La Prajñaparamita.

Le Ratnaguna Samcaya Gatha.

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Hommage à tous les Bouddhas et Bodhisattvas !
Sur ce, le Seigneur, afin de rendre les quatre assemblées heureuses, et d'éclairer plus encore cette perfection de la sagesse, prêcha alors les vers suivants :

Admonition préliminaire.

Suscitez autant d'amour, de respect et de foi que vous le pouvez !
Enlevez les souillures qui vous entravent, et débarrassez-vous de toutes vos tares !
Écoutez la sagesse parfaite des doux Bouddhas,
Enseignée pour le bonheur du monde, à l'intention des esprits héroïques !

La source de l'autorité de Subhuti.

Toutes les rivières de cette Île du Jamerosier,
Qui causent la croissance des fleurs, des fruits, des herbes et des arbres,
Dérivent de la puissance du roi des Nagas,
Du Dragon résidant dans le lac Anopatapta, son pouvoir magique.

Ainsi, quels que soient les Dharmas qu'établissent les disciples du Jina,
Quoi qu'ils enseignent, quoi qu'ils expliquent adroitement -
Concernant l'œuvre du saint qui mène au débordement de la félicité,
Et aussi le fruit de cette œuvre - c'est le fait du Tathagata.

Car quoi que le Jina, le Guide du Dharma, ait enseigné,
Ses élèves, s'ils sont sincères, y auront été bien formés.
Partant de l'expérience directe, dérivée de leur formation, ils l'enseignent,
Leur enseignement vient de la puissance des Bouddhas, et non de leur propre puissance.

Les enseignements fondamentaux.

Il n'y a pas de sagesse que nous puissions saisir, pas de perfection suprême,
Pas de Bodhisattva, pas non plus de pensée de l'Éveil.
Quand on lui dit cela, s'il n'est ni perplexe ni en aucune manière anxieux,
Un Bodhisattva se meut dans la sagesse du Bien-Allé.

Dans la forme, la sensation, la volition, la perception et la conscience,
Nulle part dans cela ils ne trouvent de lieu où se reposer.
Sans demeure ils errent, les dharmas ne les tiennent jamais,
Pas plus qu'ils ne les saisissent - ils sont certains d'atteindre la Bodhi du Jina.

Le voyageur Srenika, dans sa gnose de la vérité
Ne pouvait trouver de fondation, quoique les skandhas n'aient pas été défaits.
Ainsi le Bodhisattva, lorsqu'il comprend les dharmas comme il le devrait
Ne se retire pas dans un Repos Bienheureux. Il demeure alors dans la sagesse.

Qu'est-ce que cette sagesse, de qui et d'où vient-elle, demande-t-il,
Et il trouve alors que tous ces dharmas sont entièrement vides.
Sans frayeur ni peur face à cette découverte
Cet être de Bodhi n'est alors pas loin de la Bodhi.

Se mouvoir dans les skandhas, dans la forme, dans la sensation, dans la perception,
Dans la volition, et ainsi de suite, et échouer à les considérer avec sagesse ;
Ou imaginer ces skandhas comme étant vides ;
Veut dire se mouvoir dans le signe, ignorant la voie de la non-production.

Mais quand il ne se meut pas dans la forme, dans la sensation, dans la perception,
Dans la volition ou dans la conscience, et erre sans demeure,
Sans jamais être conscient d'être fermement sur le chemin de la sagesse,
Ses pensées sur la non-production - alors s'attache à lui la meilleure de toutes les extases calmantes.

Par cela, le Bodhisattva demeure maintenant tranquille en lui-même,
Sa Bouddhéité future assurée par des Bouddhas antérieurs.
Qu'il soit absorbé en extase, ou qu'il n'y soit pas, il n'y prête attention.
Car des choses telles qu'elles sont il connaît l'essentielle nature originelle.

Se mouvant ainsi, il se meut dans la sagesse des Sugatas,
Et cependant il n'appréhende pas les dharmas dans lesquels il avance.
Ce mouvement, il le connaît sagement comme un non-mouvement,
Cela est sa pratique de la sagesse, la plus haute perfection.

Ce qui n'existe pas, ce non-existant, les insensés l'imaginent ;
La non-existence autant que l'existence ils façonnent.
En tant que faits dharmiques, l'existence et la non-existence sont toutes deux non réelles.
Un Bodhisattva va de l'avant quand, avec sagesse, il sait cela.

