Sangharakshita, fondateur de la Communauté bouddhiste Triratna
Le texte qui suit est une courte biographie de Sangharakshita, le fondateur de la Communauté bouddhiste Triratna, considérant sa signification en tant qu'« interprète » du bouddhisme pour le monde moderne. Cette biographie est extraite du premier chapitre du livre de Dharmachari Subhuti : « Sangharakshita, une nouvelle voix dans la tradition bouddhiste », publié par Windhorse Publications, la société d'édition liée à l'Ordre bouddhiste Triratna. La dernière section a été légèrement modifiée par l'auteur pour être mise à jour.
Par ailleurs, vous trouverez ici une brève biographie de Sangharakshita.

Le bouddhisme moderne est en crise.
La tradition bouddhiste, comme tant d'autres, est défiée par un monde radicalement différent de celui dans lequel elle s'est épanouie pendant 2.500 ans. Le développement technologique change toujours plus fortement le mode de vie des gens, voire la façon dont les gens pensent à leur vie. Dans la plupart des pays où il est établi depuis des siècles, le bouddhisme est en désarroi et en repli, pour l'instant incapable d'adapter son ancien message à de nouvelles circonstances. Étrangement, c'est en Occident, au centre même du développement technologique, qu'il commence à se communiquer avec le plus de succès au monde moderne, et c'est là qu'il grandit le plus rapidement. Mais ceci présente aussi des problèmes. Que devrait prendre le bouddhisme en Occident du bouddhisme en Orient ? Quelle forme de bouddhisme est-elle appropriée en Occident ? Quelle relation doit-il y avoir entre le bouddhisme moderne et la culture occidentale ? Comment peut-on vivre une vie bouddhique dans le monde moderne ? Qu'est-ce qu'est réellement le bouddhisme ou, de façon plus appropriée, comme préfèrent le dire les bouddhistes, qu'est-ce que le Dharma ? Qu'est-ce que la « vérité », la « voie », ou l'« enseignement » ?
Sangharakshita est un de ceux qui ont fait le plus directement face à ces questions. Pour prendre une image qu'il apprécie, c'est un traducteur. C'est un traducteur entre l'Orient et l'Occident, entre le monde traditionnel et le monde moderne.
Métaphoriquement, un traducteur éclaire une discipline, ou un ensemble d'idées, ou une culture, en les faisant passer de l'obscurité de termes peu familiers à la lumière de termes familiers.
Avant tout, Sangharakshita est un traducteur entre les principes et la pratique. Dès ses premiers contacts avec le bouddhisme, il a cherché à en découvrir les principes essentiels. Le travail de toute sa vie a été de donner expression à ces principes, sous forme tant d'idées que de pratiques et d'institutions.
Pour Sangharakshita, la vision pénétrante essentielle du Bouddha est au-delà des mots et trouve son expression sous différentes formes dans différentes circonstances. Les nombreuses écoles qui se sont formées durant les 2.500 ans de l'histoire du bouddhisme et de sa diffusion dans toute l'Asie ont dans une plus ou moins grande mesure maintenu vivante cette vision pénétrante originelle. Chacune de ces écoles l'a menée plus loin et en a exploré les divers aspects de diverses manières. Que ce soit avec la riche exubérance du Vajrayana tibétain ou avec l'austère simplicité du Zen japonais, toutes les écoles portent le même message intrinsèque. Sangharakshita s'est efforcé de discerner l'expérience bouddhique fondamentale trouvée derrière nombre de ces formes, et de la communiquer au monde moderne. Il a mis en forme sa compréhension dans le mouvement bouddhiste qu'il a fondé, les Amis de l'Ordre Bouddhiste Occidental (AOBO, en anglais Friends of the Western Buddhist Order, FWBO).
Depuis les débuts de l'AOBO en 1967, Sangharakshita s'est principalement voué à clarifier les nombreuses questions qui ont surgi lors de l'établissement et du développement de ce mouvement. S'engageant plus profondément dans le Dharma, ses disciples se sont heurtés à d'innombrables problèmes et conflits. Quelle est la place du travail dans la vie spirituelle ? L'activité homosexuelle contrevient-elle à l'éthique bouddhique ? Comment les bouddhistes doivent-ils être en relation avec le monde ? La littérature et l'art occidentaux ont-ils quelque chose à offrir à celui qui pratique le bouddhisme ? Comment travailler avec les divers sentiments qui surgissent pendant la méditation ? Comment une communauté résidentielle doit-elle s'organiser ? A chaque fois qu'une question est apparue, Sangharakshita a mis en lumière les principes fondamentaux sur lesquels est basée la réponse à cette question. Au fil du temps, il a ainsi décrit une philosophie de la vie spirituelle active, qui embrasse tous les aspects des affaires humaines : la communauté de vie, le travail, la sexualité, l'art et la culture, l'action sociale, la méditation, les cérémonies, les rapports personnels, et plus encore. Tous ces sujets ont été l'objet de son attention et, s'il n'a pas fait le tour complet de chaque sujet, il en a mis à nu les principes essentiels, de telle sorte que ses disciples peuvent continuer à vivre une vie bouddhiste dans un monde toujours changeant.
