Le Vimalakirti Nirdesa.

Construire la terre de Bouddha.

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Notre sujet est « construire la terre de Bouddha » et nous allons le considérer à travers cinq questions :

  1. Qu'est-ce que la terre de Bouddha ?
  2. Qui construit la terre de Bouddha ?
  3. Pourquoi construit-on la terre de Bouddha ?
  4. Avec quoi construit-on la terre de Bouddha ?
  5. Comment construit-on la terre de Bouddha ?

Le thème « construire la terre de Bouddha » est tiré du premier chapitre du Vimalakirti Nirdesa, dont le titre est « la purification du champ de Bouddha. » Nous allons donc le considérer dans ce contexte bien spécifique, et cela voudra dire prendre connaissance de certains passages cruciaux de ce premier chapitre.

Donc la première scène a pour cadre le parc d'Amrapali, le jardin qu'Amrapali, l'ancienne courtisane, avait donné au Bouddha et à ses disciples à la fin de sa vie, en bordure de la ville de Vaisali. Et le Bouddha s'y trouvait donc, accompagné par une grande assemblée, une grande foule de ses disciples. Le texte nous dit qu'il y avait 8.000 moines, tous dans leurs robes jaunes, tous le crâne rasé, tous probablement avec leur bol à aumône, et tous étaient arahants, c'est-à-dire qu'ils avaient tous, tous ces 8.000 moines, atteint l'éveil individuel. Dans l'art bouddhique traditionnel, l'arahant est habituellement dépeint comme un vieil homme ridé, voûté par les ans, parfois même avec un bâton sur lequel s'appuyer. Il y avait aussi 32.000 bodhisattvas, qui eux sont  traditionnellement représentés sous la forme de princes, jeunes et beaux, de seize ans. Le texte nomme cinquante-six de ces bodhisattvas dont Ratnakuta, Ratnapani, Devaraja, Ratnapriya, Indarajala, Avalokitesvara, Mahastamaprapda, Manjusri et Maitreya. De plus, il y a 10.000 brahmas, le brahma étant une sorte de dieu vraiment très élevée. Et aussi 12.000 shakras ou indras qui sont les dieux qui règnent sur les paradis des trente-trois dieux, ainsi que toutes autres sortes de dieux puissants et ce que nous considérerions comme des êtres mythologiques, des bêtes mythologiques même dans certains cas, et il y avait aussi des moines ordinaires, des nonnes, des laïcs, hommes et femmes. Le Bouddha se trouvait donc, nous dit le texte, entouré et vénéré par des centaines de milliers d'êtres vivants.

Et le Bouddha était assis sur le majestueux trône léonin, au milieu de l'assemblée, enseignant le Dharma. Comme le dit le texte : « dominant la multitude comme Soumérou, roi des montagnes, se dresse bien au-dessus des océans, le seigneur Bouddha brillait, rayonnait et scintillait, assis sur son trône magnifique. » Le texte nous dit qu'à ce moment-là, le bodhisattva Ratnakara - qui veut dire « mine de joyaux », dans le sens de « mine de qualités précieuses » - arrive de la ville de Vaisali à un ou deux miles de là. Et Ratnakara le bodhisattva n'arrive pas seul. Il arrive accompagné de pas moins de 500 jeunes Licchavis, et cela devait être un spectacle tout à fait merveilleux, parce que chacun de ces jeunes hommes, nous dit le texte, tient une ombrelle faites des sept joyaux. Et alors qu'ils arrivent, tous, les 500 jeunes et Ratnakara saluent le Bouddha, et tournent autour du Bouddha sept fois, le gardant toujours à leur droite en signe de respect. Ayant fait cela - une des anciennes coutumes indiennes, marque de respect - ils offrent leur ombrelle au Bouddha qui, par ses pouvoirs magiques, transforme toutes ces ombrelles en un seul dais précieux, si vaste nous dit-on, qu'il recouvre la galaxie de milliards de mondes toute entière, et que tout ce que contient cette galaxie de milliards de mondes est reflété dans l'intérieur de ce dais, si bien que dès que vous regardez en l'air vous voyez tout : vous voyez leurs soleils en nombre illimité, les lunes et les étoiles, des royaumes paradisiaques sans nombre, des monts Soumérou en nombre illimité, des océans, des rivières, des villages et des villes en nombre illimité, et des bouddhas en nombre illimité, enseignant le Dharma. Et l'on peut entendre clairement les voix de tous ces bouddhas, résonner à l'intérieur du dais. Naturellement, l'assemblée est émerveillée par cette vision extraordinaire, et tous s'inclinent devant le Bouddha.

