que nous avons accumulé du punya dans le sens de mérite.

À la fin de la puja, ayant accumulé tout ce mérite, nous le donnons. Plutôt que de garder aux fins de notre émancipation individuelle le mérite acquis par nos actions, nous choisissons de le partager avec tous les autres êtres. À son niveau le plus élevé, cette aspiration devient l'idéal du bodhisattva lui-même.

Voilà donc la méthode de Shantideva pour préparer les conditions dans lesquelles la bodhicitta peut apparaître. Le rituel, les récitations, la cérémonie sont tous là pour soutenir le cœur de l'exercice, qui est essentiellement une série d'expériences et d'humeurs de dévotion. Si notre cœur est rempli de sentiments de révérence, de dévotion et de vénération, si nous ressentons vraiment ce qui nous sépare de l'idéal, si nous sommes  réellement déterminé à nous engager dans la réalisation de cet idéal, si nous voyons clairement le côté sombre de notre propre nature, si nous nous réjouissons sincèrement de ce que les autres font de bien, si nous sommes vraiment réceptif à des influences spirituelles supérieures, si nous souhaitons ne rien garder pour nous seul, alors, en dépendance de ces états d'esprit, la bodhicitta apparaîtra un jour. C'est le sol dans lequel la graine de la bodhicitta, une fois plantée, peut germer et s'épanouir.

Sans peur d'être ou de devenir.

Dans son Bodhicaryavatara, Shantideva dit que l'effet de la générosité, de la puja - en bref, d'un engagement dans la vie spirituelle - est que l'on devient « sans peur d'être ou de devenir ». L'aspirant bodhisattva n'a plus de soucis. Vous vous donnez simplement à la vie spirituelle. Vous n'êtes pas préoccupé par le fait de vivre ou de mourir, d'être riche ou pauvre, loué ou blâmé, ou quoi que ce soit du même genre. Vous êtes juste sur la voie spirituelle et c'est tout. Tant que vous vous demandez que faire de votre vie, mesurant peut-être combien de temps donner à des choses spirituelles, et combien à des choses mondaines, vous restez incertain et sans clarté, et vous manquez donc de confiance. Mais une fois que vous avez décidé et que vous vous êtes engagé, en un sens tout va bien et il n'y a pas de soucis à avoir.

Nous pouvons avoir tendance à penser que la vie spirituelle est difficile et la vie mondaine est facile, mais il n'y a pas de raisons objectives à cette vue. Parfois, il est moins difficile de simplement vivre sa vie spirituelle que d'essayer d'améliorer le monde ou même d'essayer d'avoir dans le monde une carrière heureuse et couronnée de succès. Dans un certain sens, il faut moins d'effort pour atteindre l'Éveil. Il est très difficile de réussir dans le monde (il y a toutes sortes de facteurs qui peuvent déranger nos plans). Mais si l'on suit la voie spirituelle on sait, que si l'on en fait l'effort, tôt ou tard le succès viendra.

Cependant, même si faire des offrandes, se dédier, s'abandonner même, est important, ce n'est que le tout début de la vie spirituelle. On anticipe l'apparition de la bodhicitta plutôt que l'on en fait l'expérience. On souhaite être possédé par cette force spirituelle supérieure, plutôt qu'on ne l'est vraiment. Dans la puja, donc, on dit aux bouddhas et aux bodhisattvas, du moins mentalement : « Prenez  possession de moi. Au lieu de faire ce que je veux faire, à partir de maintenant, je ferai ce que vous voulez que je fasse ». À ce stade, il doit y avoir ce genre de dialogue. Mais quand la bodhicitta apparaît, on est pris au mot, en quelque sorte. Il n'est plus question de décider ce que l'on va faire. Pour le dire de façon très mécanique, on commence à fonctionner comme un instrument de la bodhicitta qui est apparue.

Jusqu'à ce que cela ne se passe, on se rend réceptif à cette possibilité, tout d'abord en faisant des offrandes, puis en s'offrant soi-même, disant : « Prends possession de moi, puissé-je être dirigé non pas juste par ma propre volonté égoïste mais par la volonté d'Éveil. Que cela me motive, que cela m'emporte. » La puja devient une pratique importante et exigeante lorsqu'on l'approche avec cette compréhension de ce que l'on est en train de faire.

Les quatre facteurs de Vasubandhu.

