Une position philosophique ?
Vénérer le Dharma, et s'y fier.
L'approche qu'a Sangharakshita de la vue juste.
« Quelle est la position philosophique fondamentale de la Communauté bouddhiste Triratna ? » a dit un jour Sangharakshita - sans répondre à cette question. Dharmachari Subhuti, un de ses plus anciens disciples, a plus tard cherché à répondre à cette question, lors d'entretiens avec Sangharakshita. Il nous livre ici le contenu de leurs discussions.
« Quelle est notre position philosophique fondamentale ? » a dit un jour Sangharakshita d’un air méditatif, lors d’une réunion de membres expérimentés de l’Ordre Triratna, durant les années 1980. Je fus frappé par son ton réfléchi – et par le fait qu’il ne donna pas de réponse : c’était un travail en cours.

Sans interroger de trop près la notion de « position philosophique fondamentale », elle correspond globalement dans ce contexte au terme bouddhique samyag-drsti ou Vue juste – ou Vision parfaite, dans la traduction de Sangharakshita. Au cours de ses nombreuses années d’enseignement, Sangharakshita a expliqué la Vue juste de plusieurs manières, en utilisant la terminologie et la perspective d’un grand nombre d’écoles historiques du bouddhisme, et en traduisant les termes clefs de diverses façons, en empruntant au vocabulaire philosophique, psychologique, poétique et même religieux de l’Occident. Il a aussi créé son propre langage distinctif pour communiquer la vue qu’avait le Bouddha de la vie, avec des phrases telles que l’« évolution supérieure » ou l’« aller en refuge cosmique ». La richesse et la diversité remarquables de ce qu’il a écrit et dit est certainement, en plus de sa lumineuse clarté, un des traits les plus attirants de la Communauté Triratna, le mouvement qu’il a fondé ; cela lui donne une envergure et un attrait particulièrement larges et profonds. Mais cela laisse cependant des problèmes potentiels. La cohérence peut très bien être un lutin un peu bête, mais l’incohérence peut mener à des incompréhensions et à de la confusion.
Il nous faut considérer avec attention la vaste étendue de la présentation de Sangharakshita si nous voulons discerner une position philosophique fondamentale. Mais ce n'est pas une tâche aisée. En la menant, il y a deux points principaux à garder à l'esprit, car ils expliquent une partie de l'incohérence apparente.
Premièrement, sa présentation d'une tradition bouddhique ou d'une autre ne veut pas nécessairement dire qu'il l'approuve. Il a souvent expliqué des enseignements afin que ses disciples puissent apprécier le contexte bouddhique dans lequel ils sont apparus. Ce faisant, il a engagé sa très grande force d'empathie avec ces points de vue et il a essayé de les comprendre dans leurs propres termes, nous aidant ainsi à les comprendre de l'intérieur. Je l'ai en fait vu faire la même chose pour des œuvres de littérature, et même pour des doctrines d'autres religions. Cependant, le fait qu'il rende intelligible un aspect ou un autre de la tradition bouddhique, voire même qu'il en révèle l'efficacité spirituelle, ne veut pas nécessairement dire qu'il le considère utile en lui-même ou qu'il considère qu'il doive avoir cours dans la Communauté Triratna.
Deuxièmement, nous devons prendre en compte le développement personnel de Sangharakshita en tant que pratiquant et que maître. Toute sa vie, il a approfondi sa compréhension du Dharma et clarifié sa façon de l'exprimer. Bien qu'il y ait une continuité frappante dans sa compréhension, depuis ses premiers écrits jusqu'à aujourd'hui, on peut néanmoins discerner une évolution au fil des ans : il est possible de reconnaître l'émergence progressive d'un noyau intégral qui lui est propre. Sangharakshita a lui-même décrit le déroulement du noyau de ce noyau dans son livre The History of my Going for Refuge, et des développements similaires peuvent être trouvés ailleurs.
Nous devons donc toujours lire ses premiers enseignements à la lumière des plus récents. Cela ne nous demande en aucun cas de nous débarrasser de ses anciens écrits – par exemple, de brûler tout livre dans lequel il utilise une terminologie empruntée aux idéalistes allemands, comme « l'Absolu », qu'il évite aujourd'hui. Cela ne nous demande pas non plus de nous couper de tout le Mahayana parce que Sangharakshita trouve aujourd'hui que certaines de ses approches métaphysiques sont réifiées de manière problématique, alors qu'il les a un temps utilisées. Ce que tout ceci implique est que nous devons avoir une bonne compréhension de ses perspectives les plus récentes lorsque nous considérons ses anciennes œuvres, et devons les lire ou les écouter en conséquence. Et, bien sûr, ses disciples devraient aussi faire très attention à leur façon d'utiliser ces anciennes œuvres pour leur propre pratique. Quand ils enseignent le Dharma, ils devraient s'assurer que la position fondamentale est claire et que, s'ils choisissent de se référer à d'autres textes plus ambigus, ils doivent dire de manière évidente qu'ils le font dans un but particulier.
Même lorsque tout ceci est pris en compte, la question posée par Sangharakshita il y a quelques trente ans nécessite toujours une réponse. Quelle est la position philosophique fondamentale de la Communauté Triratna ? Dans la mesure où le mouvement a été fondé sur la présentation particulière du Dharma faite par Sangharakshita, ceci nous demande de connaître sa position philosophique fondamentale. Que devons-nous faire de ses diverses façons de parler de la Vue juste, qu'elles soient dérivées de la tradition ou qu'elles proviennent de ses propres néologismes ? Étant particulièrement soucieux du fait que ceux d'entre-nous qui sommes ses disciples entendons quelque chose de définitif dans des termes aussi problématiques que « l'Absolu », « l'Inconditionné », « le Transcendant », etc., ainsi que dans l'« aller en refuge cosmique », etc., j'ai eu en mars de cette année 2010 une série d'entretiens avec Sangharakshita, durant laquelle nous avons discuté de ses dernières réflexions à ces sujets.
J'ai enregistré nos entretiens avec l'intention de les transcrire et de les retravailler, mais Sangharakshita a cependant préféré que je les écrive avec mes propres mots, puisque le sujet nécessite une précision plus grande que ce qui est possible dans un échange parlé – la détérioration de sa vue ne lui permettant pas d'écrire lui-même ce qu'il pense. C'est ce que j'ai fait dans ce qui suit. J'ai essayé d'expliquer ce que Sangharakshita m'a dit durant ces entretiens, non seulement sur la base de ce qu'il a alors dit mais aussi sur celle de ce que j'ai trouvé ailleurs dans son œuvre et qui semblait pertinent, et j'ai développé sa pensée avec mes propres mots. Ce que j'ai écrit a été soigneusement vérifié par Sangharakshita et peut être considéré comme représentant ses pensées avec précision – avec autant de précision qu'il est possible avec les mots et le style d'une autre personne.
De l'importance des vues.
Avant d'aller plus avant, je veux dire clairement pourquoi cette tâche est nécessaire. Elle est nécessaire car les vues ont de l'importance. Mais, tout d'abord, que sont les vues ? Ce sont essentiellement les façons que nous avons d'organiser et d'interpréter les données brutes de notre expérience. Nos sens, intérieurs et extérieurs, nous livrent une masse indifférenciée d'impressions, qui doivent être réduites à un ordre gérable si nous voulons vivre avec quelque succès. La première étape, pour créer du cosmos à partir du chaos, consiste à étiqueter et à catégoriser nos perceptions afin que le monde devienne un assemblage d'éléments reconnaissables. C'est, dans sa fonction de base, la samjña, l'« interprétation » ou la « reconnaissance ». De manière évidente, une partie de cette mise en ordre primaire est instinctuelle : les animaux aussi peuvent distinguer ce qui se mange et ce qui ne se mange pas, la menace et le membre du troupeau, leur propre territoire et le pays étranger. La capacité à utiliser des mots étend cependant grandement la subtilité et l'étendue de la samjña.
Le langage apporte aussi une chose de plus : le vitarka, la capacité à penser, voire à raisonner, quelle que soit la mesure dans laquelle nous l'utilisions. Nous prenons du recul par rapport à notre expérience et considérons comment les éléments de ce que nous percevons sont en relation les uns avec les autres. Les schémas que nous formons en pensant ainsi sont nos vues. Elles peuvent trouver expression dans des idées et des théories plus ou moins bien articulées, mais le plus souvent elles ne sont pas du tout formulées d'une manière consciente et sont simplement des attitudes et des suppositions non réfléchies qui sont là, dans nos processus mentaux, sans que nous en soyons conscients.
Les vues peuvent être des théories immédiates à propos de situations particulières, ou bien elles peuvent aller jusqu'à des questions fondamentales sur la signification et le but de l'existence humaine et sur la nature de la réalité elle-même. En fait, toutes les personnes conscientes d'elles-mêmes qui n'ont pas réalisé le Dharma directement pour elles-mêmes ont des vues implicites au sujet de leur propre soi et de la vie elle-même, aussi faibles, contradictoires et désordonnées soient leurs idées.
Nos vues ne sont bien sûr pas désintéressées. Elles naissent de notre expérience teintée affectivement et en soutien de notre lutte fondamentale pour éviter ce que nous dédaignons et pour gagner et faire durer ce à quoi nous attachons de la valeur – la douleur et le plaisir étant les deux catégories les plus fondamentales de notre évaluation. En partie, les vues sont des analyses de la situation dans laquelle nous nous trouvons, une explication du pourquoi de l'apparition de la douleur ou du plaisir. En partie, ce sont des stratégies pour agir à partir de cette situation, expliquant comment nous pouvons faire durer, à l'avenir, ce à quoi nous attachons de la valeur. Le plus souvent, selon le Bouddha, ce sont des généralisations trop hâtives à partir de notre expérience (Cf. Brahmajala-sutta, DN 1.3.32). Elles semblent servir nos meilleurs intérêts, mais souvent, en fait, ne nous apportent qu'une souffrance future.
