Le noble chemin octuple 6 - L’évolution consciente de l’homme : Effort parfait
Des Moyens d’existence parfaits nous passons au sixième aspect du Noble chemin octuple, connu en sanskrit sous le nom de samyak-vyayama (en pâli : samma-vayama). Puisque le mot vyayama est généralement traduit par « effort », nous parlerons ici d’Effort parfait. Nous avons vu que les deuxième, troisième et quatrième étapes du Chemin concernent la transformation de l’individu, tandis que la cinquième étape concerne la transformation de la société dans sa totalité. Avec la sixième étape, Effort parfait, nous nous occupons de nouveau de la transformation de l’individu, et plus particulièrement de la transformation de la volonté ou de la volition de l’individu ; mais l’Effort parfait opère cette transformation ou cette transmutation contre une toile de fond très vaste. La toile de fond des Moyens d’existence parfaits est la communauté tout entière, la société dans son ensemble, mais la toile de fond de l’Effort parfait n’est rien de moins que la totalité de l’étendue de l’existence sensible, la totalité de la vie, le processus complet de l’évolution organique. Dans ce contexte, et dans le cadre général du Noble chemin octuple, l’Effort parfait représente le fait que la vie spirituelle est, en un sens, la continuation, la culmination, voire la perfection, de tout le processus de l’évolution. Pour cette raison, l’Effort parfait est parfois décrit par les termes d’évolution consciente de l’Homme.
Comme nous l’avons vu, le mot français « effort » est une traduction du mot sanskrit vyayama,et dans les langues modernes du nord de l’Inde telles que le hindi, le gujerati et le marathi, ce mot est toujours utilisé et signifie toujours l’exercice physique, et plus particulièrement la gymnastique. Par exemple, quand ceux qui parlent ces langues veulent traduire le mot français - ou plutôt grec -« gymnase », ils le traduisent par vyayamasala, ou« salle d’exercice ». Nous commençons ainsi à avoir une idée de la connotation de ce mot. Cette étape de samyak-vyayama, ou d’Effort parfait, attire notre attention sur un point très important : la vie spirituelle est une vie active. La vie spirituelle ne se vit pas dans un fauteuil. Au contraire, c’est une vie active, et même dynamique. Mais cette activité, cette action, ne sont pas nécessairement physiques. Que la vie spirituelle soit une vie active ne signifie pas qu’il vous faut sans cesse courir à droite et à gauche, « faisant beaucoup de choses » de façon grossière, externe, physique ; mais cela signifie certainement qu’il vous faut être mentalement, spirituellement et même esthétiquement actif. En fait,cette étape du Chemin octuple se préoccupe de l’élément de ce que nous pourrions appeler l’athlétisme spirituel, qui est un trait marquant et caractéristique du bouddhisme.
En généralisant, on peut dire que le bouddhisme est destiné aux actifs. Il n’est pas fait pour les estropiés mentaux ou ceux qui sont spirituellement alités. Le bouddhisme est destiné aux gens qui sont prêts à faire un effort, qui sont prêts à essayer. Bien sûr vous pouvez échouer. Vous pouvez échouer dix fois, vingt fois, cent fois même - mais cela n’a pas beaucoup d’importance. La chose importante est que vous fassiez un effort, que vous essayiez. Le bouddhisme n’est pas fait pour ceux qui ne sont prêts qu’à s’asseoir confortablement dans leur fauteuil et à lire tout ce qui se rapporte aux efforts des autres. Vous connaissez ce genre de choses : vous prenez La vie de Milarépa et vous vous installez au coin du feu, avec peut-être une tasse de thé et une assiette de petits gâteaux, et vous buvez votre thé à petites gorgées et croquez vos petits gâteaux ; vous êtes bien au chaud et à l’aise, et vous lisez les austérités de Milarépa et pensez : « Comme c’est beau ! », et « Comme c’est merveilleux ! »
Le bouddhisme n’est pas comme cela. Il ne s’agit pas seulement de lire ce qui concerne les efforts des autres, mais d’être préparé à faire soi-même un minimum d’efforts. Pendant longtemps une fausse image du bouddhisme a prévalu dans les cercles bouddhistes, en Occident. L’impression était que le bouddhisme était tout d’abord destiné aux vieilles dames - et quand je dis vieilles dames je ne manque pas de respect envers nos dames âgées, qui ne sont pas nécessairement des vieilles dames dans le sens du terme que j’utilise ici. Je pense aux vieilles dames des deux sexes et de tout âge. Loin d’être destiné aux gens répondant à cette description, le bouddhisme est une Voie difficile et exigeante, et en tant que tel il est destiné aux personnes jeunes et vigoureuses - qu’elles soient mentalement et physiquement jeunes, ou qu’elles soient au moins mentalement et spirituellement jeunes, quels que soient leur âge et l’état de leur corps.
L’Effort parfait a deux aspects. Il y a un Effort parfait général, et un Effort parfait spécifique. Quoique la sixième partie ou étape du Noble chemin octuple concerne spécifiquement l’Effort parfait, un certain degré d’effort est nécessaire pour chacune des étapes du Chemin. Nous ne devons pas penser que puisqu’une étape particulière est appelée Effort parfait, on peut entreprendre les autres étapes sans aucun effort. Un élément d’effort ou d’ardeur est nécessaire pour toutes les parties du Chemin ; c’est ce que signifie Effort parfait général.