Bien que Sangharakshita ait consacré de nombreuses années à la création d'un mouvement bouddhiste organisé, ses idées sont pertinentes hors du cercle de ses propres disciples. Partout, que ce soit en Orient ou en Occident, les bouddhistes entrent dans un nouveau monde, dans lequel les formes traditionnelles du bouddhisme sont de moins en moins pertinentes. S'ils ne veulent pas simplement devenir des fossiles, des reliques intéressantes d'une ère passée, les bouddhistes doivent tous regarder au-delà des formes de leur propre école. Ils doivent reconnaître le noyau intemporel que, peut-être, chacune de ces écoles porte toujours. Ils doivent lâcher prise de tout ce qui, dans leur propre tradition, est simplement la propagation non réfléchie d'une culture depuis longtemps éteinte, ou qui est simplement d'importance locale. Ils ne doivent compter que sur l'expérience bouddhiste essentielle, dans leur propre vie spirituelle. Ils doivent laisser le message bouddhiste fondamental parler de manière franche aux hommes et aux femmes du présent. Sangharakshita ayant fait face à ces questions d'une manière particulièrement radicale, tous les bouddhistes constateront qu'il a quelque chose d'important à leur dire. Ils découvriront dans son enseignement nombre de choses qui les aideront dans leur propre tâche de renouveau spirituel.
L'enseignement de Sangharakshita a une pertinence plus grande encore. Un grand nombre de gens sentent aujourd'hui que l'humanité a un but plus élevé que le seul progrès matériel. Ils cherchent une nouvelle vision qui donne à leur vie une plus grande signification. Nombre de personnes sont très attirées par le non théisme du bouddhisme et par ses enseignements de non-violence et de camaraderie universelle, sans toutefois être attirées par ses formes culturelles actuelles. Si elles répondent, ce ne sera qu'à une présentation du bouddhisme telle que la fait Sangharakshita : avec clarté et intelligence, tenant compte des soucis et des sensibilités modernes, et sans anachronisme culturel. L'attrait de Sangharakshita est large, car ce qu'il fait ressortir se retrouve chez tous les êtres humains, quelle que soit leur nature. Ses disciples incluent déjà des personnes de milieux et de tempéraments très divers : des paysans illettrés et des cadres sophistiqués, des ex-chrétiens et des ex-communistes, des habitants de l'Inde et des États-Unis, des intellectuels et de fervents adeptes, des ermites et des militants. Les idées de Sangharakshita peuvent sûrement aider un grand nombre de gens à comprendre la véritable signification de leur vie.
Ce sont les idées de Sangharakshita que nous allons maintenant explorer. Tandis que nous contemplons la pensée de Sangharakshita, nous ne devons pas oublier la perspective dans laquelle il est lui-même à l'œuvre. C'est un penseur audacieux et original et, en même temps, un disciple fidèle du Bouddha. Pour certains, ceci a semblé être paradoxal : je me souviens du poète Allen Ginsberg se demandant, après une visite à Sangharakshita, comment quelqu'un de si peu conventionnel et de si révolutionnaire dans ses perspectives pouvait écrire de la poésie d'une forme si traditionnelle. Quand j'ai dit cela à Sangharakshita, il a ri et a fait la réflexion qu'il est peut-être un révolutionnaire, mais un révolutionnaire réticent. En réalité, c'est de façon complète un traditionaliste, qui a été forcé par les circonstances à faire la révolution. Ses goûts sont entièrement traditionnels, et il dit que, si les circonstances l'avaient permis, il aurait été tout à fait satisfait de vivre dans un monastère bouddhique très traditionnel, dans une culture bouddhique très traditionnelle, à étudier, à méditer, et à écrire. Mais les circonstances ne l'ont pas permis. Il a été appelé à donner une nouvelle vie à d'anciennes vérités, non seulement par des idées, mais aussi en donnant des conseils pratiques et en créant de nouvelles institutions. Toute son œuvre est entièrement nouvelle, voire révolutionnaire, mais est pourtant entièrement fidèle à la vue pénétrante et à l'enseignement originaux du Bouddha. Son propre enseignement consiste essentiellement en une reformulation de cette vue pénétrante dans le contexte moderne, et en une élaboration de ses implications encore inconnues.
Afin de mieux apprécier la signification des idées de Sangharakshita, nous devons en savoir plus sur leur auteur. Il n'est cependant pas facile d'avoir une impression complète de ce dernier. Sangharakshita est une personne complexe qui a vécu une vie singulière et a une intelligence très fortement personnelle. Il s'est éduqué dans des conditions plutôt peu communes et parle avec une voix bien à lui. Penseur, poète, communicateur, mystique, organisateur, savant, guide : il est difficile de faire le tour d'une personnalité si unique et ayant tant de facettes :
« Qui suis-je ? Je dois admettre que ne sais pas. Je suis autant un mystère à moi-même que je le suis probablement à vous. Non pas que je sois un mystère pour tout le monde, apparemment. Un très grand nombre de personnes savent exactement qui je suis et ce que je suis (je parle de gens en dehors de l'AOBO). Un très grand nombre de personnes « me voient ». Mais elles me voient de différentes manières. C'était tout à fait le cas quand j'habitais en Inde. Selon celui qui voyait, j'étais « le moine anglais », « un mahayaniste fanatique », « un hinayaniste aux vues étroites », « l'ennemi de l'Église », « un espion russe », « un agent américain », « le rédacteur du journal de la Maha Bodhi Society », « un jeune idéaliste à l'esprit tout sauf pratique », « quelqu'un qui faisait de bons discours », « l'envahisseur de Suez », « le gourou des intouchables », et ainsi de suite. Plus récemment, ici, en Angleterre, j'ai été « un bon moine », « un mauvais moine », « le curé bouddhiste de Hampstead », « l'auteur de A Survey of Buddhism », « un crypto-vajrayaniste », « un conférencier à Yale », « le gourou hippy », « un organisateur de première classe », « un traditionaliste », « un franc-tireur », « un misogyne », « un sexiste », « un personnage controversé », et « un Anglais éveillé ».
Chacune de ces différentes vues a au moins une certaine vérité en elle, même si les personnes qui voyaient me regardaient sous un mauvais angle, ou avec une mauvaise lumière, ou avec des lunettes teintées, ou par le mauvais bout du télescope. Ces personnes ont même pu avoir eu des taches flottant devant les yeux. La raison pour laquelle chacune de ces différentes vues porte au moins une certaine vérité est que je suis une personne plutôt complexe ».