Ayant construit des vues pour traiter de notre expérience dans ce que nous croyons être notre meilleur intérêt, nous nous y attachons. C'est parce qu'elles sont elles-mêmes souvent fortement liées à des sensations de plaisir ou de douleur. Nous avons un sens de soulagement ou de satisfaction quand nous avons une vue des choses, car nous avons en pensée « maîtrisé » la situation et savons maintenant quoi faire.
Les vues peuvent bien sûr être « justes » ou « fausses », avec sans aucun doute diverses tonalités intermédiaires. Afin de distinguer les unes des autres, il nous faut considérer trois choses : la justesse et l'équilibre des données, les valeurs qui sont soutenues, et le résultat. La Vue juste traite les données dans leur totalité : elle donne une yoniso manasikara, une « attention sage », incluant toute l'information, plaisante, douloureuse ou neutre, et la voyant telle qu'elle est dans sa totalité et sa profondeur. Elle reste proche de l'expérience essentielle, la reconnaissant comme partageant les caractéristiques de toute chose : l'impermanence, l'insubstantialité, et l'incapacité à donner une satisfaction permanente, mais offrant toujours une porte vers la libération. La Vue juste soutient le bien le plus élevé et le plus grand qui soit : l'avancée sur la voie vers la libération ultime de tous. Enfin, les vues peuvent être jugées comme justes quand elles résultent en actions qui sont bénéfiques pour soi et pour les autres, en accord avec les préceptes.
Les vues fausses s'appuient sur des interprétations partiales ou sélectives de l'expérience, sur une information déformée qui n'est pas vue dans sa globalité ou sa profondeur. Nous prenons certaines caractéristiques des choses et en laissons d'autres de côté, choisissant ce qui nous plaît, même si, perversement, ce peut parfois être les aspects déplaisants des choses et plus particulièrement des gens. Les vues fausses d'une personne servent des buts étroits, grossiers, égoïstes et résultent en souffrance pour elle-même et pour les autres.
Selon le Bouddha, il y a deux sortes de vues fausses fondamentales : la vue éternaliste et la vue nihiliste. Toutes deux naissent lorsque l'on coupe le flot indifférencié de l'expérience, où les choses semblent apparaître et disparaître, et que l'on insiste sur un de ces aspects au détriment de l'autre. L'éternalisme consiste à insister sur le fait que les choses semblent apparaître. Nous faisons de cette apparition une abstraction et la généralisons en une vue de réalités ultimes et éternelles. Le nihilisme est le résultat de l'abstraction du fait que les choses semblent cesser : nous créons une théorie de la vacuité ultime de la réalité, de son absence essentielle de valeur et de son manque de signification et de but.
Les deux ont des conséquences en termes d'action. Il y a tant de formes de ces deux vues qu'il n'est pas possible de résoudre les résultats à de belles équations, comme c'est souvent fait dans des présentations du Dharma. L'éternalisme, cependant, peut résulter en une forme destructrice de négation de soi ; il mène en particulier à la négation d'une sensibilité morale personnelle et en des actes inhumains qui sont justifiés comme étant des exigences d'une forme de principe éternel – diverses formes de croyances théistes sont des exemples caractéristiques de l'éternalisme. Le nihilisme mène très souvent à une absorption dans une poursuite très étroite du plaisir et à une insouciance envers les valeurs morales, ou à une négation de celles-ci – on pourrait dire que le consumérisme est une construction nihiliste moderne.
La Vue juste ne promeut ni l'attachement aux abstractions réifiées de l'éternalisme, ni le manque de valeur, d'ordre et de signification du nihilisme. Au lieu de cela, elle nous ramène à ce qui peut être clairement vu dans l'expérience, que ce soit, à un moment donné, ce qui se passe en nous, ou ce qui nous arrive, ou ce que nous savons de ceux que nous considérons comme sages.
Il devrait maintenant être évident que les vues que nous entretenons comptent, et comptent même beaucoup. L'intégrité et les bonnes intentions ne suffisent pas : une compréhension intelligente qui est en accord avec la façon dont sont les choses est essentielle. Les idées que nous avons au sujet de la vie, les attitudes que nous avons face à notre expérience, tout cela forme la façon dont nous agissons pour le bien ou pour le mal. La longue expérience de l'humanité démontre amplement que les idées comptent réellement : nous pouvons par exemple voir la terrible inhumanité qui a découlé de vues au XXème siècle, que ce soit des vues fascistes, communistes ou colonialistes. Une grande part des dangers du monde, de nos jours, provient de la confrontation, au Moyen-Orient, entre des vues incompatibles : juives, chrétiennes, socialistes, néo-libérales, progressistes, etc.
Les vues ont bien sûr aussi été à la base de beaucoup de bien dans le monde, et aujourd'hui nous devons mettre espoir et énergie pour le triomphe de toutes les sortes de vues humanitaires. Si l'on considère l'énorme potentiel destructeur de la technologie moderne, on peut dire que la survie du monde, aujourd'hui, dépend de l'influence étendue de vues plus utiles sur la nature de cette vie, sur la signification et le but de l'humanité, et sur la responsabilité que les êtres humains ont les uns envers les autres – et envers d'autres êtres aussi.
Les vues comptent car elles donnent forme à notre vie éthique ; elles donnent aussi forme à la vie spirituelle ou religieuse, dans le sens le plus large. Une véritable croissance spirituelle est une possibilité inhérente à la vie même et peut être vue chez certains disciples de la plupart des religions – ainsi qu'en dehors des religions, en particulier dans les domaines des arts et de la philosophie. Le problème est que, dans de très nombreux cas, les religions déforment la croissance humaine du fait de leur façon de comprendre la vie – du fait de leurs vues, en particuliers de leurs vues éternalistes. Il est très significatif que, dans le sutta de Brahmajala (DN, 1), la présentation classique du Bouddha sur le sujet, une majorité des soixante-quatre vues fausses énumérées soient des mauvaises interprétations d'expériences visionnaires et méditatives : les vues distraient de l'expérience supérieure et l'empêchent de mener à la libération.
Ce qui est caractéristique du bouddhisme est sa clarté certaine au sujet de la voie et du but auquel mène cette voie. Le Bouddha vit vraiment très clairement le danger des vues et la nécessité de maintenir une prise de conscience vive de la façon dont nous pensons à notre vie et en parlons, de nos efforts sur la voie, et particulièrement de notre compréhension de la vraie nature des choses. Les textes pâlis nous le montrent toujours vigilant face aux idées nuisibles, ou au moins non utiles, que ce soit au sujet de la vie éthique ou à celui de l'atteinte de la libération. Il est très frappant que le sutta de Brahmajala soit le premier sutta du premier nikaya du premier pitaka du Tripitaka. Les vues fausses mènent à une distorsion de l'expérience humaine et, au mieux, empêchent l'épanouissement complet d'une véritable aspiration spirituelle ; au pire, elles mènent à tous les maux dont sont capables les êtres humains.
Jusqu'à ce que nous ayons vu directement les choses telles qu'elles sont, nous nous reposons sur les vues justes pour notre pratique du Dharma. C'est pour cela que l'étude est un aspect tellement important de la pratique du Dharma. Nous devons débarrasser notre esprit des vues fausses qui forment tant de nos pensées et attitudes, que ces vues soient éternalistes ou nihilistes, sous toutes leurs formes et sous-formes. Ceci nécessite de notre part une introspection certaine, en particulier en étudiant et en discutant le Dharma avec ceux qui ont les idées plus claires que les nôtres à son sujet. En même temps, nous devons acquérir la Vue juste, l'ensemble d'idées au sujet des choses qui nous ramènent à ce que ces dernières sont réellement et qui nous enseignent tout d'abord à vivre en harmonie avec nous-même et avec les autres, par l'éthique et la méditation, puis, par la sagesse, à atteindre la libération de la souffrance.
La « réticence métaphysique » du Bouddha.
Le Bouddha combattait avec vigueur toutes les vues fausses, les considérant comme « un fourré, une jungle, un enchevêtrement » dans lequel on peut facilement se perdre. Il enseigna la Vue juste en tant que premier membre de sa présentation la plus fondamentale de la Voie : le Noble chemin octuple. Il n'enseignait cependant pas la philosophie, malgré ce que dit de lui Sangharakshita dans son ancien essai Philosophy and Religion in Original and Developed Buddhism – au moins pas la philosophie spéculative ; si l'on pouvait le décrire comme un philosophe, ce serait un philosophe empiriste. Il ne cherchait pas à donner une présentation complète et obtenue rationnellement de la réalité, ni une explication du pourquoi et du comment de son fonctionnement. Il considérait que ceci distrayait du vrai travail. Plusieurs fois, il a dit qu'il n'avait pas de vues, dans le sens de ne pas soutenir de position philosophique préconçue (par exemple KN, IV.8 et 9). Il voyait comment sont les choses directement par sa sagesse et n'avait pas besoin de position à partir de laquelle les évaluer. C'était cependant un penseur, réfléchissant profondément à sa propre expérience de la souffrance, et montrant ce qui nous est nécessaire de savoir afin de nous en libérer.