Les Quatre efforts
L’Effort parfait spécifique, représenté par la sixième étape du Chemin, consiste en un ensemble d’exercices qui doivent être pratiqués dans cette étape. Ces exercices sont connus sous le nom des Quatre efforts. Les Quatre efforts parfaits - ainsi qu’ils sont aussi appelés - consistent à prévenir, éradiquer, développer, et maintenir, et leurs objets communs sont les bonnes et mauvaises pensées ou, comme nous le disons dans le bouddhisme, les états mentaux favorables et défavorables. Prévenir est l’effort consistant à empêcher l’apparition, dans notre esprit, des pensées ou états mentaux défavorables quine sont pas encore apparus. De façon similaire, éradiquer signifie faire disparaître de notre esprit les états mentaux défavorables qui y sont déjà présents. Développer signifie développer dans notre esprit les états mentaux favorables qui n’y sont pas encore, tandis que maintenir signifie maintenir dans notre esprit les états mentaux favorables qui y existent déjà. L’Effort parfait est donc avant tout psychologique. Il consiste en un effort inlassable sur soi et sur son esprit par les moyens de prévenir, éradiquer, développer et maintenir.
Cette classification est donnée comme une incitation et un rappel, car il est très facile de se relâcher. Les gens commencent avec beaucoup d’enthousiasme : ils sont tout à fait pour le bouddhisme, pour la méditation, pour la vie spirituelle ; mais très souvent, cela passe rapidement. L’enthousiasme s’éteint, et après quelque temps c’est presque comme si rien ne s’était passé. C’est parce qu’en nous les forces de l’inertie, les forces qui nous retiennent et nous limitent, sont vraiment très fortes - même pour des choses simples comme se lever tôt le matin pour méditer. Vous pouvez avoir pris la résolution de vous lever une demi-heure plus tôt, et vous pouvez réussir une ou deux fois, peut-être trois ; mais le quatrième matin la tentation se sera presque sûrement installée, et une sérieuse lutte, un sérieux conflit mental prendra place pour décider si vous vous levez ou si vous restez quelques minutes de plus dans ce lit chaud et confortable. Bien sûr, vous êtes presque toujours le perdant, parce qu’en nous les forces de l’inertie sont si fortes. Il est si facile pour l’enthousiasme de diminuer, de s’affaiblir et de disparaître.
Avant de discuter en détail ces Quatre efforts il y a une observation très importante à faire. Nous ne pouvons même pas commencer à prévenir, éradiquer,développer ou maintenir sans que pour commencer nous nous connaissions, c’est-à-dire sans que nous sachions dans quelle direction va notre esprit, ou ce qu’il contient. Et nous connaître demande une grande honnêteté - au moins, une grande honnêteté avec nous-mêmes. Il ne faut pas s’attendre à ce que nous soyons complètement honnêtes avec les autres, mais en ce qui concerne les Quatre efforts au moins nous devrions être honnêtes avec nous-mêmes (ceux qui trouvent surprenant qu’on attende pas de nous une honnêteté complète avec les autres devraient se demander s’ils réalisent combien cela est difficile. Je me souviens d’avoir lu que la première chose dont on devient conscient lorsque l’on s’assied pour écrire son autobiographie est l’ensemble des choses que l’on ne va pas dire, et ceci est très vrai. Il nous est suffisamment difficile d’être honnête avec nous-même, sans parler d’être honnête avec les autres !)
Si nous voulons pratiquer les Quatre efforts nous devons au moins essayer de nous voir comme nous sommes vraiment, afin que nous sachions ce qui doit être prévenu, ou éradiqué, ou développé, ou maintenu. La plupart d’entre-nous avons notre propre image rêvée de nous-mêmes. En fermant nos yeux nous nous voyons comme dans un miroir et pensons : « Comme c’est beau ! Comme c’est noble ! » C’est l’image hautement idéalisée que la plupart du temps nous avons de nous-mêmes. Non pas un être humain doué, peut-être, de toutes les vertus, ni tout à fait parfait, mais un être humain vraiment chaleureux, aimable, sympathique, intelligent, gentil, bien intentionné, honnête, industrieux - voilà ce que généralement nous voyons. Ce que nous devons essayer de développer, ce que nous devons exiger, ce pour quoi nous devons presque prier, c’est, dans les mots du poète, la grâce « de nous voir tel que les autres nous voient » ; et nous voir tel que les autres nous voient n’est pas facile. Nous devons faire un inventaire mental de nos propres états mentaux favorables et défavorables - nos propres« vices » et « vertus ». Quoiqu’il n’y ait pas ici d’absolus moraux, nous devons au moins comprendre notre propre esprit, ou nos propres qualités et états mentaux, très sérieusement et honnêtement, avant que nous ne puissions même penser à nous dédier à la pratique des Quatre efforts. Sans cela nous ne saurons pas comment procéder, et aucune amélioration véritable, aucun développement véritable ne sera possible.