La vie de Sangharakshita frappe immédiatement par le nombre de mythes modernes qu'elle incarne. Pour commencer, Sangharakshita est un autodidacte. Il est né dans des circonstances relativement humbles avec peu d'avantages matériels ou culturels, sans vraiment l'avantage d'une éducation formelle, et avec peu ou pas de d'enseignement religieux ni de mentor spirituel efficace. Il est pourtant devenu un homme aux connaissances étonnantes, avec un esprit pénétrant et créatif, et l'un des principaux maîtres bouddhistes de son époque. De plus, Sangharakshita a fait le « voyage en Orient », ceci bien avant l'ère du voyage spirituel organisé. Il n'a pas simplement approché la culture orientale pendant quelques semaines, mais a vécu dans les traditions immémoriales de l'ascétisme indien et s'est immergé dans la culture indienne. Il a rencontré des gourous indiens et des lamas tibétains, et a étudié de vive voix les grandes richesses spirituelles de l'Orient. Sangharakshita a fait « le voyage de retour ». Il est « rentré à la maison », rapportant au pays et à la culture dans lesquels il est né la richesse trouvée pendant son long séjour en Inde.
En Inde, il a commencé son œuvre d'aide des opprimés. Il s'est consacré à enseigner à des centaines de milliers d'ex-intouchables la véritable signification du Dharma. Leur conversion récente au bouddhisme avait une signification sociale immense, leur donnant une base de dignité et de confiance. Plus tard, il a encouragé ses disciples occidentaux à continuer ce travail, complétant par l'action sociale l'enseignement du bouddhisme. Ici, Sangharakshita renverse le mythe moderne : c'est un Occidental qui apporte la sagesse à l'Orient ! En un certain sens, Sangharakshita est un « rebelle », un « individu » contre le « groupe », un taon au milieu du troupeau. Il s'est souvent trouvé en désaccord avec les « establishments », que ce soit les autorités de la Maha Bodhi Society en Inde, ou les personnes à la tête des organisations bouddhistes à Londres, dans les années 1960. Cependant, il n'a aucun désir particulier d'être rebelle : il a souvent montré qu'il peut très bien coopérer avec d'autres personnes. Les « establishments » l'ont trouvé incommode en raison de son adhésion courageuse et intransigeante à la vérité spirituelle et de sa volonté de dire ce qu'il pense quand il voit l'hypocrisie et la confusion.
La variété des mythes dont sa vie est un exemple illustre l'étendue et la complexité de son caractère. C'est un homme ayant une inclination à être ermite, préférant la paix de son ermitage et la compagnie de quelques amis proches ; et pourtant il œuvre sur une scène de plus en plus grande, devant les milliers de personnes qui le considèrent comme leur maître spirituel et devant ceux, beaucoup plus nombreux, qui sont intéressés par ce qu'il a à dire. C'est par nature un savant et un artiste : mais il a montré qu'il pouvait être un remarquable organisateur, en fondant un mouvement d'une grande souplesse et d'une grande efficacité. C'est un homme de conversation agréable, plein d'esprit et de charme, quelqu'un qui écoute et conseille avec sympathie, et un ami ferme et fidèle : il peut cependant être un redoutable polémiste, et quelques-unes de ses œuvres ont fait naître des controverses, voire de l'hostilité.
Nombre de ceux qui le rencontrent pour la première fois sont étonnés de son apparence aussi « ordinaire ». Sa perspicacité spirituelle brille dans son écriture et ses discours, et il est honoré et respecté par beaucoup ; pourtant il manque entièrement de « charisme », au sens où l'on entend en général ce terme. Plusieurs personnes ont raconté que, lors de leur première rencontre avec Sangharakshita à un centre de l'AOBO, elles n'ont pas réalisé qui il était. Il n'a pas, et dédaigne même, ce magnétisme animal qui fait gagner des disciples à plus d'un gourou. Cependant, si l'on fait bien attention quand on est avec lui, on sent la force de sa présence. Il fait preuve d'un grand calme, est très contenu, porte une grande attention à chaque mouvement. Ses yeux sont d'une vigilance extraordinaire, dénotant une conscience profonde et un esprit particulièrement pénétrant. Pourtant, ces yeux détachés et attentifs qui peuvent inciter à le considérer comme quelque peu olympien peuvent soudainement pétiller d'humour ou de malice, ou brûler d'une flamme de colère. Car, bien qu'il soit invariablement bienveillant et prévenant dans ses relations avec les gens, et bien qu'il ait toujours fait montre d'une patience et d'une persévérance exceptionnelles face à de considérables difficultés, il possède la confiance fondamentale, la vigueur, et la détermination qui seules rendent possible l'accomplissement et la réussite de tâches valables.
Un autodidacte.
Les origines de Sangharakshita offrent peu d'indices quant à la façon dont il est devenu ce qu'il est aujourd'hui. Dennis Lingwood, tel était son premier nom, est né le 26 août 1925 dans le sud de Londres, de parents de classe ouvrière. Bien que ses parents aient eux-mêmes eu peu d'éducation, c'étaient des personnes droites et sensibles, offrant une maison heureuse et affectueuse au jeune Dennis et à sa sœur. Il fut très tôt évident qu'il était exceptionnellement intelligent, mais la vie continua normalement pour lui jusqu'à ce qu'il ait huit ans. On lui diagnostiqua alors un problème cardiaque sérieux qui nécessita, pour que ses jours ne soient pas mis en danger, qu'il reste complètement immobile et au calme. Pendant deux ans il fut confiné au lit, voyant seulement ses parents et le médecin de famille. Ce qui aurait pu être un désastre accablant fut, pour un esprit si vivant, une occasion singulière. Guidé par une sensibilité étonnamment mûre, le garçon de huit ans se mit à lire : principalement les classiques de la littérature anglaise, et les 61 volumes de l'encyclopédie pour enfants de Harmsworth, qu'il lut et, pour plusieurs d'entre eux, relut plusieurs fois. Ainsi il fut introduit à la littérature, à la philosophie, à la religion, et à l'art.
