Bouddhistes occidentaux et bouddhisme oriental
Le Dharma, dit le Bouddha, est tout ce qui contribue au développement spirituel de la personne. C’est notamment un ensemble de pratiques, que l’on devrait considérer hors des contextes culturels orientaux dans lesquels elles ont initialement fleuri – ce qu’a fait Sangharakshita en fondant la communauté Triratna. Celle-ci peut donc être vue comme une expression occidentale du Dharma.
En quoi la Communauté bouddhiste Triratna est-elle un mouvement bouddhiste ? Cela dépend évidemment de ce que l'on entend par « bouddhiste », et cela dépend de ce que l'on entend par « bouddhisme ».
Il y a beaucoup de versions différentes du bouddhisme et beaucoup d'interprétations. Après tout, le mot « bouddhisme » lui-même représente déjà une interprétation. À l'origine, le bouddhisme n'était pas appelé bouddhisme du tout. Il n'a certainement jamais été appelé bouddhisme en Inde, et il n'a certainement jamais été appelé bouddhisme par le Bouddha. Il était appelé Dharma en sanskrit et Dhamma en pâli. Et le mot Dharma ou Dhamma signifie Réalité ou Vérité ; il signifie loi, doctrine, ou enseignement. Ou bien on peut dire qu'il représente la Réalité ou la Vérité telle qu'elle est communiquée sous la forme d'un enseignement de l'esprit Éveillé à l'esprit non-éveillé. L'initiateur de ce Dharma, de cette vision de la réalité exprimée dans un enseignement, est bien sûr Gautama, le Bouddha. Il communique à ses disciples une réalité, une vérité dont il a personnellement fait l'expérience - et cette expérience est celle de l'Éveil. Par conséquent, le Bouddha est le meilleur porte-parole, le meilleur interprète du bouddhisme.
« Qu'est-ce que ton Dharma ? »
Et que dit le Bouddha lui-même du Dharma ? Pour répondre à cette question, nous pouvons nous rapporter à un épisode des écritures en pâli, car cette question précise fut posée une fois au Bouddha lui-même : « Qu'est-ce que ton Dharma ? Quel est ton enseignement ? »
La personne qui posa cette question était Mahapajapati Gautami, la tante et nourrice du Bouddha. Elle l'avait élevé depuis son enfance, depuis la mort de sa mère alors qu'il était à peine âgé de quelques jours. Des années plus tard, Mahapajapati Gautami était non seulement devenue adepte de son enseignement, mais elle était « allée de l'avant », comme l'on dit, après avoir entendu l'enseignement des propres lèvres du Bouddha. Cet enseignement l'avait tellement impressionnée qu'elle avait décidé de renoncer à tous ses autres intérêts, relations et liens, de manière à pouvoir consacrer sa vie entière à la pratique du Dharma. Elle était donc allée de l'avant, quittant sa maison, quittant sa famille, quittant son mari, quittant la ville de Kapilavastu, pour errer de lieu en lieu, méditant et cherchant à pratiquer le Dharma.
Au moment de notre épisode, Mahapajapati avait passé un certain temps sans contact direct avec le Bouddha, et il y avait un peu de confusion dans son esprit. Elle voulait pratiquer le Dharma mais n'était pas tout à fait certaine de ce qu'était le Dharma. Cela n'est pas tellement inhabituel. Parfois au moins, il peut nous arriver de vouloir mettre en pratique la vérité sans être tout à fait sûr, voire pas sûr du tout, de ce qu'est vraiment la vérité.
Bien que Mahapajapati Gotami ait été en contact avec certains des disciples du Bouddha et ait ainsi pu leur demander ce que le Bouddha avait enseigné, les interprétations qu'ils lui donnaient différaient très souvent ; chacun avait son propre point de vue. Finalement elle décida d'aller trouver le Bouddha lui-même et de lui demander ce que fondamentalement il enseignait. Elle se rendit donc à l'endroit où le Bouddha séjournait et lui demanda, de but en blanc, pour ainsi dire, « Qu'est-ce que ton Dharma ? Comment savoir ce que tu enseignes réellement ? Quel est le critère ? » Voici la traduction de ce que, d'après la tradition, le Bouddha répondit à Mahapajapati en cette occasion :
« Gotami, ces choses dont tu sais que : "Ces choses conduisent à la passion, non à l'absence de passion ; à l'attachement, non au détachement ; à l'accumulation, non au dépouillement ; à l'ambition, non à la modestie ; à l'insatisfaction, non à la satisfaction ; à l'association (avec le groupe), non au retrait (du groupe) ; à l'oisiveté, non à l'énergie ; au luxe, non à la frugalité", de ces choses-là tu peux certainement décider, "Ceci n'est pas le Dharma, ceci n'est pas le Vinaya, ceci n'est pas l'enseignement du Maître". Mais ces choses dont tu sais que : "Ces choses conduisent à l'absence de passion, non à la passion ; au détachement, non à l'attachement ; au dépouillement, non à l'accumulation ; à la modestie, non à l'ambition ; à la satisfaction, non à l'insatisfaction ; au retrait (du groupe), non à l'association (avec le groupe) ; à l'énergie, non à l'oisiveté ; à la frugalité, non au luxe", de ces choses-là, tu peux certainement décider, "Ceci est le Dharma, ceci est le Vinaya, ceci est l'enseignement du Maître". »
Voici, selon les propres mots du Bouddha, quel est le critère, le principe. Le Dharma est tout ce qui contribue au développement spirituel de la personne. C'est tout ce que la personne trouve dans sa propre expérience qui contribue réellement à son développement spirituel.