1. Prévenir l’apparition d’états mentaux défavorables non apparus
Comme nous l’avons vu, un état mental défavorable est un état mental qui est contaminé par l’avidité ou le désir égoïste, par la haine, ou par l’illusion, la confusion mentale, la perplexité et le manque de perspective. Une pensée est dite défavorable lorsqu’elle apparaît en association avec un ou plusieurs de ces facteurs ou états mentaux défavorables. Si l’on se demande d’où proviennent ces pensées défavorables - et nous devons savoir d’où elles viennent si nous voulons les éradiquer - la réponse est que leur source immédiate (nous ne nous intéressons pas, pour le moment, à leur source ultime) est les sens.
Dans le bouddhisme il y a six sens : les cinq sens physiques plus l’esprit,qui est considéré comme le sixième sens. L’esprit est l’esprit ordinaire avec lequel nous vivons notre vie. Des états mentaux défavorables apparaissent quand, par exemple, vous marchez dans la rue et, remarquant quelque chose de vif et coloré dans la vitrine d’un magasin, vous pensez tout de suite : « J’aimerais avoir cela ! » De cette façon, à travers l’organe de l’œil apparaît l’avidité ou le désir. Parfois, simplement, nous nous rappelons quelque chose. Nous sommes calmement assis, seul, et le souvenir de quelque chose que nous avons eu, ou apprécié, ou pensé, nous passe par l’esprit - nous ne savons pas d’où - et avant que nous ne réalisions ce qui se passe nous sommes pris au piège de l’avidité, de la haine, ou de la peur.
Afin, donc, d’empêcher les pensées défavorables non apparues d’entrer dans notre esprit, voire d’en prendre possession et de le dominer, il est nécessaire d’avoir recours à ce qui est connu dans le bouddhisme sous le nom de vigilance ou de prise de conscience à l’égard des sens, en particulier de l’esprit. Cela s’appelle traditionnellement « garder les portes des sens ». Les sens sont ici représentés comme étant les portes d’une maison. Si vous voulez empêcher quelqu’un d’entrer dans la maison, vous postez un garde à l’entrée pour examiner l’identité de tous ceux qui se présentent. De façon similaire,vous observez les portes des six sens et vous essayez de voir quelles impressions, quelles pensées ou idées se présentent et cherchent à entrer, et de cette façon vous empêchez l’ennemi d’entrer. La vigilance ou la prise de conscience concernant le fonctionnement des sens physiques et de l’esprit inférieur doit être pratiquée sans arrêt. Comme nous le savons tous par expérience, les pensées défavorables nous prennent toujours au dépourvu :nous ne les voyons même pas venir, nous ne les voyons pas passer la porte.Avant que nous sachions où nous sommes elles sont au cœur de notre esprit -assises dans la maison, si l’on peut dire, très à l’aise - et nous nous demandons comment elles sont entrées ! Eh bien, elles sont entrées par la porte. Elles sont entrées par l’un ou l’autre des six sens. Voilà pourquoi nous devons garder les portes des sens si nous voulons laisser au-dehors les pensées défavorables.
2. Éradiquer les états mentaux défavorables apparus
Concernant l’éradication des états mentaux défavorables qui sont déjà présents dans l’esprit, nous pouvons parler des pensées défavorables en termes des Cinq obstacles, un enseignement bouddhique bien connu. Les Cinq obstacles sont la convoitise des choses matérielles, la malveillance, l’agitation et l’anxiété, la paresse et la torpeur, et le doute et l’indécision.
(a) L’obstacle de la convoitise des choses matérielles
Comme elle comprend le désir de choses telles que la nourriture, les vêtements et l’abri, la convoitise des choses matérielles est une avidité vraiment très forte. Tout va bien tant que nous restons dans certaines limites, mais ce n’est généralement pas le cas. Nous voulons généralement plus de choses matérielles qu’il n’est vraiment nécessaire, et de cette façon la convoitise échappe à tout contrôle. De simple moyen de vivre et de fonctionner dans le monde, les choses matérielles deviennent un véritable obstacle à toute espèce de vie mentale ou spirituelle plus élevée — voire un obstacle à la vie culturelle.
(b) L’obstacle de la malveillance
Cet obstacle consiste en la malveillance sous toutes ses formes, brutes ou subtiles : antagonisme, agressivité, antipathie, voire indignation justifiée. Pas plus tard qu’hier une femme vint dans notre centre et essaya de nous donner un petit tract sur le Messie. Nous ne pûmes nous empêcher d’entrer en conversation avec elle, et après un moment nous en vînmes à parler de la Bible. Elle nous demanda ce que nous pensions de Jésus. Nous répondîmes que nous le respections et même l’admirions, mais qu’il y avait certaines choses,dans les Évangiles, que nous ne comprenions pas bien. L’une d’entre-elles étaitla façon dont Jésus semblait se mettre en colère contre les marchands du temple, et les mettait dehors. Elle dit que cela était de l’indignation justifiée, et que cela ne pouvait pas être appelé de la colère. Je dis que les bouddhistes croient généralement qu’un homme parfait ne fait preuve ni d’avidité, ni de colère, ni d’aucune chose telle que cela, mais à cela elle répondit que le Christ était Dieu, et qu’avec Dieu c’était différent.
