L'entrée dans le courant.

Les deux forces gravitationnelles.

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Dans l'étape de la méditation, les deux forces gravitationnelles sont à l'œuvre ; celle du conditionné et celle de l'inconditionné. Et ceci explique notamment deux choses.

Tout d'abord, cela explique la facilité avec laquelle nous tombons de l'étape deux à l'étape un. Ceci explique pourquoi nous tombons parfois si facilement de ce qui semble être les hauteurs de la méditation. Je pense que les gens qui pratiquent la méditation font en effet cette expérience à un moment ou à un autre : vous êtes en pleine belle méditation ; lors de la soirée de la Sangha, à la maison, en retraite, et vous pensez même que vous arrivez enfin à quelque chose après tous ces efforts. Vous y êtes enfin, parmi toutes ces belles expériences qui flottent autour de vous tels moult nuages roses et bleus, et vous vous dites que c'est merveilleux, que cela va rester avec vous toute votre vie et pour toujours … Et puis que se passe-t-il ? En l'intervalle de quelques minutes, non pas d'heures ni de jours ni de semaines, mais bel et bien de quelques minutes, vous êtes submergé par ce que l'on pourrait appeler des états d'esprit hautement négatifs. Je vous laisse compléter selon votre propre expérience. Des états d'esprit hautement négatifs ; non seulement cela, mais vous vous trouvez en accord avec ces derniers ! Et vous oscillez donc entre les hauteurs et les profondeurs. Et parfois, vous vous dites : « la méditation en vaut-elle vraiment la chandelle ? » Après tous ces efforts pour étendre ses ailes si difficilement, nous nous élevons un instant, et d'un seul coup d'un seul nos ailes nous lâchent, et boum ! nous nous retrouvons de retour sur Terre, avec quelques plumes en moins… voilà ce qui se produit, et nous nous demandons même si un progrès spirituel est possible, et si nous ne sommes pas condamné à jouer au yo-yo spirituel à jamais…

Et bien, tous ces soucis sont dus à l'attraction gravitationnelle du conditionné, et l'on ne s'en extirpe que dans la troisième étape, celle de la sagesse. Jusqu'à cette troisième étape, nous pouvons toujours retomber des hauteurs, quel que soit le temps que nous avons passé à méditer. Nous pouvons rester tout en haut pendant des heures, voire des semaines entières : cela ne fait aucune différence, nous retombons avec pertes et fracas tout aussi facilement.

En Inde, il se raconte des tas d'histoires de la sorte, habituellement à propos des rishis, des sages. On raconte que le rishi Untel, il y a des milliers d'années, est allé en Himalaya et y a médité pendant des milliers d'années dans des grottes, dans des forêts profondes, dans des ermitages, sur des sommets enneigés, indifférent à tout. Il y a toutes sortes d'histoires concernant la façon dont la barbe de tel rishi a poussé sur des kilomètres et des kilomètres, ou encore concernant tel autre rishi qui s'est retrouvé enfoui sous une fourmilière géante, mais a continué à méditer des milliers d'années durant, planant avec félicité dans des états de concentration et de médiation. Mais bien évidemment, il lui a bien fallu s'extraire de là et sortir de sa méditation. Et que s'est-il passé ? C'est à chaque fois la même chose. Selon les légendes et traditions que l'on trouve dans les puranas, dès que le rishi sort de sa méditation, descend de sa montagne, émerge de sa forêt, que se passe-t-il ? Il rencontre une nymphe. Il rencontre une jeune fille céleste. Et en l'espace de quelques minutes, malgré des milliers d'années de méditation, il succombe à la tentation et se retrouve au point de départ ! Il y a beaucoup d'histoires comme celle-là, concernant des rishis très connus.

Que veulent dire ces histoires ? Elles signifient une chose : que dans la vie spirituelle, la méditation n'est pas suffisante. Elle ne suffit pas, mais bien entendu elle est indispensable. C'est la base du développement de la sagesse, de même que la moralité est la base du développement de la méditation elle-même. J'avais comparé la moralité à la rampe de lancement d'une fusée. Continuons donc cette comparaison : la méditation est le premier étage de la fusée, duquel est tiré le second étage après que le premier a atteint une certaine hauteur. Et ce second étage est la sagesse, bien sûr. Ainsi la méditation est-elle indispensable car c'est seulement de cette dernière que vient la sagesse. Une fois que l'on a tiré le second étage de la fusée, on est à l'abri de l'attraction gravitationnelle. Et cela m'amène à la seconde chose qui s'explique par le fait qu'à l'étape de la méditation les deux forces gravitationnelles sont à l'œuvre.

Nous savons qu'en méditation, on ressent parfois une sorte d'attraction ; on a l'impression, si l'on médite avec quelque succès depuis un certain temps, que l'on va quelque part. On sent que l'on va tomber dans des profondeurs insondables, ou que l'on va être emporté par un flux puissant à l'intérieur et à l'extérieur de nous. Alors, dans ce genre de situation, on sent parfois au moins l'attraction gravitationnelle de l'inconditionné, même si ce n'est que de façon distante ou obscure. C'est cela qui nous tire, qui nous attire, même si l'on n'est pas toujours conscient de ce que c'est ni d'où cela vient. Mais qu'arrive-t-il habituellement ? Quand on sent cette attraction, on y résiste. Et pourquoi y résiste-t-on ? Parce que l'on a peur. Oh oui, dit-on, on veut l'éveil, on veut le nirvana, mais lorsqu'il s'agit vraiment d'y arriver, on ne veut pas se laisser dériver, on ne veut pas se perdre soi-même.

Nous y voilà ! Dès que l'éveil ou le nirvana nous approche, nous reculons… Nous ne voulons pas nous perdre. Mais en fait, c'est ce que nous devrions faire : nous perdre, apprendre à lâcher prise, nous abandonner. Nous abandonner à l'inconditionné.

‘The Higher Evolution’ © Sangharakshita, 1969, traduction © Centre Bouddhiste Triratna, 2002.

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  1. L'image de l'attraction gravitationnelle.
  2. Le champ gravitationnel de l'inconditionné.
  3. La moralité - naturelle et conventionnelle.
  4. Les trois sens de la méditation.
  5. Deux forces gravitationnelles.
  6. La sagesse et les six maillons.
  7. Comment atteindre l'entrée dans le courant ?
  8. Les trois entraves.