Dans ce passage donc, comme dans d'autres, les personnes sont clairement perçues comme vivant, croissant et se développant. Et, à ce sujet également, nous pouvons aussi nous rappeler la vision de l'humanité qu'eut le Bouddha immédiatement après son Éveil. A ce moment-là, le Bouddha était indécis et ne savait pas s'il devait ou non enseigner la vérité qu'il avait découverte. Cette vérité, il le savait, était très profonde, très difficile et abstruse. Mais il décida finalement qu'il partirait et enseignerait, qu'il communiquerait à d'autres la vérité qu'il avait découverte. Et à ce moment-là, nous dit-on, il ouvrit les yeux et, regardant le monde, il vit les êtres vivants comme un parterre de fleurs de lotus. C'était comme s'il voyait un vaste parterre de fleurs de lotus s'étendant dans toutes les directions, à perte de vue. Ceci était l'humanité. Ceci était l'espèce humaine. Certaines de ces « fleurs » - certaines de ces personnes - étaient clairement enfoncées dans la boue. D'autres s'en étaient juste un peu sorties et commençaient à s'en dégager. D'autres encore étaient complètement sorties de la boue et leur tête se dressait hors de la surface de l'eau, permettant à leurs pétales de s'ouvrir et de recevoir la lumière du soleil.
Voici comment le Bouddha vit l'humanité à ce moment-là. Il vit tous les êtres comme des personnes, et il put voir aussi qu'ils étaient tous à des stades différents d'évolution, croissant, mais ayant besoin de la lumière du Dharma afin de croître et de se développer davantage.
Dans un autre passage, dans le grand soûtra du Mahâyâna appelé le Saddharma-pundarika ou Soûtra du Lotus, il y a une autre et superbe comparaison. Les personnes n'y sont pas seulement comparées à des lotus émergeant de la boue et de la vase, mais aussi à différentes sortes de plantes. Elles sont comparées à des herbes, des arbres, des fleurs, des buissons, tandis que l'enseignement du Bouddha est comparé à un grand nuage de pluie. Pendant l'hiver et l'été, en Inde, il fait très chaud et sec, durant de longs mois. Tout se dessèche et se rabougrit. Et puis soudainement, au commencement de la saison des pluies, un grand nuage noir apparaît au milieu du ciel. Surviennent éclairs et coups de tonnerre, puis la pluie se met à tomber abondamment et continûment, jour après jour, parfois pendant des semaines et des semaines. Et comme il pleut, tout se met à pousser. Tout ce qui était si sec et parcheminé redevient vert et lance des pousses. Toutes les feuilles, toutes les herbes, tous les arbres, toutes les fleurs et tous les buissons recommencent à pousser. Et tout pousse à sa manière. L'arbre pousse comme un arbre, le buisson pousse comme un buisson, l'herbe pousse comme de l'herbe, la fleur pousse comme une fleur, chaque chose pousse à sa manière. C'est un aspect important de l'analogie du Bouddha, car le Dharma est exactement comme ce nuage de pluie : il nous donne juste la nourriture dont nous avons besoin. Il nous conduit à partir d'où il nous trouve, son point de départ - en ce qui nous concerne - étant là où nous en sommes maintenant, car chacun a besoin du Dharma à sa manière.
C'est aussi ce que nous trouvons dans un des poèmes du grand poète et mystique tibétain, Milarépa : tout le monde a besoin du Dharma mais chacun en a besoin à sa manière. Voici quelques-uns des vers qu'il chanta en une certaine occasion :
Les hommes supérieurs ont besoin du Dharma ;
Sans lui, ils sont comme des aigles.
Bien que perchés bien haut,
Ils ne signifient pas grand chose.
Les hommes moyens ont besoin du Dharma ;
Sans lui, ils sont comme des tigres.
Bien qu'ils aient une énorme force,
Ils ne valent pas grand chose.
Les hommes inférieurs ont besoin du Dharma ;
Sans lui, ils sont comme les ânes des colporteurs.
Bien qu'ils portent une lourde charge,
Cela ne leur fait pas grand bien.
Les femmes supérieures ont besoin du Dharma ;
Sans lui, elles sont comme des tableaux sur un mur.
Bien qu'elles fassent joli,
Elles n'ont ni sens ni utilité.
Les femmes moyennes ont besoin du Dharma ;
Sans lui, elles sont comme de petits rats.
Bien qu'elles soient habiles à trouver de la nourriture,
Leurs vies n'ont pas beaucoup de sens.
Les femmes inférieures ont besoin du Dharma ;
Sans lui, elles sont comme de petites renardes.
Bien qu'habiles et malignes,
Leurs actes ne valent pas grand chose.
Les vieillards ont besoin du Dharma ;
Sans lui, ils sont comme des arbres qui pourrissent.
Les jeunes gens ont besoin du Dharma ;
Sans lui, ils sont comme des taureaux sous le joug.
Les jeunes filles ont besoin du Dharma.
Sans lui, elles sont comme des vaches portant guirlandes.
Tous les jeunes ont besoin du Dharma.
Sans lui, ils sont comme des pousses enfermées dans leurs cosses.
Tous les enfants ont besoin du Dharma.
Sans lui, ils sont comme des voleurs possédés de démons.
Sans le Dharma, tout ce que l'on fait
N'a ni sens ni but.
Ceux qui veulent donner un sens à leur vie
Devraient pratiquer l'enseignement du Bouddha.