Malheureusement, comme je le montrai à cette femme, l’indignation justifiée est le début d’une pente savonneuse, et qu’elle ait ou non été manifestée par le Christ lui-même elle a ouvert la voie, dans l’Europe chrétienne, à toutes sortes de développements malheureux sous la forme de persécutions religieuses, de l’Inquisition, des Croisades, etc. Le bouddhisme dirait que tous ces phénomènes peu plaisants, qui nous sont suffisamment familiers par notre étude de l’histoire, sont des formes de violence, laquelle est elle-même une manifestation de l’obstacle de la malveillance. Au lieu d’essayer de rationaliser les obstacles nous devrions essayer d’être honnêtes avec nous-mêmes et de voir ce que sont réellement nos états mentaux.
(c) L’obstacle de l’agitation et de l’anxiété
L’obstacle de l’agitation et de l’anxiété est très évident dans la société occidentale moderne. Vous pourriez difficilement dire que la société occidentale moderne est paisible, ou qu’elle est calme et placide. Il vous faudrait dire qu’elle est remuante, agitée, anxieuse, voire tourmentée - et la plupart des gens que vous rencontrez sont comme cela. Ils ne donnent pas une impression de tranquillité. Avec très peu d’entre eux sentez-vous que vous pourriez vous asseoir à côté d’eux et être en paix. La plupart des gens sont dévorés par le souci, l’anxiété, l’agitation, et la précipitation. Il semble parfois impossible de simplement s’asseoir tranquillement, ne serait-ce que quelques minutes. Quand on essaie de méditer, il y a le bruit de la circulation et des gens qui passent en se hâtant. Selon le bouddhisme, l’agitation, le souci, l’anxiété, la précipitation de toutes sortes sont un obstacle. Cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas parfois faire certaines choses vite, mais ceci est une chose très différente d’un état mental d’agitation où l’on passe sans arrêt d’une chose à l’autre car rien ne satisfait réellement, et que l’on ne sait pas où se tourner pour trouver quelque chose qui satisfasse.
(d) L’obstacle de la paresse et de la torpeur
L’obstacle de la paresse et de la torpeur pourrait aussi être décrit comme l’inertie et la stagnation - ou comme le fait de devenir raide et sec. Les gens qui sont dans cet état sentent que rien n’a d’importance. « Pourquoi faire un effort ? Cela n’a rien à voir avec moi. Laissons juste les choses aller à la dérive. » De nos jours c’est une attitude très commune. C’est fréquemment une réaction à l’agitation et à l’anxiété, mais même dans ce cas c’est un obstacle. Les gens essayent souvent de le rationaliser. Certaines personnes que vous trouvez calmes et tranquilles peuvent simplement être en train de stagner - tout comme d’autres que vous trouvez occupées et actives peuvent simplement être agitées.
(e) L’obstacle du doute et de l’indécision
L’obstacle du doute et de l’indécision est l’incapacité, voire le manque de volonté, à réfléchir sérieusement aux choses et à arriver à une conclusion précise, à une décision nette. C’est le refus de prendre une décision et de s’y tenir, le refus d’adopter une ligne d’action nette, ou d’adopter une attitude concrète déterminée.
Voici donc les Cinq obstacles, et lorsque nous parlons d’éradiquer les états mentaux défavorables apparus nous parlons essentiellement de nous débarrasser de la convoitise des choses matérielles, de la malveillance, de l’agitation et de l’anxiété, de la paresse et de la torpeur, et du doute et de l’indécision.
Dans le bouddhisme l’esprit, ou la conscience, est souvent comparé à l’eau. L’eau dans son état naturel est pure, transparente et scintillante ; mais elle peut être contaminée de diverses façons. De manière similaire, l’esprit, qui est aussi pur par nature, peut être souillé par les Cinq obstacles. Dans la littérature bouddhique, l’esprit qui est plein de convoitise est comparé avec de l’eau dans laquelle diverses couleurs - rouge, bleu, vert, jaune - ont été mélangées. Il y a une certaine beauté, mais la pureté de l’eau - et de l’esprit - a été perdue. L’esprit qui a succombé à la malveillance est comparé à de l’eau qui, ayant atteint son point d’ébullition, siffle, bouillonne et produit de la vapeur (de façon significative, on parle en anglais de « dégager de la vapeur » quand on est en colère). De la même façon, l’esprit qui est troublé par l’agitation et l’anxiété est comme de l’eau sur laquelle un fort vent a formé des vagues, tandis qu’un esprit saisi par la paresse et la torpeur est comme un étang obstrué par de mauvaises herbes. Quant à l’esprit sous l’influence du doute et de l’indécision, il est comme une eau pleine d’une boue noire et malodorante.
Mais comment nettoie-t-on et purifie-t-on l’eau ? Comment se débarrasse-t-on des Cinq obstacles et éradique-t-on tous les états mentaux défavorables qui sont apparus ? Dans le bouddhisme, quatre méthodes sont traditionnellement recommandées, et sont habituellement essayées dans l’ordre dans lequel je vais maintenant les décrire.