La pensée du Bouddha représentait une rupture complète de celle de ses contemporains et de ceux qui l'ont précédé en Inde. Son enseignement était tout à fait étranger à la mentalité et au mode d'expression généraux indiens, tant avant qu'après son époque. Il lui fallait bien sûr traiter certaines des préoccupations de son temps et s'exprimer dans une terminologie commune. Mais il rejetait les tendances métaphysiques et spéculatives fréquentes à l'époque. Son refus de répondre aux quatre problèmes métaphysiques posés par l'errant Vachagotta est connu : il les rejetait comme n'étant pas utiles pour atteindre la libération de la souffrance (MN 72).
Le Bouddha évitait scrupuleusement toute abstraction métaphysique dans sa présentation du Dharma – on a présenté cela comme sa « réticence métaphysique ». Là où l'on a interprété ses dires comme étant de l'« abstraction » (par exemple le « non-né », dans le sutta de l'Ariyapariyesana (MN 26, 12), il est clair qu'il s'exprime poétiquement et ne doit pas être pris philosophiquement. Il ne prit cependant pas longtemps à la tendance indienne à penser de manière hautement abstraite pour s'en prendre à ses enseignements. La théorie du Dharma développée par l'Abhidharma fut le premier pas, et des penseurs du Mahayana tardif allèrent plus loin encore, culminant dans la doctrine du Tathagathagarbha, avec sa riche variété de formes et d'interprétations, parfois véritablement très complexes.
Ceux qui ont développé de telles approches théoriques peuvent, dans leur contexte et leur expérience propres, avoir bien utilisé les enseignements et les pratiques dont ils avaient hérité, pour traiter les problèmes qui étaient les leurs, en particulier ceux qui étaient posés par les défis des brahmanes ; ils peuvent bien avoir été entièrement fidèles à l'esprit du Dharma. Il est possible, comme Sangharakshita lui-même l'a fait, d'utiliser spirituellement certaines de ces constructions métaphysiques de façon très bonne et très inspirante. Elles trahissent cependant la méthode fondamentale du Bouddha – et l'on pourrait dire que sa méthode elle-même était un aspect principal de son enseignement : la façon de parler du Bouddha était aussi significative que ce qu'il disait. Ceci implique un quatrième critère pour la vue juste, en plus de ce qui a été mentionné ci-dessus – la justesse et l'équilibre des données, les valeurs qui sont soutenues, et le résultat éthique. Nous devons aussi considérer l'effet du langage que nous utilisons : communique-t-il une impression éternaliste ou nihiliste ? Sangharakshita croit que la réponse est oui pour un assez grand nombre de termes utilisés dans toute la tradition bouddhique.
Sangharakshita reconnaît qu'il a lui-même employé un certain nombre de termes apparemment métaphysiques dans ses propres présentations, « l'Absolu » étant l'exemple le plus fréquent. Le problème est que quand on entend ou lit des termes tels que « l'Absolu », « l'Inconditionné », « le Transcendant », « le Non-dual », « la Nature de Bouddha », en particulier s'ils ont une majuscule, on les comprend comme renvoyant à une entité métaphysique réelle mais existant, d'une certaine manière, hors de ce dont on peut faire l'expérience. Ceci mène aisément à des vues, à des formes d'éternalisme, et ces vues fournissent une base à l'action, laquelle deviendra aisément malhabile et défavorable puisque ces vues ne sont pas en accord avec la façon dont les choses sont réellement. Une telle terminologie quasi-philosophique ou métaphysique doit être évitée, en particulier dans notre enseignement général. Elle ne devrait être utilisée que lorsqu'elle est vraiment utile et que l'on peut clairement dire que l'on ne parle que dans un sens poétique, métaphorique ou imaginatif – chose qu'il n'est jamais certain que nos interlocuteurs comprennent bien, même si notre propre compréhension en est lumineuse.
En général, dit Sangharakshita, plus notre mode d’expression est abstrait, moins il exprime authentiquement l’enseignement du Bouddha ; et plus il est concret, plus il l’exprime authentiquement. S’il nous faut faire beaucoup de gymnastique mentale pour dire clairement que de telles abstractions ne renvoient pas à des réalités ontologiques, notre suspicion devrait être éveillée et nous devrions faire très attention en les utilisant. Quand nous lisons ou entendons de tels termes dans les propres œuvres de Sangharakshita, nous devons prendre conscience de ses intentions – une évocation imaginative ou poétique du but d’un vie selon le Dharma. Et peut-être devons-nous faire attention en l’imitant dans cette façon de faire. Nous ne devrions pas nous égarer dans une spéculation plus que cela n’est strictement nécessaire pour la pratique réelle du Dharma. Tel était pour nous l’exemple direct du Bouddha.
Le danger du nihilisme.
Le danger mentionné jusqu'ici se trouve du côté éternaliste de l'étendue des vues fausses. Le nihilisme est cependant tout autant un danger – et peut-être un danger pire à l'époque où nous vivons. Comment transmettons-nous un sens de but et de signification plus profonde de la vie, de quelque chose qui est au-delà de notre portée présente, sans que, bien sûr, ce « quelque chose » semble se référer à une réalité supra-expérimentale ? Comment gardons-nous devant nous un « objet transcendant », pour reprendre la phrase peut-être dangereuse de Sangharakshita : un but supérieur de nos efforts spirituels ? Il nous est essentiel d'imaginer et de concevoir un tel but, car la vie avec le Dharma est vécue pour aller au-delà de ce que nous sommes aujourd'hui. Si nous n'avons pas cette image devant nous, nous ne pouvons diriger nos énergies vers la pratique du Dharma. Dans notre vif désir d'éviter l'éternalisme, nous devons faire attention à ne pas tomber dans le nihilisme. Mais comment allons-nous l'éviter ? Vers quoi allons-nous, qui est au-delà de ce que nous sommes aujourd'hui ? Comment pouvons-nous en parler ?
Il n'y a pas que le problème de là où nous allons : comment allons-nous y aller ? La vie selon le Dharma nous emmène au-delà de notre identité étroitement auto-centrée et de ses motivations basées sur l'égoïsme. Qu'est-ce qui prend la suite de nos instincts normaux, aussi bénins soient-ils ? À moins que nous n'ayons déjà quelque expérience durable de ce but et de cette motivation supra-égotiste, nous avons besoin de les garder à l'esprit, de leur permettre d'avoir une présence convaincante et inspirante dans notre vie, et d'aligner nos actions sur elles. Nous avons besoin de nous référer à un but et à une force motrice supra-égoïste et de leur faire confiance, afin qu'ils puissent donner forme à nos choix, en accord avec le Dharma : nous avons de plus en plus besoin d'avoir le sens d'une direction vers laquelle nous sommes attirés, et d'une énergie plus profonde qui nous y porte. Mais comment pouvons-nous nous y référer sans suggérer quelque chose de métaphysique qui existe vraiment ?
L'expérience de Sangharakshita du but et de la motivation dharmique
Pour Sangharakshita lui-même, ceci ne semble jamais avoir été un problème. Dès son premier contact avec le Dharma, ce dernier a eu sur lui et en lui un impact vif et direct. En lisant le Soutra du Diamant à l'âge de 16 ans, il a fait l'expérience de « quelque chose d'ineffable » qu'il « embrassa tout de suite joyeusement avec une acceptation et un assentiment sans réserves ». Ceci mit en marche en lui une fontaine d'énergie joyeuse et lui donna un sens de liberté sans bornes. Dès ce moment-là, il fut attiré vers l'avant, ne doutant jamais de la direction qu'il prenait. Il fit de plus en plus l'expérience d'une motivation apparaissant en lui, qui allait au-delà de lui-même –venant de l'idéal du bodhisattva, de sa visualisation de Tara, de Manjusri et d'autres bouddhas et bodhisattvas.
Il eut une expérience particulièrement forte de cette motivation supra-personnelle après son arrivée à Nagpur, le 6 décembre 1956, quand il apprit la mort de Dr Ambedkar. Il fit l'expérience de lui-même comme répondant entièrement spontanément à la crise à laquelle les nouveaux bouddhistes faisaient face après la perte de leur leader vénéré – répondant avec une profonde inspiration et une grande efficacité, comme si une chose loin au-delà de lui était à l'œuvre au travers de lui. Il dit qu'alors que jour après jour il faisait sans repos discours après discours, il lui semblait que ce n'était pas lui qui parlait. Parfois il ne savait pas ce qu'il disait : « Les mots sortaient juste de ma bouche, et je les entendais presque comme si j'écoutais une autre personne ; ils n'étaient pas précédés de pensée. »
Plus tard, quand il enseignait en Grande-Bretagne, il sentit souvent qu'à un moment dans son discours quelque chose prenait les rênes qui était plus que lui-même. Dans la même veine, il parla plus tard de l'Ordre bouddhiste Triratna comme ayant été fondé à travers lui, plutôt que comme lui fondant l'Ordre. Considérant toute sa vie et y réfléchissant, il lui semble qu'il a été poussé par un vent qui venait de bien au-delà de lui-même.
La perspective « philosophique » fondamentale de Sangharakshita.
Ces expériences ont aidé Sangharakshita à comprendre l’enseignement du Bouddha et ont alimenté sa contemplation de cet enseignement, en particulier sous la forme de réflexions sur l’Aller en refuge dans les Trois joyaux, sur la nature de l’Entrée dans le courant et du bodhicitta, le menant à des idées sur l’évolution inférieure et supérieure. C'est ainsi qu'il est arrivé à sa propre présentation de la Vue juste.