Le chant de Milarépa dit clairement que le sens, le but de la vie d'une personne est de grandir, d'accéder à un niveau supérieur de conscience, et que c'est bien cela que le Dharma nous aide à faire. Le Dharma est tout ce qui nous aide à nous élever à partir d'où nous nous trouvons, à partir de ce que nous sommes maintenant. Nous pouvons donc définir le Dharma comme tout ce qui contribue au développement de l'individu. Voilà le critère.
Pratiques spirituelles
Tout cela peut paraître très large et général, mais ça ne l'est pas vraiment. Le Dharma - l'enseignement du Bouddha - prend forme à travers un certain nombre de pratiques spirituelles concrètes. Cela apparaît clairement dans un autre épisode des écritures en pâli. Dans cet épisode, on nous rappelle qu'il y avait en Inde à l'époque du Bouddha un certain nombre de maîtres spirituels. Un des plus fameux d'entre eux était Nigantha Nataputta - ainsi que le nomment les écritures en pâli - qui est habituellement identifié avec Mahavira, le fondateur du jaïnisme. Nigantha Nataputta mourut peu de temps avant le Bouddha et après sa mort les moines de son Ordre se divisèrent en deux factions. Ces factions se disputèrent avec tant de véhémence à propos de ce que leur maître avait enseigné qu'ils en vinrent presque aux coups. Ananda, qui semble avoir été parfois porté sur les ragots, rapporta ce fait au Bouddha, ajoutant qu'il espérait que de telles disputes ne s'élèveraient pas après la disparition du Bouddha.
Le Bouddha répliqua qu'une telle chose était impossible. Il était sûr qu'il n'y aurait même pas deux moines parmi ses disciples pour décrire son enseignement de manière discordante. Il rappela alors à Ananda ce qu'était cet enseignement. Il y avait les quatre fondements de l'attention : attention sur le corps, sur les sensations, sur les activités mentales et sur la Réalité. Il y avait les quatre efforts justes : l'effort pour prévenir la naissance d'états d'esprit défavorables qui ne se sont pas encore manifestés ; l'effort pour se débarrasser d'états d'esprit défavorables qui se sont déjà manifestés ; l'effort pour développer des états d'esprit favorables qui ne se sont pas encore manifestés et l'effort pour maintenir ces états d'esprit favorables qui se sont déjà manifestés. Il rappela à Ananda les quatre bases du succès, les cinq facultés spirituelles, les cinq pouvoirs, les sept facteurs de l'Éveil, le noble chemin octuple... Toutes ces choses constituaient le Dharma qu'il avait enseigné et il était certain qu'à leur sujet il n'y aurait pas de dispute après sa mort, pas même entre deux de ses disciples.
Ce que l'on remarque immédiatement dans cette liste d'enseignements, c'est qu'ils sont tous pratiques. Ce sont tous, en fait, des pratiques. Il n'y a rien ici de théorique, le Bouddha ne dit rien du nirvâna, rien de la sunyatâ, la vacuité, rien de l'esprit. Il ne mentionne même pas la coproduction conditionnée. C'est comme s'il disait que tous les enseignements qu'il avait donnés à ses disciples étaient d'ordre pratique et ne pouvaient donc pas vraiment être décrits différemment par des personnes différentes. Après tout, un enseignement pratique implique une pratique concrète, et l'expérience devrait donc être la même pour tous ceux qui pratiquent. C'est la même chose dans la vie ordinaire ; nous pouvons ne pas être d'accord à propos de la théorie mais nous ne sommes pas souvent en désaccord à propos de la pratique. Nous pouvons par exemple ne pas être d'accord quant à la nature de l'électricité, mais il y a moins de chances que nous différions sur la manière de réparer un fusible. De la même manière, les disciples du Bouddha pourraient ne pas être d'accord sur des enseignements théoriques, mais ils ne pourraient guère de ne pas être d'accord sur des enseignements pratiques, pourvu évidemment qu'ils les aient réellement pratiqués. Donc le Dharma prend forme essentiellement à travers des pratiques spirituelles, à travers des choses que vous faites concrètement.
Cet épisode suscite une autre question intéressante. En dépit de la réponse du Bouddha, Ananda n'était pas satisfait. Il continua : « Même s'ils sont tous d'accord au sujet de l'enseignement, il se pourrait qu'il y ait des disputes à propos des moyens de subsistance, ou à propos des règles (en pâli : patimokkha ; les 150 règles observées par les moines, toujours suivies dans bien des cas) ». La réponse du Bouddha à ceci fut très importante. Une dispute concernant les moyens de subsistance ou une dispute concernant les règles serait, dit-il, « insignifiante ». Ce sont seulement les disputes concernant le chemin, ou les disputes concernant la manière de pratiquer, qui seraient désastreuses.
Maintenant que nous avons brièvement vu ce que l'on entend par bouddhisme, nous pouvons commencer à voir dans quel sens la Communauté bouddhiste Triratna est un mouvement bouddhiste. C'est un mouvement bouddhiste tout d'abord dans le sens où il se préoccupe de l'individu, de la personne indépendante et autonome. Le bouddhisme accorde de la valeur à l'individu comme aucun autre enseignement ne le fait. Le bouddhisme est simplement tout ce qui aide l'individu à grandir, tout ce qui l'aide à évoluer de niveaux d'existence et de conscience inférieurs vers des niveaux supérieurs. En même temps le Dharma n'est pas simplement un principe vague et général de croissance ; il s'incarne dans des pratiques spirituelles spécifiques.
Le bouddhisme n'est-il que le « bouddhisme » ?