Deux ans plus tard, le diagnostic original étant contredit par un médecin pionnier, Dennis put quitter son lit et fut bientôt autorisé à retourner à l'école. Cependant, il affirme lui-même qu'il n'a rien appris d'utile dans son enseignement conventionnel, en particulier car ce dernier fut encore interrompu par la Seconde Guerre Mondiale. Il a acquis ses considérables connaissances presque exclusivement par ses propres efforts. À partir du moment où il a été confiné au lit, il a lu chaque semaine plusieurs livres de grande valeur, absorbant le contenu de chacun d'eux avec un vif discernement et une excellente mémoire. De cette époque date aussi son amour de l'art : en effet, ses premières capacités étaient si grandes que l'on imagina qu'il deviendrait peintre. Mais la peinture l'a mené à un nouvel et plus grand amour. À l'âge de douze ans, à la lecture du Paradis perdu de John Milton, il se découvrit une passion pour la poésie et commença lui-même à écrire des vers, ce qu'il continua à faire toute sa vie.
Avec le début de la guerre et la menace des raids aériens, la plupart des enfants vivant à Londres furent évacués de la ville. En 1940, avec la deuxième vague d'évacuations, Dennis partit pour le Devon, où il continua son auto-éducation, passant de nombreuses heures dans les bibliothèques municipales. Dès qu'il put persuader ses parents, il quitta l'école et prit un travail de bureau chez un négociant en charbon. Durant cette période il tomba par hasard sur Isis dévoilée de Madame Blavatsky, une œuvre fondatrice du mouvement de la théosophie. Lire ce livre le convainquit qu'il « n'était pas chrétien et ne l'avait jamais été ». Il revint à Londres en 1941, et pendant les deux années qui suivirent vécut avec ses parents et travailla comme commis pour le Conseil de Londres. Ce fut une période pleine de turbulences, où il tomba amoureux, commença à avoir des expériences psychiques et mystiques, et écrivit beaucoup de poèmes, ainsi qu'un roman jamais publié et aujourd'hui perdu.
En 1942, dans son écumage insatiable des librairies de Londres, il acheta un exemplaire de deux œuvres importantes du bouddhisme Mahâyâna : le Vajracchedika Prajñaparamita Sûtra, ou Sûtra du diamant, et le Soûtra de l'estrade de Hui-neng. Ces deux textes eurent un impact décisif, le convainquant qu'il était bouddhiste, et qu'il « l'avait toujours été ». Il devint membre de la Société bouddhiste de Londres, contribuant à sa revue, The Middle Way, et assistant à ses réunions. Il y rencontra Christmas Humphreys et la plupart des personnes importantes du bouddhisme anglais de l'époque. Le jour de la pleine lune de mai 1944 vit son entrée formelle dans le bouddhisme, à l'occasion des célébrations de Vésak par la Société bouddhiste - les célébrations de l'anniversaire de la naissance, de l'éveil, et du parinirvana du Bouddha. À cette occasion, il récita pour la première fois les refuges et les préceptes, à la suite de U Thittila, un bhikkhu birman.
Le voyage en Orient.
Á cette époque, il avait été enrôlé dans l'armée, dans le corps des transmissions. En août 1944, il fut envoyé avec son unité à Delhi, en Inde. Il pouvait à peine croire sa bonne fortune, parce qu'il était arrivé au pays du Bouddha, pays qu'il n'avait jamais espéré voir. Cependant, comme il y avait là très peu de bouddhisme à rencontrer, il s'arrangea pour être muté à Colombo, à Sri Lanka. Bien qu'étant cette fois-ci dans un « pays bouddhiste », il n'eut aucun véritable contact avec des bouddhistes. C'est chez les swamis hindous de la mission de Ramakrishna qu'il trouva une véritable compagnie spirituelle. En fait, fortement encouragé par les swamis, il se découvrit un urgent désir de renoncer au monde et de devenir moine. Il fût ensuite muté à Calcutta, où il continua à être en contact avec la mission, sans jamais perdre sa fidélité de base au bouddhisme. En 1946, une dernière mutation l'emmena à Singapour, où il entra en contact avec des bouddhistes et commença la pratique de la méditation. Lorsqu'il entendit dire que son unité allait être démobilisée en Angleterre, il rendit son équipement et quitta le camp, devenant ainsi un déserteur.
De retour à Calcutta il travailla brièvement avec la mission de Ramakrishna, puis avec la Maha Bodhi Society, la principale organisation bouddhiste en Inde. Ces deux expériences le convainquirent de la corruption des organisations religieuses et renforcèrent sa détermination à renoncer au monde. En août 1947, à l'âge de vingt-deux ans, il prit une des mesures les plus importantes de sa vie. Avec un jeune ami indien, il brûla ses papiers d'identité, donna tout ce qu'il avait et, habillé d'une robe safran, il « alla de l'avant », devenant un ascète errant, comme le Bouddha l'avait fait avant lui. Il changea même de nom, prenant celui d'Anagarika Dharmapriya. Les deux amis passèrent deux ans principalement en Inde du Sud. Par moments ils s'arrêtaient quelque part, pour méditer et étudier. À d'autres moments ils erraient, vivant d'aumônes pour leur nourriture et leur abri. Ils visitèrent également les ashrams de divers maîtres hindous, parmi lesquels Anandamayi, Swami Ramdas, et Ramana Maharshi. Alors qu'il était dans une grotte près de l'ashram de Ramana Maharshi, celui qui n'était pas encore Sangharakshita eut une vision marquante du Bouddha Amitabha ; il considéra cela comme une confirmation qu'il était maintenant temps pour lui de chercher l'ordination en tant que moine bouddhiste.