Pour lui, comme pour le Bouddha, l'expression fondamentale de la Vue juste est le pratitya-samutpada, la coproduction-conditionnée, qui en un sens n'est pas du tout une vue ; ce n'est pas une théorie au sujet des choses mais une description de ce que nous pouvons en fait voir et savoir au sujet de tous les éléments de notre expérience. C'est la voie moyenne entre l'éternalisme et le nihilisme. Cela évite l'éternalisme car tout apparaît en dépendance de conditions et est donc impermanent ; cela évite le nihilisme car cela contient la possibilité d'une voie de transcendance de soi.
Dans sa présentation classique, la vue pénétrante fondamentale du Bouddha montre que tout aspect de l'expérience que nous choisissons d'examiner peut être vu comme apparaissant en dépendance de conditions et, ces conditions cessant, cesse lui-même. Beaucoup de choses s'ensuivent. En particulier, la conditionnalité entraîne et est entraînée par les trois lakshanas : ce qui est conditionné ne peut être permanent, ne peut avoir d'existence substantielle, et ne peut offrir de satisfaction durable. Mais la conditionnalité implique aussi une interdépendance dynamique de toutes les choses, internes et externes. Il n'existe pas de procession simplement coïncidente d'événements autrement indépendants, impermanents et insubstantiels. Il existe un lien entre un événement et ce qui le suit. Un ensemble d'événements en conditionne un autre. À partir d'un ensemble donné d'événements, un ensemble particulier d'événements doit apparaître – et pas un autre.
Le fait de la conditionnalité ne nécessite aucune théorie quant au mécanisme précis par lequel sont reliées les conditions et ce qu'elles conditionnent. C'est simplement ce que nous pouvons observer en nous et tout autour de nous, c'est simplement la façon dont sont les choses. Il y a des règles ou un ordre à l'enchaînement des événements. Tout est ordonné ou régulé dans le sens où, dans les grandes lignes, les mêmes effets apparaîtront à partir des mêmes conditions.
Le pratitya-samutpada est, de ce point de vue, le principe général de relations ordonnées entre des conditions et leurs effets. Ce principe s'exprime dans un nombre vaste, et peut-être infini, de lois possibles qui gouvernent la relation entre des conditions particulières et ce qu'elles conditionnent – bien que les métaphores de la « loi » et du « gouvernement » n'impliquent ici absolument aucun agent externe ou faiseur de lois. Par exemple, la loi de la gravité décrit simplement une régularité prédictible dans la relation entre deux objets. C'est cette nature ordonnée des choses qui nous permet de fonctionner en relation avec elles – s'il n'existait un tel ordre, la vie ne serait pas possible.
Bien que le fait du pratitya-samutpada soit essentiel à notre survie dans le sens le plus fondamental, son importance pour la vie selon le Dharma est plus spécifique. Notre capacité à trouver la libération de la souffrance dépend du pratitya-samutpāda non seulement parce que la libération est une compréhension complète de ce principe, mais aussi parce que la libération est possible du fait qu'il y a des règles ou des lois dans le schéma global du pratitya-samutpada qui la rendent possible. Une fois que nous avons compris la nature de la réalité en tant que pratitya-samutpada et en sommes entièrement convaincus, nous nous alignons avec ces règles ou lois qui nous mènent à la libération. La libération aussi apparaît en dépendance de conditions : il y a des règles qui gouvernent le développement spirituel et la réalisation spirituelle.
Les cinq niyamas.
Afin de comprendre ceci plus avant, il nous faut considérer la variété des relations conditionnées. Dans les suttas, le Bouddha se réfère à diverses sortes, mais elles ne sont jamais clairement classées. Cette tâche a été entreprise plus tard et a été consignée par Bouddhaghosha dans ses commentaires sur le Tipitaka. Bouddhaghosha exposa cinq niyamas avec lesquels on peut grouper toutes les relations conditionnées. Niyama veut dire retenue, limitation ou nécessité, et se réfère dans ce contexte aux catégories de relations nécessaires dans le principe de conditionnalité – aux cinq classes ou ordres de règles par lesquelles ce qui est conditionné est lié à des conditions.
Cette classification a eu une influence majeure sur la compréhension qu’a Sangharakshita du pratitya-samutpada et sur la présentation qu’il en a faite, bien qu’il en ait donné sa propre interprétation, laquelle est sous certains aspects différente de celle qui se trouve dans les commentaires et en particulier de compréhensions modernes de ceux-ci. Dans sa présentation des niyamas, il utilise pour expliquer ces cinq catégories des concepts modernes que l’on ne trouve pas dans l’Inde ancienne, et il donne à certaines d'entre elles des significations assez différentes de ce que l’on trouve dans les sources. Il fait probablement cela sur la base de l’interprétation de Mme Rhys-Davids. Il est important de reconnaître que ce que nous avons maintenant est un enseignement qui sous certains aspects est suffisamment différent pour être considéré comme nouveau, bien que basé sur le principe essentiel, trouvé chez Bouddhaghosha, selon lequel la conditionnalité dans sa totalité comprend différents « ordres ». L’analyse faite par Sangharakshita n’est cependant pas du tout incohérente avec l’enseignement du Bouddha tel qu’on le trouve dans les suttas – ni, il faut le dire, avec ce qui semble être l’apport des commentaires eux-mêmes.
Bien qu’une grande partie de ceci nous soit familière, il vaut la peine de présenter l’enseignement dans son entièreté tel que Sangharakshita le comprend, de telle sorte que sa signification complète en tant que présentation de ce qu’est la voie moyenne entre éternalisme et nihilisme soit présentée clairement. Il est bon aussi de le détailler afin qu’il puisse être vu dans le contexte de la présentation globale du Dharma faite par Sangharakshita.
Le pratitya-samutpada veut dire que l’on peut discerner des schémas de règles entre les conditions et ce qu’elles conditionnent. Ces schémas de règles peuvent être groupés en cinq catégories, les cinq niyamas : utu, bija, mano, kamma et dhamma.
L’utu-niyama est la somme totale des règles trouvées dans la matière physique non vivante : c’est le sujet des sciences de la physique et de la chimie – les conditions qui gouvernent le domaine minéral. Cela inclut les lois de la gravité, de la thermodynamique, les lois gouvernant les réactions chimiques, l’électricité, la structure des atomes, etc.
Le bija-niyama est fait de toutes les relations conditionnées qui s’appliquent aux organismes vivants, aux règnes végétal et animal : c’est le sujet de la biologie, de la botanique, et de la physiologie. La photosynthèse, la transmission génétique et la circulation du sang sont des exemples de bija-niyama.
Le mano-niyama est la somme des règles qui ordonnent le règne animal, lequel est fait de tous les organismes qui ont une perception sensorielle, et il est étudié par la zoologie et une grande part de la science du comportement. On y trouve les processus de perception, les réflexes et les réactions de réponse aux stimulus, et les instincts. Y sont incluses des réponses très complexes et intelligentes comme les remarquables instincts migratoires et des stratégies de survie apparemment très astucieuses.
Ces trois niyamas sont tous à l’œuvre en nous : des règles de relations conditionnées de ces trois catégories gouvernent notre corps et notre intelligence sensorielle et instinctuelle. C’est dans ces niyamas que prend place ce que Sangharakshita appelle l’« évolution inférieure ». Les deux niyamas restants sont ce qui rend possible l’« évolution supérieure ».
La conditionnalité de kamma-niyama entre en jeu quand l’intelligence devient auto-réflexive, capable de former une idée du soi en tant que centre d’action et d’expérience. Le kamma-niyama est fait des règles qui sont trouvées dans la relation entre l’agent conscient de lui-même et les effets de ses actions, que ce soient des actions de corps, de parole ou d’esprit. Les effets qui apparaissent avec ce niyama sont de deux ordres : intérieurs et extérieurs. Alors qu’il est plus difficile de savoir avec certitude si quelque chose qui nous arrive est, par le kamma-niyama, le résultat de nos actions passées, il est relativement aisé d’observer la façon dont nos actions re-forment notre esprit tandis qu’il réapparaît d’un moment à l’autre dans cette vie – voire même la façon dont il réapparaît d’une vie à l’autre.
Le kamma-niyama est le terrain de l’éthique. Les actions qui sont basées sur des états d’esprit favorables et utiles tendant globalement à mener à des effets bénéfiques dans le monde, à un retour plaisant venant de ce qui nous entoure, à un plus grand degré de satisfaction et d’épanouissement intérieurs, et à une expérience plus profonde et plus riche. Les actions inutiles ont bien sûr l’effet opposé, en accord avec l’ordre karmique de la conditionnalité. Pratiquer l’éthique, c’est accorder ses actions avec la façon dont sont les choses. L’éthique est naturelle : ce qui rend une action éthique ou non éthique est inhérent à la nature des choses. La réalité est éthique, de manière inhérente.
Le dhamma-niyama est présenté dans les commentaires sources comme expliquant des sujets tels que la raison pour laquelle un « tremblement de terre du monde entier » se produit à chacune des étapes majeures de la vie d’un bouddha. De récentes discussions au sein du Théravâda semblent le comprendre comme le principe fondamental même de la conditionnalité, incluant tous les autres, ou comme une sorte de catégorie « divers » ayant en charge tout ce qui ne rentre pas dans une autre catégorie. Sangharakshita, cependant, y lit une signification bien plus spécifique. Le dhamma-niyama comprend les processus conditionnés au moyen desquels apparaissent les bouddhas. Ces processus sont en particulier représentés par la séquence de facteurs positifs qui apparaissent à l’Entrée dans le courant. On pourrait dire que c’est le courant dans lequel on entre.