Selon la méthode de Vasubandhu, qui est plus philosophique, l'apparition de la bodhicitta dépend de quatre facteurs.

La remémoration des bouddhas.

Le premier de ces facteurs est la remémoration des bouddhas. On pense aux bouddhas du passé, à Shakyamuni, le Bouddha de notre ère historique, et à ses grands prédécesseurs lointains de légende, Dipankara, Kondañña, etc. Puis, en citant les mots des soûtras, on réfléchit :

« Tous les bouddhas des dix directions, du passé, du futur et du présent, n'étaient pas complètement libérés des passions et des fautes quand ils se sont engagés sur la voie de l'Éveil, pas davantage que nous ne le sommes à présent, mais ils ont finalement réussi à atteindre l'Éveil le plus haut et sont devenus les plus nobles des êtres. »

« Tous les bouddhas, par la force de leur énergie spirituelle inflexible, ont été capables d'atteindre l'Éveil parfait. S'il est possible d'atteindre l'Éveil, pourquoi ne l'atteindrions-nous pas ? »

« Tous les bouddhas, levant haut la torche de la sagesse dans l'obscurité de l'ignorance et gardant en éveil un cœur excellent, se sont soumis à des pénitences et à des mortifications et finalement se sont libérés des liens du triple monde. En suivant leurs pas, nous pouvons nous aussi nous émanciper. »

« Tous les bouddhas, l'humanité la plus noble, ont traversé avec succès le grand océan de la naissance et de la mort et des passions et des fautes. Pourquoi donc, nous, créatures intelligentes, ne pourrions-nous pas nous aussi traverser la mer des transmigrations. »

« Tous les bouddhas, manifestant de grands pouvoirs spirituels, ont sacrifié possessions, corps et vie pour atteindre l'omniscience (sarvajña) ; et nous, aussi, pouvons suivre leur noble exemple. »

En d'autres termes, les bouddhas ont tous commencé avec la même ignorance et les mêmes faiblesses que nous. S'ils ont pu les surmonter, nous le pouvons aussi si nous en faisons l'effort. Mis à part les bénéfices évidents de cette pratique pour le développement de la foi et de la confiance, elle a un effet très positif simplement parce que nous pensons au Bouddha, nous sommes mentalement occupé par quelque chose de positif, détournant ainsi le courant de nos pensées loin des actions malhabiles et défavorables. En occupant notre esprit avec des pensées à propos du Bouddha, il est très improbable que nous ayons une pensée défavorable, ou commettions une action défavorable. À la place, nous ferons l'expérience d'émotions positives et favorables : la foi, la joie, la sérénité, la paix.

Voir les défauts de l'existence conditionnée.

Le deuxième des facteurs de Vasubandhu est « voir les défauts de l'existence conditionnée ». Le terme « existence conditionnée » fait référence à l'existence phénoménale sous toute forme : physique, mentale, même spirituelle, tout ce qui apparaît en dépendance de causes et de conditions.

Et le premier « défaut » à voir est que toute l'existence conditionnée est impermanente. Ce peut être une idée ou un empire, cela peut apparaître et disparaître en une fraction de seconde ou en plusieurs milliards d'années, mais tout ce qui apparaît doit, tôt ou tard, cesser.

Comme tout ce qui est conditionné est transitoire, l'existence conditionnée ne peut jamais être vraiment satisfaisante : c'est le deuxième défaut auquel réfléchir. Tôt ou tard le déchirement de la séparation vient, accompagné par la souffrance.

Et troisièmement tout, en un sens, est irréel, sans substance. C'est un « défaut » de l'existence conditionnée plus subtil à trouver. Ce n'est pas que les choses n'existent pas ; il est clair qu'elles existent. Mais rien n'existe indépendamment de ses constituants, lesquels sont tous impermanents et soumis au changement. Ce livre, par exemple : enlevez l'écriture et les pages, la couverture, le dos... et où est le livre ? Il n'a pas d'existence inhérente ; il n'y a rien « en dessous », rien de substantiel à son sujet. Et toutes les choses sont ainsi, nous compris. Il n'y a pas de « je » en dehors des parties qui me constituent, mes skandhas. C'est la fameuse doctrine de l'anatman.