Il ne lui fut cependant pas facile d'être ordonné. La première demande que firent les deux amis fut rejetée sans cérémonie par les moines du monastère de la Maha Bodhi Society à Sarnath. Les deux amis approchèrent ensuite le bhikkhu (moine entièrement ordonné) birman, U Chandramani, qui à cette époque était le moine le plus ancien en Inde, et purent, avec une certaine difficulté, le persuader de leur donner l'ordination de samanera, ou novice. C'est à cette cérémonie, en mai 1949, qu'il reçut le nom de Sangharakshita, « Protecteur de (ou protégé par) la communauté spirituelle ». Son ordination complète en tant que bhikkhu eut lieu à Sarnath en novembre de l'année suivante, avec comme upadhyaya ou précepteur un autre bhikkhu birman, U Kawinda, et comme acarya ou maître le Vénérable Jagdish Kashyap. Après leurs ordinations de samaneras, Sangharakshita et son ami, mendiant tout au long du chemin, se rendirent brièvement au Népal pour enseigner aux disciples d'U Chandramani. Sangharakshita passa ensuite sept mois avec le Vénérable Jagdish Kashyap, un des plus importants moines bouddhistes indiens du vingtième siècle, pour étudier le pâli, l'Abhidhamma, et la logique. Cette période idyllique se termina quand il se rendit avec son professeur en pèlerinage dans les lieux bouddhiques de l'État de Bihar, puis en Himalaya. Là, dans la petite ville de Kalimpong, aux frontières de l'Inde, du Népal, du Bhoutan, du Sikkim et du Tibet, le Vénérable Kashyap l'invita à demeurer et à travailler pour le bien du bouddhisme. Sangharakshita voulant réaliser les souhaits de son maître, Kalimpong devint sa résidence principale et le resta pendant les quatorze ans qui suivirent.
Dès son arrivée à Kalimpong à l'âge de vingt-cinq ans, Sangharakshita a œuvré très activement pour la renaissance du bouddhisme dans les régions frontalières, où vivaient un grand nombre de personnes qui n'étaient bouddhistes que culturellement. Trouvant les groupes bouddhistes existants trop sectaires, il commença une nouvelle organisation, l'Association Bouddhiste des Jeunes Hommes. L'association offrait non seulement un enseignement et une pratique du bouddhisme, mais également des activités culturelles et sociales, y compris des cours pour aider les jeunes hommes à passer leurs examens importants. Elle commença rapidement à jouer un rôle apprécié dans la vie de la ville, étant estimée tant par les jeunes que les moins jeunes, et tant par les bouddhistes que les non bouddhistes. Trois ans plus tard, elle s'affilia à la Maha Bodhi Society, ce qui lui permit d'obtenir de petites subventions. Sangharakshita fit cependant toujours attention à s'assurer de ne perdre aucune autonomie.
Pendant ses sept premières années à Kalimpong, Sangharakshita vécut et travailla dans des logements loués ou prêtés. En dépit de la petite subvention de la Maha Bodhi Society pour les activités de l'association, il n'avait lui-même aucun revenu régulier. Il vivait entièrement des donations de sympathisants, et de petits revenus liés d'une part à des articles et des poèmes écrits pour divers journaux, et d'autre part aux leçons d'anglais qu'il donnait - bien qu'il ait donné nombre d'entre elles gratuitement. Il y eut des périodes où il n'avait absolument pas d'argent - bien qu'il ait dit que ceci ne l'avait jamais inquiété. En 1957, grâce à la générosité du roi du Sikkim et d'un ami bouddhiste anglais, il put acheter son propre vihara.
Quelques mois après son arrivée à Kalimpong, il commença la publication de Stepping Stones, une revue bimestrielle de bouddhisme himalayen. Celle-ci attira rapidement une liste impressionnante de contributeurs, parmi lesquels Lama Govinda, Dr Herbert Guenther, Dr Edward Conze, et le Prince Pierre de Grèce. Bien que la revue ait dû cesser de paraître par manque de fonds, elle réussit, durant les deux années de son existence, à toucher un large lectorat, faisant connaître le jeune bhikkhu anglais à nombre de personnes du monde bouddhiste d'expression anglaise, et en particulier à quelques maîtres et savants importants.
Au cours des années qu'il passa à Kalimpong, Sangharakshita parvint à unir la communauté bouddhiste d'une manière tout à fait sans précédent. Il organisa la célébration commune, par tous les groupes bouddhistes locaux, de plusieurs fêtes bouddhiques importantes. Il organisa même une commémoration commune, par tous les bouddhistes tibétains de la ville, de l'anniversaire de Tsongkapa - une prouesse qui lui valut les félicitations personnelles du Dalai Lama.
Ses activités ne se limitèrent pas à la ville : il donna des conférences et tint des réunions dans toute la région. Lors de ses visites régulières au Sikkim, à la demande personnelle de la famille royale et du représentant du gouvernement indien, il fit ce qu'il put pour redonner de la vitalité à un bouddhisme en déclin dans le royaume, élaborant un cycle d'études pour les moines du monastère royal. Sa place de « leader » des bouddhistes de la région devint telle que lorsque circulèrent des rumeurs d'invasion des régions frontalières par les Chinois, le gouvernement indien lui demanda spécifiquement de rester à Kalimpong pour l'aider à décourager la fuite en masse des habitants bouddhistes.