La bouddhéité n’est pas un événement dû au hasard, ni une chose qui est donnée ; elle est obtenue en établissant une suite de conditions, chaque condition apparaissant selon le pratitya-samutpada après celle qui la précède. On atteint la bodhi en exploitant des règles inhérentes à la réalité : la capacité à atteindre l’Éveil fait partie de la façon dont sont les choses.
La direction cyclique et la direction progressive dans la conditionnalité.
Les niyamas permettent de classer toutes les règles de relations conditionnées et de les arranger en une hiérarchie des degrés de conscience qu’elles soutiennent, de la non-conscience inorganique jusqu’à l’esprit entièrement Éveillé – des relations conditionnées fonctionnant dans l’utu-niyama jusqu’à celles fonctionnant dans le dhamma-niyama. Chacun des niyamas n’est cependant pas un système séparé, mais un système en nombreuses et complexes interrelations avec les autres. De façon plus significative encore, des processus dans un niyama peuvent donner naissance à des processus dans un autre. Le mouvement est possible d’un niveau supérieur vers un niveau inférieur – et bien sûr d’un niveau inférieur vers un niveau supérieur. Nous pouvons distinguer ainsi deux tendances dans la totalité du pratitya-samutpada. Il y a des processus qui restent au même niveau, avançant en un cycle constamment renouvelé, comme on le voit dans le cycle de la naissance et de la mort des espèces animales, ou dans la formation et l’érosion des montagnes. Et il y a des processus qui passent d’un niyama au suivant, que ce soit vers le haut, quand des organismes vivants émergent d’une soupe chaude d’acides aminés (des processus du bija-niyama émergent de ceux de l’utu-niyama), ou bien vers le bas, quand meurt une plante (des processus du bija-niyama retournent vers ceux de l’utu-niyama). Au sein de la totalité de la conditionnalité, Sangharakshita qualifie respectivement de cyclique et de progressive les directions horizontale et verticale (la possibilité de progression prise comme impliquant la possibilité de régression).
Au sein de la conditionnalité, la tendance progressive a deux étapes. Tout d’abord, la progression est aveugle : l’organisme ne dirige pas consciemment sa propre émergence vers des formes plus complexes et plus conscientes. Cependant, une fois la prise de conscience de soi apparue, faisant entrer le kamma-niyama en jeu, un effort délibéré doit être fait pour avancer plus avant. Sangharakshita décrit cette seconde étape, consciente cette fois-ci, au sein de la tendance progressive, comme le développement de l’esprit créatif par la conditionnalité en spirale.
L’émergence de la conditionnalité du kamma-niyama marque donc la transition vers le développement conscient. Dans le kamma-niyama, le progrès nécessite la subordination consciente des instincts appartenant au mano-niyama à la prise de conscience éthique. Si cela ne se produit pas, alors la conscience de soi est distraite ou dégénère, en accord avec la séquence de conditionnalité « réactive » qui est décrite dans les douze nidanas « cycliques ». Selon le schéma traditionnel, cela veut dire errer dans la dugati, les quatre « mondes de souffrances » trouvés dans la Roue de la vie tibétaine : l’enfer, le pretaloka, le monde animal et le monde des asuras, tous mondes représentant des formes déformées de conscience de soi – des variétés de culs-de-sacs évolutifs.
Si la prise de conscience éthique prédomine, et que l’on oriente ses actions de corps, de parole et d’esprit vers ce qui est habile et favorable, alors la conscience émerge dans des formes de plus en plus subtiles et raffinées, de plus en plus étendues au-delà d’une autoréférence étroite. Pour compléter la correspondance avec le schéma des six mondes : on progresse alors dans la sugati – le monde humain et celui des dieux.
La possibilité progressive au sein du kamma-niyama est faite de la séquence d’étapes menant à l’Entrée dans le courant, séquence qui est diversement décrite dans la tradition. Dans la trishiksa c’est le shila et la samadhi ; dans la chaîne des nidanas ce sont les étapes de la shraddha à la samadhi. Alors que la conscience émerge en des formes de plus en plus sensibles et pures, elle devient de moins en moins autoréférente et est de plus en plus en accord avec les choses telles qu’elles sont réellement. Progressivement, la tendance à l’attachement égoïste diminue suffisamment pour qu’un autre processus entre en jeu : celui du progrès selon le dhamma-niyama, qui commence à l’Entrée dans le courant avec l’apparition de la prajña ou du yathabhutajñanadarshana, et qui continue jusqu’à la bouddhéité.
Ce processus de dhamma-niyama se développe naturellement selon sa propre dynamique interne, chaque étape émergeant, plus élevée, de celle qui la précède, par un élan inhérent – et d´sormais irréversible. Dans le cas des quatre niyamas inférieurs, toutes les directions sont possibles : il peut y avoir un cycle de conditions, ou bien des conditions peuvent émerger selon le niyama suivant – ou bien il peut y avoir une dégénérescence, dans laquelle le processus supérieur disparaît. Dans le dhamma-niyama, il n’y a qu’une progression d’états élevés vers des états plus élevés encore : le dhamma-niyama n’est que progression.
La séquence d’apparitions conditionnées classée comme dhamma-niyama transcende la conscience de soi, tout comme la conscience de soi transcende la conscience instinctive ; elle se développe dans la personne, indépendamment de toute volition égoïste, en se déroulant spontanément en des formes toujours plus riches et satisfaisantes. C’est maintenant la forme motrice principale de celui chez qui elle s’épanouit, remplaçant de plus en en plus l’ancienne volonté autoréférente, aussi raffinée soit cette dernière. Il y a toujours une motivation, mais qui ne vient pas de la volonté individuelle et ne sert pas simplement les intérêts de la personne concernée. Considérée de ce point de vue, c’est le bodhicitta, une force motrice altruiste supra-personnelle – et c’est pour cela que Sangharakshita traduit bodhicitta par « volonté d’Éveil », ce qui met en relief cet aspect du caractère du bodhicitta. Il est ressenti comme une volonté au-delà de notre propre volonté, qui à cette étape nous emporte plus loin et plus haut, sans aucun effort personnel. Notre choix, dans ce qui reste de kamma-niyama, est de nous aligner avec, de coopérer avec.
Les cinq niyamas et l'évolution, inférieure et supérieure.
La tendance progressive de la conditionnalité s'étend à tous les niyamas. Quand les conditions appropriées apparaissent dans chaque niyama, des processus apparaissent dans le niyama suivant. Des processus physiques et chimiques de l'utu-niyama forment la base de l'émergence de processus du bija-niyama : des organismes vivants émergent de processus physiques et chimiques, et en sont faits. La prise de conscience sensorielle et l'instinct, fonctionnant dans le mano-niyama, émergent quand les processus organiques du bija-niyama sont à l'origine des conditions nécessaires. La prise de conscience sensorielle et l'intelligence sont la base à partir de laquelle la conscience de soi émerge et le kamma-niyama entre en jeu. La croissance éthique consciente, conformément au kamma-niyama, crée les conditions pour l'émergence des processus auto-transcendants du dhamma-niyama.
Sangharakshita voit cette progression comme un mouvement continu, qu'il relie à l'idée de l'évolution. Un avertissement est cependant nécessaire ici. L'usage que fait Sangharakshita du terme n'implique aucune théorie particulière de l'évolution, et encore moins une sorte d'épiphénoménalisme matérialiste : la doctrine selon laquelle la conscience est simplement un dérivé de processus physiologiques. Ceci est bien sûr une vue, et même une vue nihiliste. Nous sommes sauvés des vues par le Bouddha, par sa vue juste du pratitya-samutpada, qui évite toute théorisation au sujet des processus autour de nous et en nous. Elle décrit simplement ce que nous pouvons observer : des règles qui nous permettent de dire : « en dépendance de ceci, cela apparaît », sans solliciter de question quant au pourquoi ou au comment.
Cet agnosticisme théorique – un exemple de la « réticence métaphysique » du Bouddha – s'applique autant à ce que ce Sangharakshita appelle l'ordre de conditionnalité progressif ou spiral qu'à l'ordre simplement cyclique ou réactif. L'émergence de processus plus complexes et sensibles à partir de processus plus simples, menant à l'apparition de l'individu conscient de lui-même puis à celle d'états de conscience plus élevés, est une émergence dont nous pouvons observer les preuves tout autour de nous, si nous incluons ce que nous disent « les sages ». Pourquoi cela se produit et ce qui l'actionne, voilà des questions auxquelles le bouddhiste n'a pas besoin de répondre. En fait, une réponse ne serait certainement pas profitable en termes de conduite d'une vie selon le Dharma, et impliquerait très probablement des vues erronées au sujet de choses qui entraveraient ou bloqueraient le progrès sur la Voie. Tout ce qu'il nous faut dire est que nous pouvons observer, directement et par description fiable, des règles dans le monde autour de nous et en nous qui permettent une progression d'organismes plus simples vers des organismes plus complexes et sensibles, et plus loin vers des états humains supérieurs, voire plus loin encore.
Sangharakshita fait ensuite le lien entre la tendance progressive au sein de la conditionnalité et l'idée de l'évolution, mais il ne considère pas que cette équation soit indispensable à sa présentation particulière du Dharma, en particulier parce qu'il est bien conscient que certains trouvent cela rebutant. Il fait ce lien pour tirer partie d'une idée avec laquelle beaucoup de gens sont déjà familiers et qui leur donne une large perspective sur le développement, mais aussi pour les aider à donner plus de sens à la vie spirituelle en la mettant dans un contexte plus large. Si nous pouvons voir la tendance progressive à l'œuvre dans la nature, nous pouvons reconnaître la continuité de ce que nous-mêmes essayons de faire en tant que bouddhistes avec tout ce qui se passe dans la vie tout autour de nous. Le processus de développement humain est un processus naturel.