S'il sait que les cinq skandhas sont comme une illusion,
Mais ne fait pas de l'illusion une chose, et des skandhas une autre ;
Si, libéré de la notion de choses multiples, il avance en paix,
Alors cela est sa pratique de la sagesse, la plus haute perfection.

Ceux qui ont de bons maîtres ainsi qu'une profonde vue pénétrante,
Ne peuvent prendre peur à l'écoute des profondes doctrines de la Mère.
Mais ceux qui ont de mauvais maîtres, qui peuvent être fourvoyés par d'autres,
Sont de ce fait ruinés, comme un pot non cuit qui entre en contact avec l'humidité.

Trois termes clef définis.

Quelle est la raison pour laquelle nous parlons de « Bodhisattvas » ?
Désireux d'éteindre tout attachement, et de s'en débarrasser,
Le véritable non-attachement ou la Bodhi des Jinas est leur destinée.
« Les Êtres qui s'évertuent à atteindre la Bodhi » sont-ils donc appelés.

Quelle est la raison pour laquelle les « Grands Êtres » sont appelés ainsi ?
Ils s'élèvent à la plus haute place, au-dessus d'un grand nombre de personnes ;
Et à un grand nombre de personnes ils coupent les vues erronées.
C'est pourquoi nous venons à en parler comme de « Grands Êtres ».

Grand donneur, grand penseur, grande puissance,
Il monte sur le vaisseau des Suprêmes Jinas.
Armé de la grande armure il soumettra Mara le malin.
Voilà les raisons pour lesquelles les « Grands Êtres » sont appelés ainsi.

Cette gnose lui montre tous les êtres comme étant illusion,
Ressemblant à une grande foule de gens qu'aux carrefours fait apparaître
Un magicien; qui coupe ensuite des milliers et des milliers de têtes.
Il sait que tout ce monde vivant est comme une illusion magique, et reste cependant sans peur.

La forme, la perception, la sensation, la volition, et la conscience
Sont non unies, ne sont jamais liées, ne peuvent être libérées.
La pensée sans frayeur, il marche vers sa Bodhi,
Qui, pour le plus élevé des hommes, est la meilleure de toutes les armures.

Qu'est-ce enfin que « le vaisseau qui mène à la Bodhi ? »
Monté dessus, on guide tous les êtres vers le nirvana.
Ce vaisseau est grand, vaste, immense comme l'immensité de l'espace.
Ceux qui le prennent pour voyager sont portés vers la sécurité, le bonheur et le bien-être.

La nature transcendantale des Bodhisattvas.

Transcendant ainsi le monde, il échappe à nos appréhensions.
« Il va vers le nirvana », mais personne ne peut dire où il est allé.
Un feu est éteint mais où, demandons-nous, est-il allé ?
De même, comment pouvons-nous trouver celui qui a trouvé le Repos du Bienheureux ?

Le passé du Bodhisattva, son futur et son présent doivent nous échapper,
Les trois dimensions du temps ne le touchent nulle part.
Il est tout à fait pur, libéré de toute condition, sans entrave.
Cela est sa pratique de la sagesse, la plus haute perfection.

Les sages Bodhisattvas, se mouvant ainsi, réfléchissent à la non-production,
Et pourtant, faisant cela, engendrent en eux la grande compassion
Qui, cependant, est libérée de toute notion d'être.
Ainsi pratiquent-ils la sagesse, la plus haute perfection.

Mais quand la notion de la souffrance et des êtres le conduit à penser :
« J'ôterai la souffrance, j'œuvrerai pour le bien-être du monde ! »
Des êtres sont alors imaginés, un soi est imaginé -
La pratique de la sagesse, de la plus haute perfection, manque.

Il sait sagement que tout ce qui vit est non produit comme il l'est lui-même ;
Il sait que tout ce qui est n'existe pas plus que lui ou que tout autre être.
Ce qui est non produit et ce qui est produit ne sont pas distingués,
Cela est la pratique de la sagesse, la plus haute perfection.

Tous les mots utilisés pour les choses dans ce monde doivent être laissés derrière,
Toutes les choses produites et faites doivent être transcendées -
La gnose impérissable, suprême, incomparable, est alors atteinte.
C'est le sens dans lequel nous parlons de sagesse parfaite.

Quand, libéré de doutes, le Bodhisattva continue sa pratique,
Il est connu pour demeurer habile à la sagesse.
Aucun dharma n'est réellement là, leur essentielle nature originelle est vide,
Comprendre cela est la pratique de la sagesse, suprême perfection.