Son association avec la Maha Bodhi Society commença en 1952 quand il fut invité par son secrétaire général, Devapriya Valisinha, à écrire une biographie du grand fondateur de la société, Anagarika Dharmapala. En faisant ce travail, il en vint à avoir une grande admiration pour Dharmapala, et une grande sympathie pour Valisinha, son successeur dévoué bien qu'un peu moins capable. Il porta cependant de sérieuses critiques quant à l'organisation de la société : son comité exécutif était dominé par des hindous de caste, l'un d'eux étant ouvertement hostile au bouddhisme. Sangharakshita fit donc attention à ne jamais se compromettre : il ne devint pas membre de la société. Il fut néanmoins pendant de nombreuses années le principal rédacteur de son magazine, The Maha Bodhi, et il donna souvent des conférences dans les locaux de la société, à Calcutta et ailleurs.
L'aide aux opprimés.
Bien que Kalimpong ait été sa résidence principale de 1950 à 1964, il eut une sphère d'activité beaucoup plus large. Presque tous les ans il quittait les contreforts himalayens, donnant des conférences dans nombre de régions de l'Inde. Très bon orateur, il était très demandé par les antennes de la Maha Bodhi Society, ainsi que par diverses organisations non bouddhistes. Il en vint à connaître une grande variété de personnes : des moines bouddhistes de nationalités et d'écoles différentes, des disciples occidentaux venus en Himalaya pour étudier la culture et la religion tibétaines, des théosophes, des missionnaires chrétiens, des hommes politiques, et même l'acteur Raj Kapoor, le « Clark Gable » de l'Inde. Une de ses rencontres les plus significatives fut celle de Dr Bhimrao Ambedkar. Cet homme remarquable était l'un des principaux hommes politiques indiens de l'époque : c'est lui qui avait dirigé la commission de rédaction de la constitution de l'Inde, au moment de l'indépendance. Lui-même né intouchable, il était devenu le principal leader des intouchables dans leur lutte pour la justice sociale. Après une réflexion longue et approfondie, Dr Ambedkar avait fini par conclure que la seule issue hors de l'oppression du système des castes hindou était de quitter l'hindouisme, et il décida de devenir bouddhiste. À l'origine de la conversion de millions de personnes, sa propre conversion fut l'un des événements les plus significatifs pour le bouddhisme au XXème siècle. Sangharakshita put le conseiller sur la signification réelle de la conversion, et sur la façon de l'entreprendre. À l'invitation de Dr Ambedkar, il commença à enseigner aux disciples de ce dernier la signification de la religion qu'ils étaient sur le point d'embrasser.
Sangharakshita ne put pas assister à la cérémonie à Nagpur durant laquelle, en octobre 1956, Dr Ambedkar se convertit au bouddhisme, immédiatement suivi par près de 400.000 de ses disciples. Mais quand il arriva à Nagpur six semaines plus tard, il apprit que le grand leader était mort quelques heures auparavant : Sangharakshita était arrivé exactement au moment où sa présence était la plus nécessaire. Au cours des jours critiques qui suivirent, il œuvra inlassablement pour rassembler les foules d'intouchables en deuil, gagnant ainsi une place particulière dans leur affection. Presque tous les ans qui suivirent, jusqu'à son départ d'Inde, il passa plusieurs mois à voyager et àrendre visite aux nouveaux bouddhistes de l'Inde occidentale, leur enseignant les principes de leur religion. Il conduisit personnellement les cérémonies de conversion de plus de 200.000 personnes.
Bien qu'il ait été très actif, à Kalimpong et ailleurs, Sangharakshita ne négligeait jamais sa pratique spirituelle. Il méditait au moins tous les matins et tous les soirs, et continuait à étudier et à réfléchir sur le Dharma. Tous les ans il observerait la « retraite des pluies » traditionnelle, demeurant pendant trois mois dans l'enceinte de son vihara et se consacrant entièrement à la méditation, à l'étude, et à l'écriture. Être près de la frontière avec le Tibet lui donna l'occasion d'étudier le bouddhisme tibétain de première main. Nombre des principaux lamas s'échappaient de leur pays récemment envahi par la Chine, et Kalimpong était souvent leur premier point d'arrêt. En 1956, il reçut une initiation de Chetrul Sangye Dorje, un lama grandement respecté, bien que très peu conventionnel. Il reçut par la suite des initiations et des enseignements de Jamyang Khyentse Rimpoche, de Dilgo Khyentse Rimpoche, de Dudjom Rimpoche et de Khachu Rimpoche, tous issus de la tradition Nyingmapa, et de Dhardo Rimpoche, un Gelugpa dont les « incarnations » précédentes étaient toutes Nyingmapa. De Dhardo Rimpoche, qui devint un ami proche, il reçut en octobre 1962 l'ordination de bodhisattva. Ainsi, il reçut les ordinations et les initiations dans chacun des trois yanas du bouddhisme.
Durant tout son séjour en Inde il continua à écrire. Bien qu'en 1949 il ait brûlé la majeure partie de ses poèmes, il continua à écrire des vers ; certains de ses poèmes furent publiés par divers journaux, y compris par un magazine à grande diffusion, l'Illustrated Weekly of India. L'année 1954 vit la publication d'un volume de ses poèmes, Les messagers du Tibet et autres poèmes. Outre nombre d'articles et d'éditoriaux pour Stepping Stones, pour The Maha Bodhi, et pour d'autres périodiques, il écrivit Une flamme dans la nuit : biographie d'Anagarika Dharmapala, et son œuvre principale, A Survey of Buddhism, deux livres publiés alors qu'il était encore en Inde. Deux autres œuvres écrites à cette époque : Les Trois Joyaux, une introduction au bouddhisme qui commença son existence comme contribution à une encyclopédie, et Le legs éternel, une présentation de la littérature bouddhique canonique, ne furent publiées que quelques années plus tard.