On voit donc les défauts de l'existence conditionnée dans sa totalité : elle est impermanente, pleine d'insatisfaction et de façon ultime elle n'est pas réelle. On continue à réfléchir. On sait au plus profond de soi que rien de conditionné ne peut jamais satisfaire les désirs les plus profonds du cœur humain. Nous désirons quelque chose de permanent, quelque chose qui soit au-delà du flot du temps, quelque chose d'heureux, de toujours satisfaisant, quelque chose dont nous ne nous lasserons jamais, quelque chose qui soit entièrement réel et vrai. Mais une telle chose ne peut être trouvée dans l'expérience mondaine. Réfléchissant ainsi, voyant les défauts de l'existence conditionnée, on traverse le conditionné pour aller au-delà, vers l'Inconditionné.

Observer les souffrances des êtres sensibles.

Le troisième facteur est « observer les souffrances des êtres sensibles ». Et il y a tant de souffrance ! Il n'y a qu'à ouvrir le journal pour en rencontrer : des gens sont pendus, assassinés, brûlés vifs ; des gens meurent de toutes sortes de manières douloureuses, de maladie, de famine, à cause de crues ou d'incendies. En ce moment même, des gens souffrent terriblement de multiples façons, et on n'a pas besoin de beaucoup d'imagination pour le réaliser. Il y a des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des accidents d'avion, pour ne pas parler des guerres - des morts soudaines de tant de façons épouvantables et horribles. Et il y a bien sûr de nombreux morts sur la route : nous sommes devenus presque insensibles à ce phénomène, mais il est toujours vraiment horrible si nous considérons la réalité derrière les statistiques.

Même sans aller jusque-là, se débrouiller simplement dans le monde, boucler les fins de mois, mener une vie humaine heureuse est parfois une rude bataille. Nous faisons de notre mieux pour être correct, droit et honnête, pour garder la tête au-dessus des vagues, mais alors survient une énorme vague qui nous enfonce à nouveau. Nous plongeons et remontons encore, et cela continue. C'est la vie humaine.

Et puis il y a la souffrance des animaux : tous ces animaux que l'on piège pour leur fourrure, que l'on abat pour la consommation humaine ou que l'on chasse ou que l'on pêche. Si on la considère objectivement, on s'aperçoit que de bien des façons la vie est une chose « misérable, cruelle et brève ». Ce n'est qu'une face de la pièce, mais c'est une face que nous ignorons souvent, et que nous devons garder à l'esprit.

Pire encore, d'une certaine façon, sont les souffrances que nous nous causons nous-même du fait de nos propres états d'esprit. Nous n'avons pas seulement peur de la vieillesse et de la mort ; nous ne faisons absolument rien pour prendre en main notre fâcheuse situation. Pleins d'anxiété, la plupart des gens vivent sans orientation spirituelle, sans vraie clarté. La bodhicitta commence à apparaître quand on voit dans quel pétrin nous sommes tous. On ne peut pas commencer à le voir tant que l'on n'est pas soit même un petit peu hors du pétrin.  C'est alors que l'on commence vraiment à réaliser à quel point les gens souffrent.

Le grand danger est que, nous étant libéré un peu nous-même, nous nous mettions à regarder les gens de haut et à les prendre en pitié. Cette sorte d'élitisme - « Oh pauvres de vous ! N'avez-vous pas entendu parler du bouddhisme ? » - n'est d'aucune utilité. En même temps, cependant, on voit bien que la plupart des gens ont besoin d'une voie spirituelle et l'on veut les aider, pas seulement pour alléger leurs souffrances ou les pallier, mais d'une façon radicale ; nous voulons aider les gens à voir qu'il y a une dimension spirituelle, un sens profond à la vie.

Tennyson parle d'être « en sympathie indolore avec la douleur », et c'est ce genre de sympathie que ressentent les bodhisattvas. Ils sont fortement conscients de la souffrance des autres mais ne souffrent pas comme eux. Si nous faisions littéralement l'expérience de la souffrance des autres, nous deviendrions complètement impuissant : ce serait trop. Si nous nous emmêlons personnellement trop dans la situation difficile d'une autre personne, nous pouvons simplement finir par nous joindre à elle dans sa souffrance. Nous avons besoin dans notre expérience d'une base de positivité si forte que même en étant pleinement conscient de la souffrance des autres et en faisant notre possible pour l'alléger, nous ne sommes pas submergé par cette souffrance.

La contemplation des vertus des tathâgatas.