Ayant cet avertissement fermement à l'esprit, regardons comment Sangharakshita fait le lien entre l'idée de l'évolution et la tendance progressive de la conditionnalité et les niyamas. Il parle d'une évolution de la conscience, en quatre phases.
Premièrement, une phase d'évolution aveugle de la conscience sensorielle ou instinctive au niveau de l'espèce, phase qu'il appelle « évolution inférieure », de l'utu-niyama jusqu'à l'émergence de la conscience de soi et donc du kamma-niyama.
Deuxièmement, une phase de croissance volontaire de la conscience de soi ou morale, dans le cadre du kamma-niyama, qui constitue l'« évolution supérieure » de la personne dans sa phase la moins élevée, incluant toutes les étapes depuis l'émergence de la conscience réflexive jusqu'à la première apparition de la prajña, à l'Entrée dans le courant.
Troisièmement, une phase de développement de la conscience transcendante, se déroulant spontanément indépendamment de la volition individuelle, une fois que l'on est entré dans courant, dans les processus du dhamma-niyama – c'est l'évolution supérieure dans sa phase la plus élevée.
Quatrièmement. une phase dans laquelle la conscience Éveillée s'épanouit plus encore, et de manière plus riche. Ici, les processus du dhamma-niyama se déroulent complètement au-delà des autres niyamas. Tant qu'un bouddha est vivant et a un corps, les trois niyamas inférieurs fonctionnent toujours – mais le kamma-niyama n'est pas pertinent ici, puisqu'il n'y a pas même de trace d'attachement au soi. Une fois le parinirvana atteint, à la mort physique, il n'y a plus que le dhamma-niyama et nous n'avons plus de catégorie pour décrire « ce qui se passe » ; ceci était une des questions posées par Vacchagotta, auxquelles le Bouddha dit qu'il n'était pas possible de répondre avec aucune des catégories de la pensée. Ici, nous entrons dans un mystère.
L'Aller en refuge cosmique.
Ce mouvement progressif est clairement de caractère différent dans chaque phase, chacune étant dominée par un ordre de conditionnalité différent. Il y a cependant un élément commun à toutes les phases : un élan vers le haut, une élévation vers le niveau suivant. Nous avons la compréhension la plus directe de cet élan quand nous en faisons l'expérience en nous-même – dans la deuxième phase, celle de la croissance volontaire. Nous ressentons un profond désir intérieur d'aller au-delà de nous-même, tel que nous sommes maintenant, vers quelque chose de plus : il y a une combinaison de désillusionnement (samskara-duhkha) avec notre expérience présente, d'un sens d'attraction par quelque chose qui est plus loin (shraddha), et d'un engagement à avancer vers le but supérieur que nous pouvons voir. Tout ceci trouve son expression, dans le contexte bouddhique, dans l'acte d'Aller en refuge dans les Trois joyaux.
Dans la troisième phase, celle de développement transcendant au-delà de l'Entrée dans le courant, cet élan ne dépend plus de notre effort conscient : nous en faisons l'expérience comme d'un courant nous portant ou comme d'une volonté au-delà de la nôtre, qui guide nos actions : sous sa forme altruiste, c'est la « Volonté d'éveil », le bodhicitta.
La force motivante fonctionnant dans la quatrième phase défie la description, mais mène à une conduite qui est infailliblement bénéfique. Le Jina Amoghasiddhi incarne sans doute la « motivation » de l'esprit Éveillé : il incarne la contrepartie transcendante du skandha du samskara ou volition, il est à la tête de la famille du Karma, sa sagesse est celle de l'action toute-accomplissante, et son nom signifie « succès infaillible ». Dans son séminaire sur Le livre tibétain des morts, Sangharakshita dit : « (...) l'action d'Amoghasiddhi représente quelque chose de subtil, voire d'ésotérique. Ce n'est pas seulement l'action dans le sens ordinaire, brut et évident. (…) elle fonctionne de “manières inconnues” ». Ceci est peut-être ce que nous pouvons trouver de plus proche de cet élan : une force créative infaillible qui avance mystérieusement pour accomplir le bien pour tous.
Mais qu'en est-il de la première phase ? Quel est l'élan qui porte l'organisme en évolution vers le niveau suivant ? Quelque chose d'analogue à la volition peut être observé chez les organismes vivants : un désir de type instinctif, que ce soit pour la survie ou la reproduction, est le précurseur de ce qui émerge en nous en tant que notre volonté propre. Étendu assez loin dans des conditions suffisamment favorables, ce désir instinctif se transcende lui-même ou, pourrait-on dire, s'accomplit lui-même, en une volition consciente d'elle-même.
A des niveaux encore plus bas, les processus biologiques, chimiques et physiques ne peuvent pas même être caractérisés par des désirs, fussent-ils compris dans le sens le plus poétique, mais ils ont tout de même un élan qui, dans des circonstances appropriées, mène à la formation d'un organisme ayant une intelligence sensorielle. Il est intéressant de remarquer que la traduction de l'Atthasalini, un des textes qui font référence aux niyamas, traduit utu-niyama par « ordre calorique », ce qui semble être la compréhension habituelle de ce terme. Dans la théorie de l'Abhidharma, la chaleur est le dhatu ou élément qui provoque le changement et la transformation. Ceci indique l'élan inhérent même à la matière physique ou organique primitive. Ainsi, nous avons un principe dynamique qui est représenté par la « chaleur » aux niveaux les plus basiques, par le désir instinctif au niveau animal, par la volonté au niveau de l'être humain, et par le bodhicitta au niveau de l'Entrée dans le courant.
Voir les choses ainsi fait penser à la Wille de Schopenhauer qui, Sangharakshita le reconnaît, peut avoir influencé sa pensée. Le dhamma-niyama lui-même peut-il être l'élan progressif, qui conduit tout le processus évolutif, trouvant à l'Entrée dans le courant une expression qu'on ne peut arrêter, pour être finalement sans entraves à la bouddhéité ? Il y a des façons de lire les commentaires sources qui pourraient soutenir cette approche. En nous engageant sur cette route si tentante, nous nous aventurons cependant dangereusement près d'une théorie de l'évolution – en d'autres termes, d'une vue. Le pratitya-samutpada nous évite cet écueil en nous permettant de dire simplement ce que nous pouvons observer : en dépendance à ce niveau, ceci apparaît.
Sangharakshita voit la progression comme un élan continu, se manifestant à des niveaux toujours plus hauts, trouvant une expression entière lorsque le dhamma-niyama entre en jeu. Il ose parler ensuite, poétiquement, d'un « Aller en refuge cosmique », une phrase tout à fait ouverte à de mauvaises interprétations, étant parfois comprise, que ce soit par un enthousiasme erroné ou par une consternation tout aussi erronée, pour impliquer d'une façon ou d'une autre une intention consciente de la part du cosmos. Pour Sangharakshita, elle réfère simplement à l'élan qui peut être vu à tous les niveaux de l'évolution, du plus simple atome à l'épanouissement complet de la Bodhi. A tous les niveaux existe la possibilité d'une avancée vers ce qui est plus élevé, la possibilité d'une « transcendance de soi », pour utiliser une terminologie trouvée ailleurs dans l'œuvre de Sangharakshita. C'est ni plus ni moins cet élan vers le haut toujours possible qui est l'Aller en refuge cosmique.
Si cette terminologie, et tout le langage de l'évolution inférieure ou supérieure qui y est lié, a une valeur, c'est de faire apparaître la continuité de cette tendance progressive, et donc la continuité de nos propres efforts sur la Voie, des processus qui se produisent naturellement tout autour de nous, et des forces qui sont à l'œuvre dans l'esprit même du Bouddha. Ce que nous ressentons comme un désir en nous-même n'est pas simple accident. C'est une tendance, voire un élan, qui se trouve au sein des choses et qui émerge maintenant dans notre conscience. L'univers coopère avec nous dans nos efforts pour suivre la Voie – ou, plutôt, nos efforts conscients coopèrent avec la tendance évolutive existant dans l'univers.
Comprendre ceci nous donne une attitude essentielle à l'avancement sur la Voie : une ouverture humble et consciente à des processus qui sont bien plus grands que notre propre petit soi. Cette disposition est indispensable, même si l'on n'adopte pas la terminologie de l'évolution ou si l'on trouve la phrase « Aller en refuge cosmique » trop problématique.
Avoir foi en la tendance progressive.
Que ce soit en ces termes ou non, la reconnaissance de la tendance progressive dans le pratitya-samutpada est essentielle pour vivre sa vie selon le Dharma. Nous avons besoin d’être confiant dans le fait qu’il est possible d’aller au-delà de notre niveau de conscience présent et de réaliser complètement que ceci ne peut être fait qu’en créant les conditions à partir desquelles émergent de nouveaux niveaux. Sans cette confiance et cette compréhension, nous n’allons pas nous appliquer à mettre en place les conditions nécessaires.
Tout d’abord, il nous faut être convaincu qu’il y a un kamma-niyama, un ordre karmique de conditionnalité. Ce n’est que lorsque nous avons cette foi que nous faisons un effort pour créer les conditions nous permettant de croître plus avant. Nous pratiquerons le shila, agissant de façons utiles pour nous et pour les autres, en accord avec les préceptes ; avec le samadhi, nous développerons des états de mentaux sains ; et nous aurons une compréhension aussi claire que possible du Dhamma par le développement de la shruta-maya-prajña, de la cinta-maya-prajña et de la bhavana-maya-prajña. Ces efforts vont être à l’origine d’états de conscience plus élevés et plus riches, et vont nous mettre de plus en plus en harmonie avec la façon dont sont les choses.