Ce dernier point cependant peut encore laisser certains préoccupés par la question suivante : si le bouddhisme est tout ce qui contribue au développement de l'individu, doit-on le limiter seulement à ce qui est étiqueté « bouddhisme » ? Ne pourrait-on pas dire que n'importe quelle chose qui contribue au développement de l'individu, est en fait le bouddhisme ou au moins une partie du bouddhisme ?
Il y a deux choses que je devrais peut-être mentionner à ce sujet. Certaines personnes dans la Communauté bouddhiste Triratna tirent beaucoup d'inspiration de certains poètes et philosophes occidentaux, inspiration qui les aide dans leur vie spirituelle en tant que bouddhistes. Je peux citer Goethe, Blake, Schopenhauer, Nietzsche, Platon, D.H. Lawrence, Shelley (un ensemble plutôt disparate, peut-on penser). D'autres membres de la Communauté tirent de l'inspiration de la musique classique occidentale, en particulier de celle de Bach, de Beethoven et de Mozart... Rien à redire à cela, et on peut certainement considérer de telles sources d'inspiration comme faisant partie du bouddhisme dans le sens le plus large.
Quand je dis cela, cependant, je ne suggère pas que des personnages comme Goethe, Blake, etc., aussi grands qu'ils aient été, étaient aussi Éveillés que le Bouddha. Je ne dis pas que leur poésie ou leur philosophie ou leur musique peut nous mener aussi loin que ne le peut le Dharma - c'est-à-dire le Dharma dans le sens strict du terme. Mais pour le moment nous devons reconnaître que la plupart des gens dans la Communauté bouddhiste Triratna sont encore à un niveau très élémentaire de leur vie spirituelle et qu'ils ont besoin d'une aide appropriée à ce niveau. Peut-être devrais-je citer le grand mystique tibétain Gampopa lorsqu'il dit : « Le plus grand bienfaiteur est un ami spirituel sous la forme d'un être humain ordinaire ». Un être humain ordinaire est ordinaire, dans ce contexte, quand on le compare aux bouddhas et aux bodhisattvas. Selon ce critère, même Goethe et Blake étaient des êtres ordinaires.
Deuxièmement, sans tenir compte de l'inspiration que l'on peut retirer de ces autres sources, la source principale d'inspiration pour la Communauté bouddhiste Triratna n'en est pas moins le Bouddha et son enseignement. C'est de cette source que nous tirons notre idée de ce qu'est le développement ; c'est de cette source que nous tirons notre idéal de l'Éveil humain. Par conséquent, toute aide que nous pourrions retirer d'autres sources doit être en accord avec cela, en harmonie avec cela, et doit nous conduire dans la direction de l'Éveil humain.
La Communauté bouddhiste Triratna est un mouvement spirituel occidental, un phénomène spirituel occidental. Elle cherche à pratiquer le bouddhisme dans les conditions de la civilisation occidentale contemporaine, qui est une civilisation industrialisée et sécularisée. Mais, historiquement parlant tout au moins, le bouddhisme est une religion orientale. Il a vu le jour en Inde, et pendant 2.500 ans il est resté pratiquement confiné à l'Orient. C'est seulement assez récemment, au cours des cent dernières années en fait, qu'on a commencé à en entendre parler en Occident. Quel est donc le rapport entre les bouddhistes occidentaux et le bouddhisme oriental ?
Différents bouddhismes orientaux
En essayant de répondre à cette question, ce qu'il faut dire en premier est qu'il n'y a pas de bouddhisme oriental en tant que tel. Ce que l'on a en fait, c'est un certain nombre de bouddhismes orientaux - au pluriel. Pour parler de manière générale, il en existe encore, actuellement, quatre variétés dans le monde bouddhiste oriental. Il y a le bouddhisme de l'Asie du Sud-Est, le bouddhisme chinois, le bouddhisme japonais et le bouddhisme tibétain.
On trouve le bouddhisme de l'Asie du Sud-Est au Sri Lanka, en Birmanie, en Thaïlande et au Cambodge - ainsi que, çà et là, à Singapour et en Malaisie. Cette forme de bouddhisme appartient à l'école Théravada, dont les écritures sont contenues dans le Tripitaka pâli - quelque 45 volumes dans l'édition royale thaïe.
Le bouddhisme chinois se rencontre principalement en Chine, à Taiwan, en Corée, au Viêt-nam et, encore, dans certaines parties de Singapour et de la Malaisie. (Je ne tiens bien sûr pas compte des événements politiques récents qui ont certainement modifié la situation.) Le bouddhisme chinois appartient à ce que nous pourrions appeler le Mahâyâna « général » ou non sectaire, et ses écritures sont contenues dans le Tsa-Tsan ou « Trois Trésors », en 55 volumes, correspondant au Tipitaka. Ces volumes sont bien plus gros que les volumes du Tipitaka pâli. Dans cette collection particulière, il n'y a pas moins de 1.662 œuvres distinctes dont certaines sont presque aussi longues que la Bible chrétienne.
C'est bien sûr au Japon qu'on trouve le bouddhisme japonais, mais aussi à Hawaii et parmi les immigrés japonais aux États-Unis. Il comprend diverses écoles de ce que l'on peut décrire comme Mahâyâna « sectaire ». Les plus connues de celles-ci sont les écoles Zen et Shin. Il y a aussi différentes écoles modernes dont certaines n'ont vu le jour qu'au cours du XXème siècle. Les écritures du bouddhisme japonais sont le Tsa-Tsan chinois plus diverses œuvres japonaises propres à chaque secte, et qui se substituent parfois en pratique au Tsa-Tsan.