Le dernier des quatre facteurs de Vasubandhu est « la contemplation des vertus des tathâgatas » (tathâgata voulant dire bouddha, ou éveillé, et vertus voulant ici dire non seulement les vertus éthiques mais les qualités spirituelles de toutes sortes). Comme nous l'avons vu, dans les écritures en pâli, il y a nombre d'exemples de gens extrêmement inspirés par leur rencontre avec le Bouddha. Ils ne savent rien du bouddhisme ; ils sont simplement inspirés par la présence même du Bouddha, voire par son aura.

En un sens, nous pouvons nous-même faire ce genre de rencontre quand nous faisons une puja. Lors d'une puja, en essence, nous pensons au Bouddha, non pas de façon froide et intellectuelle, mais en ayant l'idéal de la bouddhéité au premier plan de notre conscience. Quand nous faisons la puja, le Bouddha est devant nous, soit sous la forme de l'image ou de la statue sur l'autel, soit présent de façon vivante dans notre esprit, en visualisation ou en imagination. Par la puja et par tous les actes de dévotion (faire des offrandes, arranger des bouquets de fleurs, etc.), nous devenons plus ouvert et sensible à l'idéal du Bouddha, ce qui nous prépare à la percée de cette dimension spirituelle supérieure qu'est la bodhicitta. On n'arrête pas de faire des pratiques de dévotion une fois la bodhicitta apparue. Selon les soûtras du Mahâyâna, personne ne fait autant d'offrandes que les bodhisattvas : ils sont toujours en train de faire des pujas, de louer le Bouddha, etc. Il est dit que certains bodhisattvas on fait le vœu de vénérer tous les bouddhas de l'univers. Ils passent tout leur temps - des millions et des millions d'années - à aller d'un endroit de l'univers à un autre, louant tous les bouddhas qui existent. C'est une hyperbole typique du Mahâyâna, mais cela nous aide à réaliser l'importance de actes de dévotion.

La visualisation d'un bouddha ou d'un bodhisattva.

Une autre façon de contempler les vertus des êtres Éveillés est de lire l'histoire de leur vie, que ce soit celle du Bouddha lui-même ou, par exemple, celle de Milarépa, le yogi éveillé de la tradition du bouddhisme tibétain. On peut aussi contempler les qualités des bouddhas au moyen d'exercices de visualisation, comme les a particulièrement développés le bouddhisme tibétain, en faisant apparaître une vive image mentale d'un bouddha ou d'un bodhisattva, une sorte de vision archétypale de celui-ci. Pour résumer très brièvement, pendant ces pratiques, on voit cette forme visualisée d'une façon de plus en plus éclatante, de plus en plus merveilleuse et l'on se sent peu à peu comme mêlé à elle, notre cœur fusionnant avec le cœur du bouddha ou du bodhisattva, le cœur de l'Éveil. De cette façon, on contemple, on assimile, et on ne fait plus qu'un avec les vertus des Tathâgatas.

Sans trop même entrer dans les détails traditionnels, il n'est pas difficile de comprendre comment la bodhicitta peut apparaître sur la base de ces quatre facteurs. Grâce à la remémoration des bouddhas, nous devenons convaincus que l'Éveil est possible. Ils ont atteint l'Éveil, pourquoi pas nous ? Ces réflexions éveillent énergie et vigueur. Puis, voyant les défauts de l'existence conditionnée, voyant qu'elle est impermanente, insatisfaisante et de façon ultime non-réelle, nous nous détachons du monde. La tendance, le courant de notre existence commence à couler en direction de l'Inconditionné. Puis, par l'observation des souffrances des êtres sensibles, en imagination ou dans la réalité, apparaît la compassion. Nous avons cessé de ne penser qu'à notre propre libération : nous voulons aussi aider les autres.  Puis, en contemplant les vertus des tathâgatas, leur pureté, leur paix, leur sagesse, leur amour, nous sommes graduellement assimilés à eux et nous approchons du but de l'Éveil.

Lorsque ces quatre facteurs (énergie, détachement, compassion et « ne faire qu'un » en quelque sorte avec les bouddhas) commencent à s'unir dans notre cœur, la bodhicitta apparaît, l'éveil du cœur est atteint. Un bodhisattva est né.

The Bodhisattva Ideal © Sangharakshita, Windhorse Publications 1999, traduction © Centre bouddhiste Triratna de Paris 2006.

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