La première méthode consiste à considérer les conséquences de l’état mental défavorable. Si vous vous laissez aller à la colère, que peut-il se passer ? Vous pouvez parler avec colère, parler durement, et ceci peut amener désagrément et incompréhension. Si vous êtes très en colère, vous pouvez même frapper quelqu’un. Vous pouvez même tuer quelqu’un. C’est le résultat logique de la colère si elle n’est pas maîtrisée et contrôlée. Réfléchissez donc aux conséquences de l’état mental défavorable. C’est la première méthode, et elle peut être appliquée à n’importe lequel des obstacles. Dans le cas de la paresse et de la torpeur, par exemple, vous pouvez penser que si vous continuez à stagner vous ne ferez aucun progrès ou n’arriverez nulle part. En fait, vous perdrez tout ce que vous avez déjà gagné, que ce soit matériellement ou spirituellement.
La seconde méthode consiste à cultiver l’opposé. Tout état mental malsain a une contrepartie positive saine. Si, en vous examinant, vous trouvez que votre esprit est dominé par l’état mental défavorable de la haine - si vous n’aimez pas les gens, si vous ne vous entendez pas bien avec eux, et ne pensez pas de bien d’eux - alors cultivez l’opposé de la haine, qui est l’amour, au sens spirituel. Pratiquez le maitri-bhavana, le développement de l’amour bienveillant. La haine et l’amour ne peuvent exister simultanément dans l’esprit. Si la haine y est, l’amour ne peut y être. Si l’amour est introduit, la haine doit partir.
La troisième méthode consiste à simplement laisser passer les pensées défavorables, sans y attacher trop d’attention. On pense : « L’esprit est comme le ciel, et les pensées défavorables sont comme les nuages. Elles viennent, et elles s’en vont. » Ne vous laissez pas trop troubler par elles, ou emporter par elles. Ne vous frappez pas la poitrine, ou ne soyez pas excessivement conscients d’elles. Laissez-les juste partir, laissez-les passer, laissez-les partir à la dérive. Cultivez envers elles une attitude « de témoin », les observant simplement d’une manière détachée et pensant que, puisqu’elles sont venues de l’extérieur dans notre esprit et n’ont rien à faire avec vous, elles ne sont pas, en fait, vos propres pensées. Si vous faites cela pendant assez longtemps, les pensées défavorables devraient normalement partir.
Si ces trois méthodes ne réussissent pas il y en a une quatrième : la suppression par la force. Le Bouddha dit que si vous ne pouvez pas vous débarrasser d’un état mental défavorable par une des méthodes ci-dessus, alors faites-le par la force. Serrez les dents, et par un effort de volonté, supprimez-le. Remarquez que nous avons dit « supprimez » et non pas« réprimez ». La répression est un processus inconscient, alors qu’ici vous agissez tout à fait consciemment. Vous savez ce que vous faites, et pourquoi ; ainsi, toutes les terribles conséquences résultant de la répression dont nous parlent les psychologues ne se produiront pas quand, en dernier ressort, vous avez recours à cette méthode.
Mais que faire si ces quatre méthodes standard d’éradication des pensées mentales défavorables échouent ? Parfois il se peut que même lorsque vous serrez les dents et essayez de la supprimer, la pensée défavorable ne s’en va pas. Elle rejaillit dès que la pression sur elle est enlevée, tout comme l’herbe lorsque s’en va le pied qui l’écrase. Quand cela arrive, que peut-on faire ? Reste-t-il, en fait, quelque chose que l’on puisse faire ? Si vous vous situez dans un contexte purement psychologique il n’y a rien du tout que vous puissiez faire ; mais si vous vous situez dans un contexte religieux ou spirituel - bouddhique dans le cas présent - il reste une toute dernière chose que vous pouvez faire. Les grands maîtres de la vie spirituelle nous disent que, si toutes ces méthodes échouent, et si vous ne pouvez vous débarrasser des obstacles, aussi fort que vous ayez essayé, alors la seule chose qu’il reste à faire est d’Aller en refuge dans le Bouddha, avec votre échec, et d’y laisser la question s’y reposer.
3. Développer les états mentaux favorables non encore apparus
Développer les états mentaux favorables qui ne sont pas encore apparus dans notre esprit n’est pas seulement « avoir de bonnes pensées » dans le sens ordinaire. Cela signifie développer des états d’être et de conscience plus élevés, transformer la qualité de toute notre existence personnelle. Cette transformation est possible avec l’aide de la méditation - non pas la méditation en elle-même, mais la méditation pratiquée dans la totalité du contexte de la vie spirituelle. Dans le bouddhisme, la méditation est techniquement appelée bhavana, qui signifie littéralement « faire devenir », ou « développement ». Le véritable but de la méditation n’est pas seulement la concentration de l’esprit : ceci n’est qu’un préliminaire. Le véritable but de la méditation est de transformer la conscience - de faire de soi un type d’être plus élevé que ce que l’on était avant de commencer à méditer.