Le bouddhisme tibétain se rencontre au Tibet, en Mongolie, au Sikkim, au Bhoutan, au Ladakh, dans certaines parties de la Chine, et même dans certaines parties de l'URSS. Il comprend quatre traditions principales qui, toutes, suivent les trois yânas - c'est-à-dire le Hinayana, le Mahâyâna et le Vajrayana. Les différences entre ces quatre traditions se manifestent surtout à travers les lignées Vajrayana - c'est à dire tantriques. Leurs écritures sont toutes contenues dans le Kangyur, ce qui veut dire « Parole du Bouddha », en 100 ou 108 volumes xylographiés - suivant l'édition - avec, en outre,des collections spéciales comme le Rinchen-Terma pour les Nyingmapas, et le Milarepa Kabum pour les Kagyupas.
Telles sont les quatre écoles du bouddhisme oriental qui existent encore de nos jours. Il y a beaucoup de formes intermédiaires, de sous-variétés, et de sous-sous-variétés mais, pour simplifier, je les ai passées sous silence. En pratique, les bouddhistes occidentaux se trouvent face à quatre bouddhismes orientaux plutôt qu'à un seul bouddhisme oriental monolithique avec des aspects complémentaires.
Peut-être devrais-je aussi ajouter ici qu'ils ne se trouvent pas confrontés à un esprit oriental, pas plus qu'à une psychologie orientale. Certains auteurs parlent de l'esprit occidental ou de l'esprit oriental comme s'il s'agissait de deux esprits complètement différents, suggérant qu'il est très difficile pour l'esprit oriental de comprendre l'esprit occidental et vice-versa. Et le bouddhisme bien sûr, est supposé être un produit de l'esprit oriental ; c'est pourquoi, nous dit-on parfois, il est très difficile pour un Occidental de comprendre le bouddhisme. Je n'ai pourtant trouvé nulle part de preuve qui soutiendrait cette croyance, et je parle en connaissance de cause. Partout où je suis allé au cours de mes vingt ans de séjour en Orient, j'ai rencontré des Indiens, des Tibétains, des Mongols, des Thaïlandais, des Cingalais - ou même des Européens - et j'ai constaté que je pouvais les comprendre, et qu'ils pouvaient me comprendre. Il faut reconnaître que le bouddhisme est difficile à comprendre, mais ce n'est pas parce que c'est un produit de « l'esprit oriental ». Il est difficile à comprendre parce que c'est un produit de l'esprit Éveillé, un esprit qui transcende les conditionnements tant de l'Orient que de l'Occident.
Un autre mythe populaire que je pourrais aussi mentionner dans ce contexte est celui suivant lequel il y aurait un Orient « spirituel » et un Occident « matérialiste ». Cela aussi est vraiment un mythe. L'Occident n'est pas plus matérialiste que l'Orient. On pourrait dire que l'Occident a simplement plus de succès dans sa poursuite du matérialisme.
Différences entre bouddhismes orientaux
Cependant, pour en revenir au thème des bouddhistes occidentaux et des quatre bouddhismes orientaux, ces quatre bouddhismes orientaux diffèrent les uns des autres de deux manières principales. D'abord ils diffèrent selon l'école doctrinale bouddhiste à laquelle ils appartiennent. Ensuite, ils diffèrent selon la culture régionale ou nationale avec laquelle ils s'associent.
D'un point de vue pratique tout au moins, la deuxième de ces caractéristiques est probablement la plus importante, puisque sa conséquence est que le bouddhisme que rencontrent la majorité des gens en Occident, tant dans son contenu que dans sa pratique, n'est pas vraiment du bouddhisme. Nous pourrions même dire que beaucoup de bouddhistes occidentaux ne rencontrent jamais vraiment le bouddhisme. Ce qu'ils rencontrent est une école ou une sous-école particulière du bouddhisme associée à une culture nationale ou régionale particulière. Ils peuvent par exemple rencontrer le Théravada qui est étroitement associé aux cultures de l'Asie du Sud-Est, particulièrement à la culture cingalaise, ou ils peuvent rencontrer le Zen qui est associé avec la culture japonaise, etc.
Mais la situation est encore plus compliquée que cela. Le bouddhisme est né en Inde, pays à la culture très ancienne et très riche. Dès les tout débuts, dès le moment où il sortit de la bouche du Bouddha, pour ainsi dire, le bouddhisme a été associé avec la culture indienne, ou plutôt avec les cultures indiennes, car au cours des 1500 ans pendant lesquels le bouddhisme a fleuri en Inde, la culture indienne a traversé différentes phases de développement, chacune fortement marquée par des caractéristiques tout à fait particulières.
Quand le bouddhisme passa d'Inde en Chine, ce qui « passa » en fait fut le bouddhisme plus la culture indienne. Puis, en Chine, le bouddhisme revêtit certaines caractéristiques culturelles chinoises, avant de continuer son expansion vers le Japon. Au Japon, bien sûr, le bouddhisme acquit certaines caractéristiques japonaises. Ainsi, de nos jours, le bouddhisme japonais est fait de bouddhisme, plus de culture indienne, plus de culture chinoise, plus de culture japonaise. Ceci est le bouddhisme qui arrive aux États-Unis, en France, en Australie, etc. Parfois, bien sûr, le bouddhisme réussit à traverser toutes ces couches culturelles qui se sont surimposées à lui, mais parfois il n'y réussit pas.
