Le Vimalakirti Nirdesa.

Le Bouddha, le dharma et la sangha.

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Passons au quatrième et dernier exemple. Le bodhisattva Santendriya déclara :

« Il est dualiste de dire 'bouddha', 'dharma' et 'sangha'. Le dharma est lui-même la nature du bouddha. La sangha est lui-même la nature du dharma et chacun d'eux est non-composé (ou comme nous le disons habituellement : non conditionnés). Le non-composé est espace infini et les processus de toutes les choses sont équivalents à l'espace infini. L'ajustement à ceci est l'entrée dans la non-dualité. »

Il y a là deux paires d'opposés - bouddha et dharma et, dharma et sangha. Dharma est le terme du milieu, si l'on peut dire. Dans ce cas, dharma doit être compris dans son sens plus métaphysique, non dans le sens des enseignements réels du Bouddha, mis en mots et concepts. Compris dans le sens de vérité ou réalité ultime, dont ces enseignements sont l'expression et vers laquelle ils pointent. Le dharma, dans ce cas, est l'inconditionné même. Cet inconditionné, le Bouddha l'a réalisé. Du fait de son expérience de l'éveil, il est l'incarnation vivante de l'inconditionné. Il n'y a donc pas de dualité entre eux. De façon similaire, dans le cas de la sangha - c'est-à-dire l'aryasangha, la communauté spirituelle des bodhisattvas, arahants, ceux qui ne reviennent plus, ceux qui ne reviennent plus qu'une fois, et ceux qui sont entrés dans le courant - tous suivent la voie transcendantale. Tous, à des degrés différents, sont proches de l'inconditionné. Dans certains cas, ils ont en fait atteint l'inconditionné. Donc en principe, il n'y a pas de dualité entre eux et le dharma non plus. Donc il n'y a pas de différence entre le Bouddha et le dharma, pas de différence entre la sangha est le dharma, pas de différence, par conséquent, entre le Bouddha et le sangha, parce que les trois sont essentiellement inconditionnés. Ou plutôt sont essentiellement l'inconditionné. Le dharma est l'inconditionné même. Le bouddha est l'inconditionné, pleinement réalisé par l'individu et la sangha est l'inconditionné en cours de réalisation.

Dans ce cas, donc, le cas des deux paires d'opposés qui constituent les Trois joyaux, l'entrée dans la non-dualité est la réalisation du fait que le Bouddha, le dharma, et la sangha sont essentiellement inconditionnés. Tant que nous les voyons comme conditionnés, nous les voyons comme trois. Tant que nous les voyons comme étant l'inconditionné, nous les voyons comme un, ou même pas comme un. De ce point de vue, quand nous allons en refuge, nous nous engageons non en trois choses différentes, mais dans la seule réalité ultime, non dualiste, inconditionnée.

Tout ceci sonne de manière plutôt métaphysique, pour ne pas dire plutôt abstraite. En fait les réponses de tous les bodhisattvas à la question de Vimalakirti sonnent de manière plutôt métaphysique. J'ai en fait pris en exemple celles qui l'étaient le moins. Cependant, métaphysique ou non, le sens général des réponses des bodhisattvas est suffisamment clair. Les dualités sont créées par l'esprit. Les paires d'opposés sont créées par l'esprit, y compris les paires d'opposés qui composent les catégories doctrinales du bouddhisme lui-même. On passe la porte du dharma de la non-dualité quand on réalise que les paires d'opposés sont créées par l'esprit. Quand on réalise, par conséquent, que leur validité n'est pas ultime. Quand on réalise qu'elles ne sont pas des fins en elle-mêmes mais seulement des moyens d'arriver à une fin. Des moyens pour le développement spirituel de l'individu.

De plus, n'importe quelle paire d'opposés, quelle qu'elle soit, peut-être une porte de dharma vers la non-dualité. La dualité même est un moyen vers la non-dualité parce que la dualité entre dualité et non-dualité n'est pas ultime. Mais nous continuons à être plutôt métaphysique et, de toutes façons, avons passé suffisamment de temps avec les réponses des bodhisattvas.

Je vais maintenant suggérer quelques autres non-dualités. Elles ne sont certainement pas aussi sublimes que celle du Vimalakirti Nirdesa, mais sont sans doute plus proches de notre expérience et ainsi peuvent nous être utiles. Elles ne nous mèneront pas aussi loin dans les profondeurs de la non-dualité que les réponses des bodhisattvas, mais elles nous aideront au moins à avancer dans la direction de la non-dualité. Je les énoncerai comme le font les bodhisattvas, sous forme d'aphorismes, et j'espère qu'elles ne ramèneront personne sur terre trop durement !