Puis, nous devons avoir foi en l’existence d’un dhamma-niyama, d’un ordre de conditionnalité dharmique. Ce n’est qu’à ce moment que nous aurons confiance que nous pouvons lâcher prise de notre soi et abandonner notre volition individuelle. Nous allons systématiquement nous détromper de l’illusion d’un soi fixe et lâcherons délibérément prise de notre attachement à ce soi, par la pratique de la prajña et de la méditation vipashyana. Ceci créera les conditions en dépendance desquelles le courant spontané pourra apparaître, qui nous portera jusqu’à la bouddhéité.
Voilà donc la foi fondamentale dont nous avons besoin pour vivre une vie dans le Dharma : une croyance dans les ordres de conditionnalité karmique et dharmique. Nous n’avons aucun besoin de croire en des réalités métaphysiques ou en des agents hors de notre expérience – nous n’avons aucun besoin d’éternalisme. Mais cette absence de toute force ou de tout être éternel ne doit pas impliquer un sens nihiliste qu’il n’y a ni signification ni direction à la vie. La foi dont nous avons besoin pour la vie selon le Dharma découle de ce que nous pouvons établir par analyse logique claire et valider à chaque moment de notre expérience : tout apparaît en dépendance de conditions. Dans cette apparition conditionnée se trouve une possibilité de progrès : ceci, nous pouvons le vérifier une fois encore par notre observation de la nature, en ce qui concerne les niyamas inférieurs. Concernant le kamma-niyama, nous pouvons reconnaître sa force dans notre vie : nous pouvons sentir en nous la force de notre propre désir de nous développer et assister à la façon dont nos actions habiles et favorables mènent à un changement progressif dans notre conscience. Si nous n’avons pas d’expérience propre du dhamma-niyama, nous pouvons nous en référer à notre connaissance du Bouddha et de ses disciples éveillés au fil des siècles, car le Bouddha est un exemple qui incarne l’ordre dharmique de conditionnalité. Lire au sujet du Bouddha et d’autres grands héros du Dharma, étudier leurs paroles, autant que nous les pouvons, tout cela renforce notre conviction du fait qu’il y a un dhamma-niyama avec lequel nous pouvons nous aligner, afin de pouvoir nous libérer de la souffrance.
Les niyamas et le système de méditation.
Si nous avons cette foi dans la tendance progressive dans la réalité, en particulier sous la forme du kamma-niyama et du dhamma-niyama, alors nous pouvons pratiquer le Dharma de tout cœur. Nous nous alignons avec la tendance progressive en assemblant les conditions qui nous feront avancer d’un niveau vers l’autre. C’est quelque chose que nous pouvons faire méthodiquement en suivant le système de méditation de Sangharakshita, avec ses quatre étapes progressives et sa cinquième étape « sans étape », système qui est le cadre de l’approche de la méditation au sein de la Communauté bouddhiste Triratna. Le système fonctionne avec les cinq niyamas, nous mettant dans une relation avec chacun d’eux qui permet à la forme de conditionnalité spirale ou progressive de se dérouler en nous. Quoiqu’il soit nommé système de méditation, c’est réellement beaucoup plus que cela et comprend des étapes que nous devons suivre dans tous les aspects de notre vie.
Le stade de l’unification nous enracine dans notre prise de conscience de l’utu-niyama, du bija-niyama et du mano-niyama, tels que nous les rencontrons directement. Il commence avec une attention de base portée au corps, par la kayanupashyana et la vedananupashana. Sans cette attention aux sensations corporelles et aux émotions, la conscience sera dans une certaine mesure déformée et irréelle, et donc incapable d’évoluer de manière équilibrée. L’unification, ici, inclut des sujets tels que prendre bien soin de notre corps, en tant que véhicule de notre évolution future. Si nous ne nous soucions pas de la santé de notre corps, qui est un paquet d’apparitions conditionnées des trois premiers ordres de conditionnalité, il sera la cause de nombreux obstacles à notre pratique du Dharma.
L’unification d’énergies du mano-niyama est plus exigeante encore que l’attention au corps. Les instincts et les conditionnements qui forment notre caractère mental de base sont plus insaisissables et peuvent être très complexes. Cependant, si nous ne connaissons pas dans une certaine mesure notre propre nature, les conditions du mano-niyama telles qu’elles se manifestent en nous-même, nos propres efforts seront constamment sapés. Nous avons besoin d’être d’une manière ou d’une autre conscient des exigences des instincts de notre nature animale, afin qu’elle ne nous domine pas. Nous avons besoin de reconnaître l’influence qu’a sur nous notre propre conditionnement familial et culturel, dans la détermination de nos réponses dans le cadre du mano-niyama. Nous devons aussi avoir une certaine compréhension de notre type de caractère particulier, de notre « forme » mentale, tels qu’ils sont indépendamment de nos propres choix. L’acceptation de notre propre nature et de nos conditionnements de cette façon est une partie primordiale des débuts de la vie spirituelle. Tout ceci est de valeur neutre – aucun blâme ne s’attache à nous du fait de notre forme de base, de la forme particulière de notre caractère, de notre contexte et des expériences de notre enfance. Pour être karmiquement responsable, cependant, il nous faut avoir une compréhension globale de nous-même dans ce registre, afin de pouvoir agir de manière habile et favorable en prenant en compte qui nous sommes vraiment. Tout ceci est la tâche du stade de l’unification.
Le stade de l’émotion positive fonctionne essentiellement avec le kamma-niyama. Ceci veut dire essayer d’être éthique afin que, guidées par les préceptes, nos actions soient de plus en plus utiles à soi et aux autres. Ceci veut aussi dire traiter les motivations sous-jacentes en cultivant délibérément les intentions utiles, les états mentaux habiles et favorables, par la pratique de la méditation. Y sont aussi incluses la communication et l’amitié véritables, en particulier dans le contexte de la Sangha. Ces efforts de shila et de samadhi porteront progressivement leur fruits, selon la loi du karma. On fera l’expérience de l’émergence d’états de conscience plus profonds et plus riches – et pas seulement durant la méditation. On aura un sens plus durable de satisfaction et de confiance en soi, on ressentira une plus grande harmonie avec les autres et plus de sympathie, on aura une sensibilité esthétique plus subtile, on demeurera plus fréquemment en dhyana. Si cela n’est pas notre expérience, c’est parce que nous n’avons pas mis en place les conditions pour cela, par l’unification et l’émotion positive : nous n’avons pas encore travaillé suffisamment avec les niyamas inférieurs et avec le kamma-niyama.
Le kamma-niyama entre en jeu quand apparaît la conscience de soi. Travailler avec les possibilités progressives dans le kamma-niyama nous demande d’avoir un sens de nous-même en tant que personne éthique et responsable. Il nous faut être capable de nous tenir à côté du flux de notre expérience et d’identifier un soi à qui appartienne l’expérience et qui soit capable de choisir d’agir de façon favorable et habile plutôt que de façon défavorable et malhabile. Cette conscience de soi est initialement assez brute, impliquant un sens de nous-même assez rigide, en tant que quelque chose de réel et de séparé. Une des conséquences du développement dans le cadre du kamma-niyama, quand nous pratiquons l’étape d’émotion positive, est que le sens de soi devient plus flexible et s’interpénètre avec le monde qui nous entoure avec plus de sympathie. Ce sens de soi s’appuie cependant toujours sur une illusion profonde et quasi-instinctive qui doit être transcendée. Bien que l’idée de soi soit essentielle si l’on veut travailler avec la tendance progressive dans le kamma-niyama, c’est simplement une idée, une idée limitée et de façon ultime limitante. Nous devons l’abandonner, afin qu’un nouvel ordre de conditionnalité puisse prendre la suite.
Le dhamma-niyama fonctionne au-delà de notre volonté ; pour qu’il se manifeste en nous, il nous faut donc renoncer à l’illusion d’un soi indépendant. C’est la fonction de l’étape de mort spirituelle. Avec des pratiques telles que la contemplation des six éléments, nous voyons clair dans notre auto-identité, et l’abandonnons. Si, à l’aide de conditions propices dans le kamma-niyama, nous avons créé une conscience suffisamment raffinée et sensible, alors cette renonciation à une auto-identité fixe crée l’espace dans lequel le dhamma-niyama peut fonctionner spontanément au travers de nous.
L’étape de renaissance spirituelle nous entraîne à complètement vénérer le dhamma-niyama, à complètement nous y fier, nous reposant sur ce qui se déroule en nous lorsque nous abandonnons notre attachement à nous-même. Cela veut dire laisser fonctionner à travers nous une nouvelle force motrice supra-personnelle, maintenant que nous avons renoncé à notre volonté auto-référante. Ici, la façon la plus efficace de pratiquer est d’entrer dans le monde de l’imagination archétype, en particulier par la visualisation de bouddhas et de bodhisattvas. Nous alimentons notre imagination illuminée avec des figures archétypes qui incarnent le dhamma-niyama, et nous nous entraînons ainsi à nous soumettre de plus en plus volontairement au mouvement, inhérent dans la réalité, qui mène à la bouddhéité et au-delà.
Le stade de non-pratique, dans lequel nous sommes « juste assis », est entrepris en parallèle de chaque étape du système de méditation. À chaque stade il a une signification un peu différente, mais on pourrait en parler comme permettant à la tendance évolutive de se développer naturellement en nous-même, sans aucun effort pour générer quoi que ce soit. L’effort, ici, consiste à rester conscient de notre propre esprit, avec une profonde confiance dans la tendance progressive dans la réalité, telle que nous la sentons en nous, aussi faible soit-elle.