Différencier bouddhisme et culture orientale
Confronté à ces différents bouddhismes orientaux, la première chose que le bouddhiste occidental doit faire est d'apprendre à distinguer ce qui est vraiment le bouddhisme de ce qui est en fait culture Sud-Est asiatique, ou chinoise, ou japonaise, ou tibétaine, ou même indienne. Non qu'il y ait quoi que ce soit de mauvais dans ces cultures ; elles sont souvent vraiment très belles. Mais elles ne sont pas la même chose que le bouddhisme, elles ne sont pas la même chose que le Dharma. Quand nous disons que la Communauté bouddhiste Triratna est un mouvement spirituel bouddhiste, cela ne veut pas dire qu'elle a adopté une culture orientale particulière - bien qu'en même temps cela ne veuille pas nécessairement dire qu'elle rejette la culture bouddhique orientale. Une partie de cette culture exprime vraiment l'esprit du bouddhisme. Prenons par exemple l'art floral japonais : il y a là certainement quelque chose de l'esprit du bouddhisme. Dans la Communauté Triratna, nous acceptons très volontiers cette sorte de culture orientale, mais nous l'adoptons parce qu'elle peut être abordée comme une expression du bouddhisme, parce qu'elle nous aide dans notre développement spirituel, et pas seulement parce qu'elle est orientale.
Cependant, certains bouddhistes occidentaux s'avèrent incapables de faire cette distinction entre le bouddhisme et les cultures orientales. Ils pensent qu'ils sont attirés par le bouddhisme alors qu'en réalité ils sont attirés par une culture orientale exotique. Parfois ils pensent qu'ils essaient d'être bouddhistes, alors qu'en réalité ils essaient simplement de copier les Indiens, les Japonais ou les Tibétains, ou du moins de leur ressembler. Cela est tout à fait innocent bien sûr. Il n'y a rien de mal à s'habiller en Indien, à faire semblant d'être Japonais, ou à imaginer qu'on est Tibétain. C'est tout à fait sans danger, sauf dans la mesure où cela vous aliène de votre propre culture. Mais cela n'a rien à voir avec le fait d'être vraiment bouddhiste.
Dans certains pays d'Occident nous avons maintenant une situation vraiment très étrange. Les quatre variétés principales du bouddhisme oriental y ont maintenant été introduites. Elles ont des disciples occidentaux, tous étant en principe bouddhistes ; mais parce qu'ils suivent des cultures orientales différentes, ils s'avèrent incapables de vivre ensemble ou de pratiquer le bouddhisme ensemble.
Je me rappelle une situation de cette sorte, dans les tout premiers jours de la Communauté Triratna. Non loin de Londres vivait un groupe de bouddhistes zen anglais. Ils décidèrent de se joindre à une de nos communautés et, après quelques discussions, nous acceptâmes malgré mes doutes. Presque immédiatement après leur emménagement un problème survint : ils refusèrent de se joindre à notre puja, nos dévotions du soir. La raison de ce refus était que nous récitions ces dévotions en pâli et en anglais alors que leur gourou (qui était d'ailleurs une dame anglaise ayant vécu quelque temps au Japon) leur avait dit qu'ils devaient réciter leur puja seulement en japonais. Ainsi, alors que les membres de la communauté récitaient leur puja en anglais et en pâli, ces bouddhistes zen anglais attendaient en dehors du temple ; ils ne voulaient même pas entrer pour écouter.
Un autre exemple me vient à l'esprit à propos de ce même gourou. La culture japonaise est ce que les sociologues appellent une « culture de la honte ». Dans la culture japonaise, la honte est utilisée comme une technique de contrôle de la société. (Notre culture occidentale chrétienne est probablement une « culture de la culpabilité ».) Dans la société japonaise traditionnelle, quand un jeune se conduit mal, une personne plus âgée se met à l'imiter - mais en exagérant fortement l'incartade. Si le jeune a été bruyant, la personne plus âgée est quatre ou cinq fois plus bruyante. S'il a claqué une porte la personne plus âgée va la claquer trois ou quatre fois très, très bruyamment. Le jeune se sent alors honteux, il comprend qu'il a été corrigé et, de honte, il renonce à cette mauvaise conduite. A un moment donné, cette technique de contrôle par la honte fut transmise aux temples zen japonais. Si le disciple se conduisait mal d'une manière ou d'une autre, le maître l'imitait. Si le disciple s'affaissait pendant la méditation le maître s'effondrait aussitôt vers l'avant ; le disciple le remarquait, éprouvait de la honte, se redressait et, de cette façon, il apprenait. Cette technique était connue sous le nom de « faire le miroir ».
Il y a quelques années le gourou zen anglais-japonais dont nous avons parlé plus haut passa par Londres. Il semble qu'elle n'aimait pas beaucoup ce que faisaient certains bouddhistes anglais, qui n'avaient pas été au Japon. Elle se mit donc aussitôt à les imiter. Son moine supérieur, un Américain qui l'accompagnait commença aussi à les imiter. Par exemple, pensant que les bouddhistes anglais mangeaient beaucoup trop quand ils étaient en retraite, il commença à faire le miroir, se resservant de chaque plat juste pour leur montrer combien ils étaient gloutons. Mais les bouddhistes anglais, n'étant pas japonais, ne comprirent pas ce qui se passait. Ils pensèrent que le malheureux devait avoir faim et le servirent une troisième fois de chaque plat. Le gourou, me dit-on, fut très mécontent. Elle dit que les bouddhistes anglais étaient stupides parce qu'ils ne pouvaient apprécier sa technique de « faire le miroir ». Mais en fait c'était elle qui ne pouvait pas comprendre que « faire le miroir » faisait partie de la culture japonaise ; cela n'avait rien à voir avec le bouddhisme, et n'était pas approprié en Occident.