Le progrès dans la méditation - le progrès dans l’atteinte d’états d’être plus élevés - est marqué ou mesuré par l’atteinte de ce que l’on appelle les dhyanas (en pâli : jhanas). Il y a quatre de ces dhyanas, ou états élevés d’être et de conscience, chacun étant plus élevé que celui qui le précède ; et bien entendu, ils sont très difficiles à décrire. Dans la littérature bouddhique, et en particulier dans l’Abhidharma, on en a des analyses, on a des descriptions des facteurs mentaux qui y sont impliqués, mais cela ne nous aide pas réellement à nous en faire une impression ou à savoir à quoi ils ressemblent. Il se peut qu’une description poétique ou qu’une évocation de ces états de conscience plus élevés nous soit d’une plus grande aide, et heureusement pour la faiblesse humaine le Bouddha lui-même donne une belle comparaison de chacun des quatre dhyanas. En fait, dans toute la littérature bouddhique, on trouve un grand nombre de comparaisons belles et frappantes, un grand nombre d’entre-elles remontant sans doute au Bouddha lui-même. Personnellement, je trouve que cet aspect de la méthode d’enseignement du Bouddha n’est pas assez souligné. Vous ne devez pas croire que le Bouddha était sec et analytique. Il présentait souvent son enseignement dans des termes purement poétiques et imaginatifs, termes qui communiquent parfois l’esprit de cet enseignement avec plus de succès que les descriptions plutôt analytiques sur lesquelles certains de ses disciples ont eu plus tard tendance à se concentrer.
La comparaison du premier dhyana ou état méditatif élevé est celui de la poudre de savon mélangée avec de l’eau. Un assistant aux bains, dit le Bouddha, prend une assiette de poudre de savon, et mélange cette poudre avec de l’eau. Il pétrit les deux ensemble jusqu’à former une boule de savon dont toutes les particules sont saturées d’eau. En même temps il n’y a pas une goutte d’eau en plus de ce qui est nécessaire pour saturer la boule. De cette manière, dans le premier dhyana la totalité de l’être psychologique est saturée de conscience élevée. Rien ne déborde, et il n’est pas une particule de l’être qui ne soit imprégnée. Ceux d’entre-vous qui ont fait l’expérience de cet état, ou qui en ont eu un avant-goût, sauront ce que cela signifie. C’est comme si votre être ordinaire était pénétré et envahi par un élément plus élevé. « Vous »êtes toujours là, mais vous êtes complètement imprégné par quelque chose d’une nature plus élevée.
Comme comparaison du second dhyana le Bouddha nous demande d’imaginer un beau lac empli d’eau jusqu’aux bords. Ce lac est alimenté par une source souterraine, de façon à ce que de l’eau fraîche y monte sans cesse en bouillonnant. Ainsi, dans le second dhyana, il bouillonne des profondeurs de l’esprit pur et transparent quelque chose de plus pur, quelque chose d’actif et de dynamique - comme si vous aviez capté quelque inépuisable source d’inspiration.
Comme comparaison du troisième dhyana, le Bouddha, devenant encore plus poétique, nous demande d’imaginer un lotus croissant dans l’eau. Ce lotus n’est pas seulement imprégné de l’eau dans laquelle il croît ; il est en même temps complètement immergé dans l’eau, entouré d’eau, et l’eau est ainsi à lafois au-dedans et au-dehors. De façon similaire, dans le troisième dhyana vous êtes non seulement envahi par l’état de conscience élevé, mais contenu enlui ; vous vivez en lui comme dans votre élément naturel, et en tirez force et nourriture.
La comparaison du Bouddha pour le quatrième dhyana est celle d’un homme qui s’enroule dans un tissu blanc et pur après avoir pris un bain rafraîchissant par une chaude journée, alors qu’il était fatigué et couvert de poussière. Tout comme le tissu blanc et pur enveloppe complètement l’homme, dans le quatrième dhyana l’état de conscience élevé vous entoure complètement, vous protégeant et vous isolant du contact du monde extérieur. Vous y êtes hermétiquement scellé,et bien que vous ne soyez pas sans communication avec le monde extérieur, tant que vous restez dans le quatrième dhyana aucune chose extérieure ne peut vous affecter.
Quoique avec l’atteinte du quatrième dhyana nous soyons allés assez loin,la tradition bouddhique parle de quatre états de conscience qui en un sens sont plus élevés encore. Ce sont les quatre « sphères sans forme ». Quoique parfois appelées « les quatre dhyanas sans forme », les quatre sphères sans forme sont en fait des subdivisions - ou des affinements successifs - du quatrième dhyana. A la différence des quatre dhyanas elles sont décrites en termes exclusivement conceptuels. Tout d’abord vient la « sphère de l’espace infini ». Y réfléchir a pour effet d’élargir l’esprit et de le transporter au-delà de ses frontières naturelles. On y fait l’expérience d’une infinité absolue, sans limites, sans barrières, sans obstacles. Au-delà de la« sphère de l’espace infini » se trouve la « sphère de la conscience infinie », où l’on réalise que l’esprit lui-même est infini. Loin d’être confiné au corps il est de même étendue que l’espace infini et est donc capable de s’étendre sans limites dans toutes les directions. La troisièmes phère sans forme est la « sphère de nulle chose » ou « sphère de non-particularité », qui n’est pas un état de vide mais une expérience dans laquelle, quoique les choses soient présentes, il n’est pas vraiment possible de distinguer une chose d’une autre. Dire qu’il y a une unité sous-jacente est une façon très sommaire de le décrire. Les choses perdent leurs limites précises, et ne sont plus mutuellement exclusives. La quatrième sphère sans forme, la « sphère de ni perception, ni non-perception »,est complètement au-delà de toute expression. Il n’y a pas de perception du fait de la subtilité extrême de l’objet, et pas de non-perception car le sujet,bien que n’étant pas moins subtil, est cependant toujours là. La dualité sujet-objet a été pratiquement transcendée.