Le voyage de retour.
Pendant ses années passées en Inde, Sangharakshita avait suivi, par affinité, les fortunes du mouvement bouddhiste en Occident, en particulier en correspondant avec quelques-uns de ses amis bouddhistes anglais. En 1964, il fut invité à passer six mois à Londres pour aider à recréer une harmonie dans un monde bouddhiste britannique déjà sectaire. Réalisant que, pour de nombreuses raisons, il ne pouvait guère faire plus pour le bouddhisme en Inde, il décida de voir quelles opportunités l'attendaient en Occident et accepta l'invitation. Il insuffla rapidement un nouvel esprit dans l'atmosphère trop sérieuse du bouddhisme anglais, s'élançant avec vigueur dans des cycles de cours, de conférences et de réunions. Il était clairement très apprécié, et le nombre de gens venant aux réunions qu'il animait commença à croître. Il était évident que le bouddhisme avait un grand potentiel en Occident. Les six mois devinrent dix-huit, et il décida finalement de retourner en Inde pour dire adieu à ses amis, et de revenir ensuite vivre à Londres de manière permanente.
Lors des dix-huit mois passés à Londres il était devenu titulaire du vihara bouddhiste de Hampstead, et c'est au vihara qu'il avait l'intention de revenir. Cependant, son approche non sectaire et son refus de se conformer à des attentes limitées quant à ce qu'un moine bouddhiste devait et ne devait pas faire retournèrent certains des administrateurs du vihara contre lui. Alors qu'il faisait son voyage d'adieu en l'Inde, il reçut une lettre lui notifiant qu'on ne lui permettrait pas de reprendre son ancien poste. En dépit des protestations de la plupart de ceux qui venaient au vihara, les membres du bureau avaient, à une faible majorité, voté pour l'exclure. À la lecture de la lettre, Sangharakshita se sentit soulagé. Il était libre de recommencer, hors de la confusion et des désaccords du monde bouddhiste britannique de l'époque. Avec la bénédiction de ses maîtres et amis indiens, il revint en Angleterre. Quelques jours après son arrivée, en avril 1967, il fonda les Amis de l'Ordre Bouddhiste Occidental, avec un petit groupe de ses disciples du vihara. Un an plus tard, il ordonna treize premières personnes, hommes et femmes, dans l'Ordre Bouddhiste Occidental.
Le reste de la vie de Sangharakshita est lié si étroitement au développement de l'AOBO / FWBO qu'il est difficile de le décrire en un simple récit. En quelques mots, il s'est complètement consacré à ce mouvement qui, dans l'ensemble, s'est développé très régulièrement et solidement. Les quelque cinq premières années ont été intensément créatives. Sangharakshita avait, si l'on peut dire, fait son apprentissage au sein du monde bouddhiste traditionnel : il avait profondément réfléchi au Dharma et l'avait intensément pratiqué. Il était maintenant seul et devait faire vivre le bouddhisme dans un environnement entièrement nouveau, en se basant seulement sur les principes fondamentaux. Étape après étape, Sangharakshita forma son nouveau mouvement bouddhiste.
Chaque semaine il y avait trois ou quatre cours. Au début, les activités eurent lieu au centre de Londres, dans la cave louée d'un magasin, puis dans des pièces empruntées à un restaurant macrobiotique et à un centre « new-age », et finalement dans un quartier du nord de Londres, dans une usine désaffectée et vouée à la reconstruction. Non seulement Sangharakshita animait-il toutes classes : il effectuait lui-même une grande partie du travail d'organisation, formant progressivement ses disciples à la gestion d'un mouvement bouddhiste. Il donna plusieurs séries importantes de conférences dans lesquelles il présenta les enseignements fondamentaux du bouddhisme, s'inspirant de toutes les écoles et de toutes les traditions. Il animait deux fois par an des retraites, et tout au long de l'année des séminaires ou des ateliers d'un jour ou d'un week-end. Une grande partie de son temps se passait dans des rencontres personnelles avec les nombreuses personnes qui souhaitaient le voir. Il n'était en effet pas seulement un maître et un enseignant pour ses disciples : il était aussi un ami.
En 1973, il sembla que le nouveau mouvement bouddhiste était suffisamment fermement établi pour que son fondateur se retire de la gestion quotidienne. C'était non seulement possible : c'était souhaitable. Les membres de l'Ordre avaient besoin d'avoir l'occasion de prendre plus de responsabilités, et Sangharakshita devait œuvrer de manière nouvelle. Le mouvement avait deux centres à Londres et deux en Nouvelle-Zélande, sans compter des groupes importants à Glasgow et à Brighton, et de plus petits ailleurs. Sangharakshita était à la tête d'un mouvement grandissant et ne pouvait rester impliqué dans un seul centre. Il alla vivre tout d'abord dans un petit chalet près de la mer en Cornouailles, puis dans plusieurs maisons dans les comtés du Norfolk et du Suffolk. Il y rédigea la première partie de ses mémoires, publiées en deux livres : « Learning to Walk » et : « The Thousand-petalled Lotus », et écrivit plusieurs articles.
Bien qu'il n'ait plus été impliqué dans l'organisation quotidienne de l'AOBO / FWBO, il regardait de près tout ce qui s'y passait, en particulier les initiatives nouvelles. Tandis que le mouvement grandissait et s'approfondissait, Sangharakshita alla toujours plus loin dans son enseignement, faisant à chaque étape ressortir les principes qui étaient à la base de l'évolution du mouvement. Il continua, au cours des quinze années qui suivirent, à donner d'importants cycles de conférences, et conduisit des séminaires destinés à des petits groupes de ses disciples et portant sur de divers textes bouddhiques, présentations contemporaines du Dharma, et travaux d'autres origines.