L'approche de la Communauté bouddhiste Triratna.
La Communauté bouddhiste Triratna est certainement un mouvement spirituel bouddhiste. Mais elle ne confond le bouddhisme avec aucune de ses formes culturelles orientales. De la même manière, la Communauté bouddhiste Triratna ne s'identifie exclusivement avec aucune secte ou école particulière du bouddhisme, ni avec le Hinayana, ni avec le Mahâyâna, ni avec le Vajrayana, ni avec le Théravada, ni avec le Zen, le Shin ou les Nyingmapas. Elle est simplement bouddhiste. En même temps, elle ne rejette aucune des sectes ou écoles qui se sont formées au cours de la longue histoire du bouddhisme. Elle les apprécie toutes et cherche à apprendre de toutes, puisant en elles tout ce qui contribue au développement spirituel de la personne, en Occident. En ce qui concerne la pratique de la méditation par exemple, nous enseignons l'attention sur le souffle et le metta bhavana, le développement de la bienveillance universelle, qui sont des pratiques venant de la tradition Théravada. Nous récitons la puja en sept parties, qui vient de la tradition du Mahâyâna indienne. Nous chantons des mantras qui viennent de la tradition tibétaine. Et bien sûr l'accent que nous mettons sur le travail dans la vie spirituelle est aussi un accent caractéristique du Zen. Naturellement, nous avons aussi certains traits qui nous sont propres et que l'on ne peut trouver dans aucune autre forme du bouddhisme en existence : par exemple, l'accent que nous mettons sur les moyens d'existence justes, ou bien l'importance de l'aller en Refuge ou encore l'adage « toujours plus de moins ».
Bien que nous empruntions ce dont nous avons besoin à toutes ces sources, notre attitude n'est pas l'éclectisme. L'éclectisme est une attitude purement intellectuelle. Nous prenons peut-être différents éléments, provenant de différentes formes du bouddhisme, mais nous les prenons en fonction de nos besoins spirituels réels et non en fonction d'idées intellectuelles préconçues. Nous prenons tout ce qui peut nous aider à croître dans le contexte de la vie en Occident.
Nous adoptons une attitude très semblable vis-à-vis des écritures bouddhiques. Il y en a une quantité énorme, comme vous vous en êtes déjà rendu compte, et il serait impossible de les étudier toutes. En fait, nous ne sommes pas censés le faire ; elles représentent les mêmes enseignements fondamentaux à divers degrés d'expansion ou de contraction. Au lieu de cela nous lisons et étudions de manière intensive ce que nous trouvons le plus utile à notre vie spirituelle. Les textes que nous étudions sont donc tirés de toutes les sources : du pâli, du sanskrit, du chinois et du tibétain. Nous étudions notamment l'Udana tiré du Tipitaka pâli, le Bodhicaryavatara (la Marche vers l'Éveil), un texte du Mahâyâna indien en sanskrit compilé en Inde, Dhyana pour débutants qui est basé sur une série de conférences d'un maître chinois, le Précieux ornement de la libération, œuvre d'un maître tibétain et les Chants de Milarépa, les enseignements de l'un des plus grands yogis tantriques de la tradition bouddhique.
Nous devrions maintenant pouvoir apprécier la nature du rapport entre les bouddhistes occidentaux - ou au moins entre les bouddhistes occidentaux de la Communauté Triratna - et les différents bouddhismes orientaux. Mais il se peut qu'une autre question émerge à présent. Si, comme nous avons vu, la Communauté Triratna ne suit aucun bouddhisme oriental en tant que tel, cherche-t-elle donc à créer un bouddhisme distinctivement occidental ? Essaie-t-elle d'exprimer le bouddhisme dans les termes de la culture occidentale ?
Une expression occidentale du bouddhisme
La réponse est à la fois oui et non, et dépend fortement de ce que l'on entend par culture occidentale. Comme nous l'avons déjà vu, la Communauté bouddhiste Triratna n'est pas « contre » la culture occidentale en tant que telle. Il y a certaines affinités entre les œuvres de grands poètes, philosophes, musiciens occidentaux et certains aspects du bouddhisme. Mais cela n'est pas vrai de la culture occidentale dans sa totalité, qui comprend nos systèmes économiques et sociaux. La culture occidentale, prise tout entière et telle qu'elle est, est tout à fait incompatible avec le bouddhisme, et il n'est pas question d'exprimer le bouddhisme dans les termes de cette culture-là. Il est plutôt question de trouver une expression pour le bouddhisme occidental dans le cadre d'une nouvelle culture occidentale, culture qui, à sa propre manière, à son propre niveau, aiderait les gens à se développer au moins psychologiquement sinon spirituellement. En créant cette nouvelle culture nous garderions bien sûr les meilleurs éléments de la culture occidentale traditionnelle, mais une grande partie devrait disparaître.
En ce qui concerne la Communauté bouddhiste Triratna, il n'est pas question pour nous de chercher simplement à nous faire une petite place dans le monde occidental contemporain, sans essayer de changer ce monde. Il ne s'agit pas seulement d'étudier le bouddhisme et puis de faire la même chose que tout le monde fait au quotidien, et de vivre comme tout le monde vit. Ceci est un des points qui fait de la Communauté bouddhiste Triratna un nouveau mouvement bouddhiste : elle ne se satisfait pas seulement d'occuper une petite niche.