Où se tiennent les Bodhisattvas.

Il ne se tient pas dans la forme, la perception ou la sensation,
La volition ou la conscience, dans aucun skandha, quel qu'il soit.
Il se tient seulement dans la seule véritable nature du Dharma.
Alors cela est sa pratique de la sagesse, la plus haute perfection.

Changement et non-changement, souffrance et bien-être, soi et non-soi,
Le ravissant et le repoussant - ne font juste qu'une Ainsité dans cette Vacuité.
Et il ne se tient donc pas dans le fruit qu'il a gagné, qui est triple -
Celui d'un Arhat, d'un Bouddha Seul, d'un Bouddha entièrement éveillé.

Le Chef lui-même ne se tenait pas dans le royaume qui est libéré de conditions,
Ni dans les choses qui ont des conditions, mais il se promenait librement sans demeure :
Comme cela, sans soutien ni base, se tient un Bodhisattva.
Une position dépourvue de base, voilà ce que cette position a été appelée par le Jina.

A quoi s'exercent les Bodhisattvas.

Ceux qui veulent devenir les disciples du Sugata,
Ou devenir des Pratyekabouddhas, ou bien des Rois du Dharma -
Sans recourir à cette Patience, ne peuvent atteindre leurs buts respectifs.
Ils avancent, mais leurs yeux ne sont pas fixés sur l'autre rive.

Ceux qui enseignent le dharma, et ceux qui écoutent quand il est enseigné ;
Ceux qui ont gagné le fruit d'un Arhat, d'un Seul Bouddha, ou d'un sauveur du monde ;
Et le nirvana atteint par les sages et les érudits -
Simples illusions, simples rêves - voilà ce que le Tathagatha nous a enseigné.

Quatre sortes de personnes ne sont pas alarmées par cet enseignement :
Les enfants du Jina habiles dans les vérités ; les saints qui ne peuvent revenir ;
Les Arhats libérés de souillures et de tares, et débarrassés de leurs doutes ;
Ceux qui sont mûris par de bons maîtres sont comptés comme la quatrième sorte.

Ainsi en chemin, le sage et savant Bodhisattva,
Ne s'exerce pas pour devenir Arhat, ni Pratyekabouddha.
Il s'exerce dans le seul Bouddha-dharma, pour la toute-connaissance.
Son exercice est un non exercice, et personne ne s'exerce à cet exercice.

L'augmentation ou la diminution des formes n'est pas le but de cet exercice.
Il n'est pas là non plus pour acquérir divers dharmas.
Seule la toute-connaissance peut-il espérer acquérir par cette formation.
Pour cela il va de l'avant quand il s'exerce à cet exercice, et se réjouit des vertus de cet exercice.

Les faits de l'existence.

Les formes ne sont pas la sagesse, la sagesse ne peut pas non plus être trouvée dans la forme,
Dans la conscience, les perceptions, les sensations ou dans la volition.
Elles ne sont pas la sagesse, et aucune sagesse ne s'y trouve.
Elle est comme l'espace, sans fêlure ni cassure.

La nature essentielle de tous les soutiens objectifs est sans limites ;
De même, la nature essentielle et originelle des êtres est sans limites.
Tout comme la nature essentielle et originelle de l'espace n'a pas de limites,
De même, la sagesse de Ceux qui connaissent le monde est sans limites.

« Perceptions » - de simples mots, nous ont dit les Chefs ;
Perceptions délaissées et parties, et la porte est ouverte pour l'Au-delà.
Ceux qui réussissent à se débarrasser des perceptions,
Ayant atteint l'Au-delà, réalisent les commandements du Maître.

Si, pendant des éternités aussi innombrables que les sables du Gange
Le Chef continuait lui-même à prononcer le mot « être » :
Tranquille, pur dès le tout début, aucun être ne pourrait jamais résulter de ses paroles.
Cela est la pratique de la sagesse, la plus haute perfection.

Conclusion.

Et, ainsi, le Jina conclut son prêche, et nous dit finalement :
« Quand tout ce que j'ai dit et fait a enfin été en accord avec la sagesse parfaite,
Alors, de Lui qui est allé avant moi, j'ai reçu cette prédiction :
"Entièrement éveillé, dans un temps futur tu seras un Bouddha !" »

© 'Wisdom beyond words' Sangharakshita, Windhorse Publications 1993, traduction © Christian Richard 2003.

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