Voilà donc les quatre dhyanas et les quatre « sphères sans forme », dont l’atteinte successive constitue un progrès dans la méditation, ou le développement d’états mentaux favorables non encore apparus.
Au cas où quelqu’un se demande pourquoi nous parlons de la méditation et des états de conscience plus élevée dans le chapitre consacré à l’Effort parfait et non dans celui de la huitième étape du Noble chemin octuple, la Samadhi parfaite, je dois expliquer que la méditation a deux aspects. Il y a celle qui dépend d’un effort conscient, et celle qui apparaît spontanément, résultat naturel de notre vie spirituelle plus élevée. C’est la première de celle-ci, la méditation avec effort, qui nous intéresse ici, et qui en pratique est la méditation. C’est bien parce que la méditation demande tant d’efforts,et qu’elle est, en fait, la manifestation majeure de l’effort dans le contexte de la vie spirituelle et du Chemin octuple, qu’elle est incluse ici en tant que partie de l’Effort parfait.
4. Maintenir les états mentaux favorables apparus
Ayant prévenu et éradiqué les états mentaux négatifs, et développé des états mentaux positifs, nous devons maintenant maintenir les états de conscience élevés que nous avons développés. Il est très facile de faire marche arrière. Si nous arrêtons notre pratique ne serait-ce qu’un jour ou deux nous pouvons bien nous retrouver où nous avons commencé, plusieurs mois auparavant. La régularité est donc essentielle. Si nous abandonnons après avoir atteint un certain niveau et ne faisons plus d’effort, le résultat est que nous reculons de ce niveau même. Si, cependant, nous continuons à faire un effort, nous finirons par atteindre un niveau d’où il est impossible de régresser. Pour la plupart d’entre-nous ce niveau est très éloigné, et tant que nous ne l’avons pas atteint nous devons constamment être sur nos gardes afin de maintenir ce que nous avons développé.
L’arrière-plan de l’Effort parfait
Ayant examiné l’Effort parfait,voyons maintenant le contexte, où l’arrière-plan dans lequel il est pratiqué.Tout comme le contexte des Moyens d’existence parfaits est la communauté tout entière, de façon similaire le contexte de notre pratique de l’Effort parfait est la totalité du processus de l’évolution. Examiner l’Effort parfait dans ce contexte devrait rendre clair le fait que la vie spirituelle est une phase particulière du processus d’évolution, et qu’il constitue ce qu’ailleurs j’ai appelé l’évolution supérieure.
Sous beaucoup d’aspects, le concept d’évolution est le concept moderne dominant. Émergeant du domaine de la biologie, il a rapidement été étendu à tous les autres domaines de la connaissance, et l’on parle maintenant de l’évolution du système solaire, de l’évolution des arts, de l’évolution de la religion, et ainsi de suite. Comme le dit Julian Huxley, « les différentes branches de la science se combinent pour démontrer que l’univers dans son ensemble doit être considéré comme un processus gigantesque, un processus de devenir, d’atteinte de nouveaux niveaux d’existence et d’organisation, processus qui peut à proprement parler être appelé une genèse ou une évolution ». Puisque l’homme fait partie de l’univers, puisqu’il fait partie de la nature, l’homme aussi est en processus de devenir, l’homme aussi est constamment en train d’atteindre de nouveaux niveaux - et pas seulement de nouvelles formes - d’existence et d’organisation. Loin d’avoir été créé tout d’un coup, comme les gens le pensaient autrefois, l’homme a évolué - et est toujours en train d’évoluer.
Tout phénomène évoluant peut être étudié de deux façons : en termes de passé et en termes d’avenir,génétiquement ou téléologiquement. Supposons donc que nous regardions ce phénomène qu’est l’homme au meilleur de lui-même : un être humain conscient et conscient de lui-même, qui est intelligent, sensible et responsable. Nous pouvons tenter de comprendre l’homme en termes d’où il a évolué, ainsi qu’en termes de vers quoi il va - ou du moins pourrait - évoluer. La première chose - d’où nous avons évolué - constitue l’évolution inférieure.C’est le sujet de la science, en particulier de la biologie et de l’anthropologie. La seconde - ce en quoi nous nous développerons ou pouvons nous développer -constitue l’évolution supérieure. C’est le domaine des religions supérieures ou universelles, et particulièrement du bouddhisme.