Alors le bodhisattva Ratnakara loue le Bouddha à travers un hymne, une louange - un stuti - qui est, assez naturellement, plein d'une intense dévotion, de grands sentiments de dévotion envers le Bouddha, plein de révérence, plein d'admiration, plein de joie, mais en même temps - et c'est là l'un des caractères extraordinaires de ces hymnes mahayanas, du Mahayana en général même - son contenu est profondément philosophique. La dévotion n'exclue pas la philosophie, n'exclue pas l'élément intellectuel. Et l'élément intellectuel n'exclue pas le sentiment, la dévotion.

Ratnakara dit s'adressant au Bouddha :

« Toutes ces choses apparaissent en dépendance de causes
 pourtant elles sont ni existantes, ni non-existantes ;
en elles il n'y a ni ego, ni expérience, ni agent,
et pourtant aucune action, bonne ou mauvaise, ne perd ses effets ;
tel est votre enseignement. »

Puis, ayant loué le Bouddha par cet hymne plein de dévotion et de profondeur philosophique, Ratnakara pose une question au Bouddha, de la part des 500 jeunes Licchavis qui l'ont accompagné. Ces jeunes Licchavis, nous dit le texte, se sont engagés sur la voie de l'éveil suprême et parfait, en d'autres termes, ils ont pris les vœux du bodhisattva. Et Ratnakara, parlant pour eux, veut que le Bouddha leur explique la purification de la terre de bouddha des bodhisattvas. En d'autres termes, ils veulent savoir comment s'y prendre pour construire la terre de bouddha.

Le Bouddha est plutôt content de cette question et il y répond longuement. Il dit pour commencer :

« Nobles fils, un champ de bouddha de bodhisattvas est une terre d'être vivants.  Pourquoi cela ? Un bodhisattva embrasse un champ de bouddha dans la mesure où il cause la croissance des êtres vivants. Il embrasse un champ de bouddha dans la mesure où les êtres vivants deviennent disciplinés. Il embrasse un champ de bouddha dans la mesure où, grâce à leur entrée dans un champ de bouddha, les êtres vivants entrent en contact avec la gnose du Bouddha. Il embrasse un champ de bouddha dans la mesure où, grâce à leur entrée dans ce champ de bouddha, les êtres vivants augmentent leurs nobles facultés spirituelles. Pourquoi cela ? Nobles fils, un champ de bouddha de bodhisattvas émerge des buts des êtres vivants.
Par exemple Ratnakara, si l'on souhaite construire quelque chose dans l'espace, on peut le faire en dépit du fait qu'il n'est pas possible de construire ou de décorer quoi que ce soit dans l'espace. De la même manière si un bodhisattva, qui sait parfaitement que toutes choses sont comme l'espace, souhaite construire un champ de bouddha afin de faire croître les êtres vivants, il peut le faire en dépit du fait qu'il n'est pas possible de construire ou de décorer un champ de Bouddha dans l'espace. »

Le Bouddha poursuit en disant qu'un champ de bouddha de bodhisattvas est un champ de pensée positive, un champ de haute résolution, un champ d'application vertueuse, un champ des six perfections, un champ des quatre incommensurables : c'est-à-dire l'amitié, la compassion, la joie et l'équanimité, un champ des trente-sept aides à l'éveil, un champ des dix préceptes, etc, etc. Et il conclue en disant au bodhisattva :

« Telle est son application vertueuse, telle est aussi sa haute résolution. Telle est sa haute résolution, telle est aussi sa détermination. Telle est sa détermination, telle est aussi sa pratique. Telle est sa pratique, tel est aussi son engagement total. Tel est son engagement total, tels sont aussi ses moyens habiles. Tels sont ses moyens habiles, tel est aussi son développement des êtres. Et tel est son développement des êtres, telle est aussi la pureté de son champ de bouddha. La pureté de son champ de bouddha est un reflet de la pureté des êtres. La pureté des êtres est un reflet de la pureté de sa gnose. La pureté de sa gnose est un reflet de la pureté de son enseignement. La pureté de son enseignement est un reflet de la pureté de sa pratique transcendantale. Et la pureté de sa pratique transcendantale est un reflet de la pureté de son propre esprit. »

Vient ensuite une conversation entre le Bouddha, Sariputra et le brahma - le grand dieu - Sikhin, parce que Sariputra n'arrive pas à comprendre pourquoi la terre même du Bouddha est si impur, et il pense que c'est peut-être parce que l'esprit du Bouddha a été impur. C'est de cette situation que le thème apparaît. Nous allons le considérer en répondant à cinq questions à l'aide de l'extrait du premier chapitre.

'The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa', © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002

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  1. La magie d'un sûtra mahayana.
  2. Construire la terre de bouddha.
    1. Construire la terre de bouddha.
    2. La bodhicitta universelle.
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    5. Comment le bodhisattva construit-il la terre de bouddha ?
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