Tous les ans il rendait visite à plusieurs centres et groupes, en Grande-Bretagne et à l'étranger, rencontrant des personnes, donnant des conférences, et parlant avec des membres de l'Ordre. Londres était toujours le centre principal et il s'y rendait fréquemment, en particulier après l'ouverture en 1979 du grand Centre Bouddhiste de Londres, où il avait un petit appartement. En 1977, il avait installé sa résidence principale dans une maison de la campagne du Norfolk, qui devint le centre de retraite pour hommes de Padmaloka. Là, il forma autour de lui une petite communauté, dont certains membres travaillaient comme ses secrétaires, formant l'équipe de gestion de l'Ordre Bouddhiste Occidental. Vers la fin des années 70 le mouvement comportait environ quinze centres, et des communautés et des entreprises rattachées à plusieurs d'entre eux. L'AOBO n'offrait plus seulement des enseignements et des pratiques, mais un mode de vie nouveau et radical, se développant sous les conseils personnels du fondateur.
En 1977, un des principaux disciples anglais de Sangharakshita entra en contact avec certains de ses disciples en Inde et, avec leur aide, commença à y établir l'AOBO. Ce dernier y est connu sous le nom de Trailokya Bauddha Mahasangha Sahayak Gana (TBMSG), ou « Communauté des Aides de l'Ordre Bouddhiste des Trois Mondes », les trois mondes étant une allusion aux trois mondes de la cosmologie bouddhique et aux premier, second, et troisième mondes de la politique moderne. Il fut vite clair que Sangharakshita n'avait pas été oublié et que les principes de son nouveau mouvement bouddhiste étaient aussi applicables en Inde qu'en Occident. Très rapidement, des milliers de personnes s'impliquèrent dans le mouvement. Sangharakshita lui-même se rendit en Inde deux ans plus tard, et conduisit les premières ordinations d'Indiens dans l'Ordre. Il est allé périodiquement en Inde depuis lors, et s'est intéressé de près aux activités qui s'y déroulent, et qui se développent bien plus rapidement que n'importe où ailleurs dans le monde. Sur ses vifs conseils, ses disciples en Occident ont commencé à réunir des fonds destinés à des projets sociaux en Inde, en particulier parmi les nouveaux bouddhistes. Ces disciples ont créé ce qui est maintenant devenu une importante association de récolte de fonds, le Karuna Trust.
À cette époque, Sangharakshita avait une charge de travail extrêmement lourde. Se tenir simplement au courant ce qui se passait et maintenir le contact avec tous ceux qu'il avait ordonnés occupait une grande part de son temps. Grâce à une forte discipline personnelle, il continua son travail littéraire tout en visitant des centres, en donnant des entretiens individuels, en donnant des conférences et animant des séminaires, et en traitant les nombreuses questions et nombreux problèmes surgissant dans toutes les parties du mouvement. Il institua en 1981, dans un ancien monastère catholique en Italie, une retraite annuelle de trois mois pour les hommes qui s'approchaient de l'ordination, animant lui-même nombre des activités et supervisant l'étude. Pendant les huit années qui suivirent, ces retraites, bien que toujours exigeantes, furent pour lui une occasion de prendre du recul par rapport aux tâches quotidiennes d'un mouvement qui ne cessait de croître. Tous les ans, il alla également passer un certain temps dans les retraites d'ordination des femmes.
Heureusement, ses disciples aînés mûrissaient. En 1985 et 1986 il délégua à des équipes de membres de l'Ordre, hommes et femmes, le fait de conférer les ordinations en Inde, et en 1989 il transmit la responsabilité des ordinations en Occident. Il y avait alors parmi les membres de l'Ordre quelques enseignants et maîtres qualifiés, et bien imprégnés des principes que Sangharakshita avait éclairés tout au long des vingt années qui venaient de s'écouler. Il décida qu'il lui fallait se focaliser sur son travail littéraire, laissant autant que possible à d'autres le soin de diriger le mouvement. En 1989, il s'installa dans son appartement au Centre Bouddhiste de Londres, vivant paradoxalement en retraite dans la ville, et gardant plusieurs responsabilités importantes. Outre son écriture et ses responsabilités organisationnelles, Sangharakshita restait en contact avec ses nombreux disciples, rencontrant chaque jour plusieurs d'entre eux et correspondant avec d'autres. De temps à autres il visitait des centres de l'AOBO, montrant un intérêt particulier pour les nouveaux lieux où le mouvement se développe.
Le mouvement aujourd'hui a grandi à tel point que la grande majorité de ceux qui y sont engagés ont peu ou n'ont pas de contact personnel avec son fondateur. Il n'y a pas de « culte de la personnalité » dans l'AOBO, mais Sangharakshita est très apprécié et son influence s'étend à chaque aspect du mouvement. Mais il a toujours eu fortement conscience du fait que ses disciples devaient apprendre à continuer le travail sans lui. Il s'est engagé dès le début dans un processus conscient de retrait, afin que d'autres puissent prendre les responsabilités qu'il laisse derrière lui. À l'occasion de la célébration de ses soixante-dix ans, il a transmis ses dernières responsabilités à ses disciples les plus anciens.
Sangharakshita a vécu les dernières années de sa vie au Centre Triratna d'Adhisthana, en Angleterre, se focalisant sur le contact personnel avec des gens, et sur son travail d'écriture. Il est décédé le 30 octobre 2018.
'Sangharakshita, a New Voice in the Buddhist Tradition' © Subhuti, Windhorse Publications 1994, traduction © Ujumani 2007.