Le Bouddha en tant que point focal de la foi.
La vie dans le Dharma, dont l’exemple est donné ici avec le système de méditation, dépend de notre foi en la tendance progressive de la conditionnalité, en particulier telle que manifestée dans le kamma-niyama et le dhamma-niyama. On doit avoir confiance dans le mécanisme qui, si l’on peut dire, rend le progrès possible, si l’on veut s’exercer sur la voie et venir à bout de ses nombreux obstacles et difficultés. Mais cela ne suffit pas. Même cette foi ne peut être soutenue s’il n’y a pas un point focal pour notre dévotion, un objet plus élevé pour nos aspirations, vers lequel nous pouvons lever les yeux et que nous pouvons vénérer. S’il n’y a pas de tel objet élevé de dévotion, le progrès doit apparaître comme un progrès du soi – ce qui n’est réellement pas un progrès. Le progrès, en fin de compte, est un progrès dans la transcendance de soi. Pour qu’un vrai progrès soit possible, que ce soit au niveau du kamma-niyama ou à celui du dhamma-niyama, il doit y avoir un abandon du soi à quelque chose qui est au-delà de soi, et que l’on sert et dont on dépend.
Sangharakshita voit le Bouddha historique comme le point focal de la dévotion, et croit que si nous voulons préserver l’intégrité du Dharma, nous devons le garder très au centre, en ne permettant pas à d’autres figures d’usurper sa place. Tous les autres bouddhas et bodhisattvas ont leur signification au travers de lui : ce sont des explorations imaginées de la nature intérieure du Bouddha, des personnalisations de ses qualités d’Éveil. Toutes les figures trouvées sur l’arbre de refuge de la Communauté bouddhiste Triratna, imaginé par Sangharakshita, réalisent leur signification au travers de Shakyamuni.
Ce n’est pas qu’une question de respect de notre grand maître et guide humain. Si nous voulons vraiment nous donner à quelque chose, ce doit être à quelque chose de plus qu’humain. Le Bouddha a atteint et est venu à incarner quelque chose qui va complètement au-delà de notre compréhension humaine. Pour cette raison, Sangharakshita suggère de façon provocante que nous devrions voir le Bouddha en tant que Dieu bouddhiste – le « Dieu qui n’a pas créé l’univers » ! Cette proposition ironique défie les interprétations humanistes du Bouddha, nous invitant à reconnaître qu’il est « allé complètement au-delà » et qu’il demeure dans une sphère à laquelle nous n’avons pas d’accès direct. La dévotion, ici, implique quelque chose d’un respect plein d’admiration – du sacré ou du divin.
La dévotion commence où fléchit la compréhension rationnelle. La foi dans le Bouddha Shakyamuni, en tant que notre idéal et que réalisation de la tendance progressive au sein de la conditionnalité, prend le pas quand s’épuisent les explications rationnelles. La vue juste, sous la forme du pratitya-samutpada compris dans les termes des deux tendances et des cinq niyamas, nous donne la compréhension dont nous avons besoin pour suivre la Voie. Mais elle nous apporte peu en termes d’explication : pourquoi une chose apparaît-elle en dépendance d’une autre ? Qu’est-ce qui fait avancer l’évolution ? En particulier, elle ne nous donne aucune compréhension de ce qui se trouve au-delà de ce qui est simplement humain. Quelle est la nature de l’expérience du Bouddha, en particulier après son parinirvana ? Sangharakshita a été intrigué et inspiré par le Sutta Garava (SN, 6, 2) dans lequel nous trouvons que même le Bouddha a besoin de vénérer quelque chose et de s’y fier – il voit qu’il n’y a que le Dharma qu’il puisse révérer. Il est clair qu’ici le Dharma n’est pas que son propre enseignement : cela doit être quelque chose de plus qu’un principe, car on ne peut guère révérer un principe. Sur quoi le Bouddha s’appuie-t-il ?
Nous devons accepter les limites de la compréhension rationnelle et faire attention à une terminologie qui semble expliquer l’inexplicable en tombant inévitablement dans les absolus de l’éternalisme. Nous devons aussi ne pas tomber dans le piège d’un rejet nihiliste de toute signification et de toute valeur parce que nous avons atteint les limites de la raison. Le bouddhisme nous invite à accepter que le Dharma transcende notre compréhension rationnelle. Il n’a pas de « manie de l’explication », comme le dit Sangharakshita. La certitude est mauvaise pour vous, d’un point de vue spirituel, que ce soit au sujet de vos propres expériences ou à celui de la nature des choses : il y a de la sagesse dans l’insécurité. Le bodhisattva se tient dans une position qui est dépourvue de tout soutien, comme le dit le Ratnagunasamcayagatha. Nous devons accepter qu’il y a un mystère au-delà de ce que la raison est capable de nous dire. « Ce dont on ne peut parler, on doit le laisser dans le silence. » (Wittgenstein, derniers mots du Tractatus Logico-Philosophicus).
Le fait que la raison ait des limites ne veut pas dire que l’on ne peut pas approcher ce mystère ou y entrer, mais on doit le faire avec une faculté autre que la raison. Cette faculté est l’imagination spirituelle qui transcende la raison, utilisant le langage du rituel et de la dévotion, de la poésie et de l’art, du symbole et de l’archétype, en particulier sous la forme des bouddhas et bodhisattvas visionnaires du sambhogakaya. Les bouddhas et les bodhisattvas nous mènent dans les profondeurs de qui est le Bouddha, nous donnant un aperçu imaginatif de son Éveil et une relation avec celui-ci.
Sangharakshita suggère que le besoin de donner un contenu à ce que le Bouddha vénérait et auquel il se fiait a été satisfait dans les Sukhavati-vyuha-sutras par l’image du bouddha Amitabha, le bouddha qui est si l’on peut dire au-delà du Bouddha. Ce que le Bouddha lui-même vénère ne peut être un corpus d’enseignements, ni non plus simplement un principe ; mais ce ne peut être une sorte de Dieu-créateur universel. Nous le comprenons mal, cependant, si nous y pensons comme étant impersonnel : comme le dit Sangharakshita, si nous le voyons comme impersonnel, nous le « ressentirons » comme sous-personnel, puisque notre expérience ordinaire ne traite que des catégories de ce qui est personnel ou sous-personnel (ou, si vous préférez, le kamma-niyama d’un côté, et les utu, bija et mano-niyamas de l’autre). Dans son livre Les Trois joyaux, Sangharakshita dit : « Le dharmakaya n’est pas impersonnel dans le sens d’exclure complètement et entièrement la personnalité, car cela serait s’identifier avec un des deux termes opposés, alors que la vérité est que, étant non-différent de la Réalité absolue [!], le dharmakaya transcende tous les opposés, quels qu’ils soient. » Dans la mesure où il est quasiment impossible de considérer quelque chose qui ne soit pas inclus dans l’un ou l’autre de ces deux opposés, il est plus précis de penser à l’objet de la vénération du Bouddha – ou, mieux, de l’imaginer – comme étant supra-personnel plutôt que soit personnel soit impersonnel. C’est ce que représente la figure du bouddha Amitabha : le bouddha éternel vers lequel même le Bouddha historique lève les yeux. Son image est une nourriture pour l’imagination illuminée, que nous devons prendre et continuer là où il est trop haut pour que la raison puisse encore voler.
Mais les symboles et les archétypes sont multivalents. Même ces figures visionnaires sont capables d’être trompeuses, à moins qu’elles ne soient liées à une compréhension et une expression claires de la Vue juste – après tout l’auteur d’un attentat-suicide peut être inspiré par un archétype. Sangharakshita considère que tous les archétypes bouddhiques ont besoin d’être ancrés dans l’image du Bouddha historique, qui a énoncé le pratitya-samutpada. La signification complète des bouddhas et bodhisattvas archétypes ne peut être clairement reconnue que si on les voit au travers du Bouddha Shakyamuni : ils en représentent la réalité intérieure, et ils ont émergé de sa personnalité historique.
Pour Sangharakshita, la figure du Bouddha historique est la clef. Au lieu d’avoir recours à des abstractions, nous devrions nous focaliser sur sa vie et sur son enseignement, pour nous donner la confiance et le courage dont nous avons besoin pour pratiquer le Dharma sans danger de tomber dans des vues. Nous pouvons plonger plus profondément dans le mystère de sa nature Éveillée en contemplant et en vénérant les bouddhas et bodhisattvas archétypes qui incarnent son caractère intérieur : ce faisant nous engagerons notre imagination exaltée, au-delà de la simple raison et des simples émotions. Le Bouddha Shakyamuni est un exemple de la Voie ; il incarne aussi le processus inhérent à la réalité, qui rend la bouddhéité possible. Quand nous contemplons le Bouddha, nous tenons devant nous le fait que le potentiel progressif de la conditionnalité est toujours présent et se réalise à chaque fois que nous choisissons de mettre en place les conditions en dépendance desquelles il se déroule. La Vue juste consiste à voir ceci clairement, sans l’éternalisme des abstractions réifiées ou le nihilisme d’un univers sans signification ni valeur. Ceci est la position « philosophique » fondamentale de la Communauté bouddhiste Triratna, dans la mesure où elle suit la présentation particulière du Dharma faite par Sangharakshita.
Revering and Relying upon the Dharma © Subhbuti, 2010, traduction © Ujumani 2012.