La Communauté bouddhiste Triratna a été fondée en 1967. À cette époque il y avait deux sortes différentes de groupes bouddhistes en Angleterre. En premier lieu, il y avait des groupes dirigés par des bouddhistes orientaux, cingalais, tibétains, thaïs, etc., qui y étaient venus à cette fin. Ils propageaient tous le bouddhisme sous une forme ou dans un cadre culturel oriental particulier ; parfois, malheureusement, ils propageaient une culture orientale plutôt que le bouddhisme.
En deuxième lieu, il y avait des groupes dirigés par des bouddhistes anglais. Ces derniers avaient tendance à simplement étudier le bouddhisme : à lire des livres, à assister à des conférences et, dans certains cas peut-être, à pratiquer un petit peu la méditation.
Je me rappelle par exemple que l'on m'a dit, lors de mon retour à Londres en 1964, que les bouddhistes anglais n'étaient pas capables de pratiquer la méditation pendant plus de cinq minutes à la fois et que je ne devais sous aucun prétexte essayer de leur en faire faire plus. C'était la norme à cette époque. Les gens avaient tendance à seulement étudier le bouddhisme, à lire des quantités de livres à propos du bouddhisme, à assister à des quantités de conférences relatives au bouddhisme et, dans certains cas, à faire un tout petit peu de méditation. Mais dans leur vie de tous les jours, ils vivaient comme tout le monde, avec les mêmes idées et idéaux sociaux, économiques et politiques que les non-bouddhistes (de la même classe sociale). Le fait d'être bouddhistes ne changeait rien dans aucun de ces domaines ; ils pratiquaient même rarement les moyens d'existence justes et ne pensaient même pas à les pratiquer. De plus, bien qu'étudiant le bouddhisme, ils l'étudiaient rarement d'un point de vue bouddhique. Dans beaucoup de cas, ils ne se considéraient même pas bouddhistes. Ils étudiaient le bouddhisme, aussi étrange que cela puisse paraître, d'un point de vue chrétien, ou tout au moins avec un conditionnement chrétien inconscient.
Très récemment, un groupe d'étudiants suivant des cours universitaires par correspondance, accompagnés de leur directeur d'études, rendirent visite à notre centre bouddhiste de Londres. Au cours de cette visite il apparut que les étudiants comme leur directeur d'études, qui était un pasteur méthodiste, avaient des idées très étranges à propos du bouddhisme. D'après le manuel qu'ils utilisaient pour leurs cours sur le bouddhisme - écrit par un prêtre jésuite belge - le Théravada était nihiliste, le Mahâyâna était corrompu et dégénéré, et le Vajrayana n'était qu'absurdités magiques. Pas étonnant qu'ils aient été déconcertés !
C'est le genre de choses qui est encore courant dans les milieux académiques. Mais, quand je revins en Angleterre en 1964, puis en 1967, les choses allaient presque aussi mal dans les milieux ostensiblement bouddhistes. Par exemple, les bouddhistes anglais qui étudiaient les écritures en pâli disaient non seulement que les écritures en pâli étaient la parole du Bouddha, mais encore que ces écritures seules étaient la parole du Bouddha et que les autres écritures bouddhiques n'étaient pas du tout la parole du Bouddha. Naturellement, il n'était permis de remettre en question aucune partie des écritures en pâli. Après tout, le Bouddha était Éveillé et le Bouddha avait prononcé chaque mot de ces écritures. Ces bouddhistes anglais étaient en fait des fondamentalistes du pâli ! Ils adoptaient envers les écritures en pâli le même genre d'attitude que les fondamentalistes chrétiens, particulièrement protestants, adoptent envers la Bible. C'était comme s'ils avaient transféré leurs attitudes chrétiennes du christianisme au bouddhisme, sans y apporter aucun réel changement.
La Communauté bouddhiste Triratna, je l'espère, adopte une attitude différente. Elle essaie de voir le bouddhisme d'un point de vue bouddhique. Et elle cherche à créer une nouvelle civilisation occidentale et une nouvelle culture occidentale, une culture qui exprimera des valeurs spirituelles bouddhiques, qui aidera la personne à se développer au lieu de l'en empêcher, une culture qui fournira le fondement d'une communauté spirituelle et d'une nouvelle société.
Nous avons donc vu que le bouddhisme, d'après le Bouddha, est tout ce qui aide la personne à croître. Nous avons aussi vu que le bouddhisme ne se limite pas exclusivement à tout ce qui est étiqueté « bouddhisme ». En même temps, nous avons vu que le bouddhisme n'est pas seulement un vague principe de croissance mais qu'il s'incarne dans des principes et des pratiques spirituelles spécifiques. Nous avons vu aussi que la Communauté bouddhiste Triratna fait une distinction claire et nette entre bouddhisme et cultures bouddhiques orientales, et qu'elle ne se limite à aucune école particulière du bouddhisme mais les apprécie toutes et cherche à apprendre - à tirer de l'inspiration - de toutes les formes du bouddhisme, sans exception. Nous avons aussi vu qu'elle cherche à créer une nouvelle culture occidentale basée sur d'authentiques valeurs bouddhiques, et qu'elle cherche à voir le bouddhisme du point de vue du bouddhisme, c'est-à-dire du point de vue de la personne évoluant dans la direction de ce que l'on ne peut qu'appeler l'Éveil.
'Western Buddhists and Eastern Buddhism' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1992, traduction © Ujumani 2003.