Masculin et féminin sont deux. L'individualité est l'entrée dans la non-dualité.
Organisateur et organisé sont deux. La coopération est l'entrée dans la non-dualité.
Enseignant et enseigné sont deux. La communication est l'entrée dans la non-dualité.
Dieu et homme sont deux. Le blasphème est l'entrée dans la non-dualité !
Mâle et femelle sont deux. Le célibat est l'entrée dans la non-dualité.
Individu et groupe sont deux. La communauté spirituelle est l'entrée dans la non-dualité.

Je ne propose pas de commentaire à ces alternatives et vous laisse y penser.

Le silence de Vimalakirti.

Passons maintenant au silence de Vimalakirti. Ce silence a, bien sûr, une signification considérable mais nous ne pouvons comprendre cette signification pleinement, nous ne pouvons même pas commencer à la comprendre sans nous référer à la dernière réponse à la question de Vimalakirti, celle de Manjusri. Il dit :

« Mes bons Messieurs, vous avez tous bien parlé. Cependant, toutes vos explications sont elles-mêmes dualistes. Ne connaître aucun enseignement, n'exprimer rien, ne dire rien, n'expliquer rien, n'annoncer rien, n'indiquer rien et ne désigner rien. Ceci est l'entrée dans la non-dualité. »

« Toutes vos explications sont elles-mêmes dualistes, »

c'est ce qu'il leur dit. Pourquoi Manjusri dit-il ceci ? Pourquoi les explications des bodhisattvas sont-elles toutes dualistes ? Elles sont dualistes parce qu'elles sont exprimées sous forme de concepts. Les concepts sont essentiellement dualistes. Nous ne pouvons donc pas expliquer l'entrée du bodhisattva dans la non-dualité au moyen de concepts. Si nous voulons vraiment l'expliquer, nous devons nous abstenir tout à fait d'utiliser tout concept, nous devons nous abstenir de parler, nous devons rester silencieux. Cependant, afin d'expliquer ceci, Manjusri lui-même doit utiliser des concepts. Il doit parler. Il doit dire que le silence est l'entrée du bodhisattva dans la non-dualité. Il y a donc là une contradiction. L'explication de Manjusri n'est pas elle-même complètement sans dualité. Il y a encore un pas à faire, et ce pas est fait par Vimalakirti.

Quand Manjusri lui demande quelle est son explication, que fait-il ? Il reste complètement silencieux. Il met de fait en pratique ce que Manjusri n'a fait qu'exprimer en termes de concepts. Mais là une question se pose. La réponse de Vimalakirti n'est-elle pas elle-aussi dualiste ? Parole et silence sont opposés. Expliquer l'entrée du bodhisattva dans la non-dualité en terme de silence est sûrement aussi dualiste que de l'expliquer en termes de paroles, de concepts. Quelle est l'entrée dans la non-dualité dans ce cas ? La réponse est que Vimalakirti n'a pas un concept de silence. Il agit spontanément en accord avec les circonstances. C'est pour cela que son silence est significatif. Après tout, il y a silence et silence.

Dans les chapitres trois et quatre, les arahants et les bodhisattvas étaient réduits au silence par leur rencontre avec Vimalakirti, mais leur silence était celui de la stupéfaction. Le silence de Vimalakirti est celui de la compréhension, le silence de l'éveil. Vimalakirti utilise le silence, non qu'il ait un concept de l'utiliser bien sûr. Il l'utilise comme moyen pour arriver à une fin. Il l'utilise pour communiquer mais il utilise aussi la parole quand c'est nécessaire. Il ne s'en tient pas au silence. Après tout, il parle beaucoup dans le Vimalakirti Nirdesa, et la parole comme le silence ne sont certainement pas ses seuls moyens de communiquer. Il communique au moyen de merveilleux tours de magie. Les moyens de communication sont en fait infinis, comme nous le verrons prochainement. En attendant, qu'avons-nous vu ?

Nous avons vu le danger de nous fourvoyer. Nous avons vu ce que l'on entend par « porte de dharma. » Nous avons vu comment le bodhisattva passe la porte de dharma de la non-dualité. C'est-à-dire quand il utilise la parole pour transcender la parole, le silence pour transcender le silence, la dualité pour transcender la dualité. La dualité peut effectivement être utilisée pour transcender la dualité, elle peut effectivement être utilisée comme moyen vers la non-dualité parce que la dualité entre dualité et non-dualité n'est pas absolue. Et c'est là la voie des bodhisattvas, la voie de Manjusri et de Vimalakirti, c'est là la voie de la non-dualité.

The Inconceivable Emancipation - Themes from the Vimilakirti Nirdesa, © Sangharakshita, 1990, traduction © Centre bouddhiste Triratna, 2002.

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