La relation entre évolution inférieure et évolution supérieure est très bien expliquée à l’aide du schéma ci-dessus. Le point marqué 2 au milieu de la ligne représente l’être humain conscient et conscient de lui-même. Le bas de la ligne, du point 0 jusqu’au point 2, représente l’évolution inférieure. Le haut, au-dessus du point 2, représente l’évolution supérieure. Chacune de ces deux sections, de 0 à 2 et de 2 à l’infini, peut elle-même être divisée. Le point 1, entre les points 0 et 2,est le point où émerge une conscience humaine rudimentaire. C’est le point où l’animal devient, ou au moins commence à devenir homme - un événement qui est arrivé iln’y a pas si longtemps (la distance relative entre les points n’a, bien entendu, aucune relation avec les durées concernées). Le point 3, entre lepoint 2 et l’infini, représente le point où la prise de conscience transcendantale commence à émerger. C’est le point d’Entrée dans le courant, oude non-régression ou d’irréversibilité - ou même de Vision parfaite, au moinsd ans sa forme rudimentaire.
En montant le long de notre ligne, 0 représente le point de départ de tout le processus d’évolution. En termes de physique ce pourrait être ce qu’on appelle le big-bang ; pour la biologie ce pourrait être l’émergence des formes de vie les plus simples. Le point 1 représente le moment où émerge la conscience humaine. Le point 2 est le moment où émerge la conscience de soi, ou prise de conscience - la plupart d’entre-nous sommes encore un peu en dessous de ce point, quoique certains soient un petit peu au-dessus. Le point 3 représente le moment où émerge la prise de conscience transcendantale, dans le sens de prise de conscience de la Réalité. C’est l’étape de conversion dans le vrai sens. C’est le point de non-retour. Le symbole de l’infini vers lequel pointe notre flèche représente le nirvana, l’Éveil, ou la bouddhéité.
Les points 1, 2 et 3 divisent notre flèche en quatre sections, désignées non pas par des chiffres mais par des lettres. La section A représente ce qui peut être appelé l’état infra-humain de l’évolution, comprenant les mondes minéral et végétal, et le monde animal à l’exclusion de l’homme. La section B représente l’état humain, primitif autant que civilisé. La section C représente ce que l’on pourrait appeler l’état ultra-humain de l’évolution. C’est ici que l’on trouve les arts, les sciences, la culture et les religions inférieures. Enfin, la section D représente l’état supra-humain ou trans-humain. Notre flèche couvre ainsi le processus de l’évolution tout entier, des formes de vie les plus simples jusqu’à l’homme - l’homme non éveillé - et au-delà jusqu’au Bouddha ou homme Éveillé. La science et la religion, l’évolution inférieure et l’évolution supérieures ont comprises dans un même mouvement de grande ampleur, et ceci est une perspective pleine d’inspiration et de vigueur. En fermant les yeux, on peut voir tout le processus de croissance et d’efflorescence, passant, de ses premiers pas, au travers d’innombrables états et étapes successifs. On peut voir la longue, lente et douloureuse ascension de la vie qui culmine - pour l’instant du moins - dans l’homme.
L’Effort parfait en tant qu’évolution consciente
L’Effort parfait est, bien entendu, la sixième étape du Noble chemin octuple, et le Noble chemin octuple correspond, à strictement parler, à la quatrième partie du processus d’évolution - à la partie correspondant à la section D de notre ligne. Dans un sens plus large, comprenant ce que l’on pourrait appeler le Chemin octuple mondain aussi bien que transcendantal, il correspond à tout le processus de l’évolution supérieure, c’est-à-dire à l’état représenté par les sections C et D de la ligne. En tant que tel il inclut même nos tentatives relativement timides de suivre le Chemin octuple.
Ainsi que le suggère notre schéma, l’évolution inférieure et l’évolution supérieure sont en un sens continues ; mais dans un autre sens elles ne le sont pas. Il y a en fait d’importantes différences entre elles. Alors que l’évolution inférieure est collective, puisque c’est ici toute l’espèce qui évolue et non un individu donné - à ce niveau l’individu n’existe pas encore - l’évolution supérieure est une affaire individuelle. Un individu peut évoluer plus qu’un autre, et devancer tout le reste de l’espèce humaine. Cette possibilité présuppose la conscience de soi ou la prise de conscience, et c’est pour cette raison que l’on parle de l’évolution consciente de l’homme. Cela présuppose aussi un effort individuel - et c’est pourquoi l’Effort parfait figure de façon si proéminente dans le Noble chemin octuple du Bouddha, qu’il corresponde à la seule section D ou aux deux sections C et D de notre schéma.
C’est collectivement que nous avons évolué jusqu’à notre niveau humain actuel. Pour la plus grande partie nous y sommes arrivés ensemble, mais plus de progrès nécessite plus d’effort de la part de chaque individu. En d’autres termes, plus de progrès nécessite l’Effort parfait, tant général que spécifique. Cela demande que nous ayons recours aux Quatre efforts : prévenir et éradiquer les mauvaises pensées, et développer et maintenir les bonnes pensées. Si, sans cesse, nous pratiquons l’Effort parfait de cette manière, nous atteindrons la fin du Chemin, ce qui veut dire que nous atteindrons le Nirvana, la Bouddhéité, ou la Réalité.
'Vision and Transformation' © Sangharakshita, Windhorse Publications 1990, traduction © Christian Richard 2003.